La cupidité désespérante des élites et du peuple

Cameroun : La cupidité désespérante des élites et du peupleQu’est ce que l’argent ? A quoi sert-il ? Est-il bon de gagner beaucoup d’argent ?  L’argent a-t-il un pouvoir ? A-t-elle (ou, est-elle, puisqu’elle existe !) une valeur en soi ? Ces questions de bon sens et d’autres du genre ne sont posées par personne à l’heure actuelle dans ce pays de bien-pensants. Pourtant ! les problèmes tels la corruption et le détournement de deniers publics y trouvent leurs origines. Ce qui veut dire que toute volonté de s’attaquer au problème endémique de corruption et de détournement dans notre pays, doit d’abord chercher à répondre à ces questions. Celles-ci ne sont pas nouvelles. Les positionnements idéologiques sont tranchés là-dessus. L’histoire des hommes est là pour nous renseignés sur l’évolution de nos sociétés. Je me dispense de cette lourde tâche que je maitrise moins que la plupart.

Libres comme nous le prétendons, et jeunes que nous sommes en tant qu’Etat, ne devrions nous pas éviter les sentiers battus ? Biya, chantre d’un libéralisme, naïvement communautaire nous a bluffés par ses allures révolutionnaires dans les années 80. Que non ! Il préparait la bouillie néolibérale, capitaliste érigée en vérité absolue. On se refuse d’imaginer un autre monde que celui promu par l’occident et tout spécialement par les Etats-Unis. Tous attentifs au classement Forbes : quelle galère !
L’argent est une question centrale de toute société. Elle doit intéresser philosophes, économistes, anthropologues, sociologues, moralistes, religieux, politologues, ingénieurs, hommes d’affaires footballeurs, etc. L’argent a un pouvoir, c’est le seul pouvoir jamais remis en cause. Il semble faire unanimité.

L’argent (la monnaie) comme instrument universel ’échange est devenu instrument universel d’asservissement. Les uns, trop émus de l’avoir en quantité, les autres trop malheureux de ne pas en posséder comme ils veulent. L’argent fait le bonheur ! Disent les malheureux mortels épanouis.  Il nous permet de tout avoir, argumentent-ils. Le bonheur serait donc tout avoir, individuellement, sans souci de l’autre. On peut vivre dans un océan de misère et de précarité indéfiniment, pourvu que notre île seule, soit bondée de richesses .Tant pis pour le territoire des autres ! L’argent fait la joie c’est claire. Hélas !  je sais la joie et le bonheur deux choses différentes.  Les gens se laissent corrompre et détournent pour l’argent pas pour acquérir les connaissances. L’argent est un danger. Son étalement un poison. Le riche se voit heureux dans le regard du pauvre. Et le pauvre, dans le regard du riche voit et constate sa misère. La lutte des classes…Les tensions…les guerres…les haines...les jalousies…donc !

J’entends les médias battre la mesure chaque jour sur le même couplet, la corruption et les détournements. Décidés à éradiquer ce mal, les gens vont même jusqu’à défilé lors du 20 mai avec des banderoles où on peut lire : « Le peuple camerounais dit non à la corruption. » Pas mal ! 

Nos dirigeants, quant à eux, n’ont pas trouvé mieux, que de créer des structures différentes, mais poursuivant le même objectif : assainir le climat dominé par les orages de détournements et les tornades de corruption. On peut donc parler de la CONAC, du Contrôle supérieur de l’Etat,de l’ANIF (Agence nationale d’investigation financier) des cellules anti-corruption dans nos ministères, d’un tribunal spécial etc. Que de lois ! Voyez comme ils sont ambitieux !

Avec tous ces organes, on est dans la répression. On peut réprimer éternellement, ce qu’il faut c’est guérir le plus grand nombre. La répression a sa place, n’allez pas dire que… !

On nous rabâche les oreilles avec l’opération épervier, sans jamais dire un mot sur cette chose vers laquelle presque tout le monde tend avec une propension de plus en plus accrue : l’argent. Faut-il être un philosophe du temps d’Epicure pour se rendre à l’évidence que nous sommes dans une société profondément capitaliste, tournée résolument vers l’accumulation ? Et ça c’est une perversion de l’humanité dont il faudra chercher à s’en sortir. Faut-il être un génie pour s’apercevoir qu’on a fait de l’argent le symbole de la réussite, du mérite et source de respect … ? 

Que signifie réussir sa vie chez la plupart, si ce n’est gagner autant d’argent qui nous permettra de faire ce que l’on veut à tout temps…Et pire, les croyants verront dans ça, la volonté de Dieu !  Eto’o, Messi, Georges Sorros, Liliane Bettencourt, Fosto Victor, les chouchous du bon Dieu, hein !!? Ces infatigables travailleurs. Le pauvre agriculteur à côté d’eux ne fait rien, il mérite donc de gagner 1OO fois moins ! Je tape le cul au sol, et je dis non : l’argent, cette imposture !
  
Je pense qu’une des leçons qu’on doit apprendre aux enfants dans nos écoles, du primaire au secondaire, c’est qu’on n’a pas besoin d’accumuler des sommes folles pour être heureux.  Il faut leur dire que personne, pas même Jésus ne « mérite » gagner jusqu’à une certaine somme. On s’enrichit toujours sur le dos des autres. Et on ne s’appauvrit qu’au profit de quelques uns. Le footballeur qu’on croit gagner son argent sans faire du tort à qui que ce soit, est la marque d’une culture hyper-capitaliste déshumanisante. Ils ont beau nous donner les sensations, rien ne les autorise à doubler leurs revenus quand ça va mal et que l’économie mondiale pleure. La preuve leurs clubs sont endettés à n’en plus finir. Il faut enseigner aux enfants le sens de la mesure. Il est vrai ceci n’est qu’une première étape dans cette vaste campagne d’humanisation des rapports humains vis-à vis de l’argent. Car même après avoir dit à nos enfants tout ce que le bon sens voudrait, ceux-ci seront très vite confrontés à la stupidité médiatique. Le travail éducatif, je n’en doute pas, sera saccagé par la bêtise médiatique, la bouffonnerie et la cupidité érigées en moyen d’expression et d’existence sur nos écrans, le déferlement des valeurs de l’argent, de l’apparence et de l’individualisme étroit diffusées par la publicité, ultime raison d’être des grands groupes médiatiques (plus en Occident). La corruption et le détournement tirent leurs profondes origines dans la cupidité.

Nos ministres et nos directeurs généraux, qui sont déjà les mieux payés de notre société je ne sais pas trop sur quelle base, trouvent que ce n’est pas suffisant. Il leur faut à tout prix, plus de voitures ! plus de maisons ! plus de comptes en banque !  vivre décemment, il faudra le réapprendre aux gens. Quitte à interdire certains produits ici, il faut nous préserver de la violence et de cet amour de l’argent sans frontières. Les petits fonctionnaires peuvent dire qu’ils sont corrompus parce qu’ils sont mal payés. Ça peut être aussi parce qu’ils aspirent à quelque chose de plus « grand » en réalité de très « bas », ils pensent à une nouvelle coupe de voiture à offrir à leurs épouses. Les gens ne pensent qu’avec les yeux d’autrui. Et on me parle de culture africaine à sauvegarder…je ris à haute voix.

Lisons un peu cet extrait de texte, que je suis allé chercher dans le blog d’un homme politique français de gauche. L’analyse me semble très pertinente : « L'argent a toujours eu une odeur. Il n'est jamais le simple instrument d'échange qu'il prétend être. Car toutes les sociétés qui l'ont utilisé ont été des sociétés de classe, donc des systèmes de domination des uns sur les autres. Il les a durcis. Car la naissance de l'argent a permis que soit accumulée la richesse en dehors de sa réalité matérielle immédiate. Il a permis de différer l'échange. L'argent fait voyager dans le temps les envies et les objets qui les assouvissent. Je mangerai demain les poissons que je peux m'acheter aujourd'hui car il y aura toujours quelqu'un pour le pêcher à ma place si je le paie pour ça. L'argent c'est un frigo. Il stocke en conservant intact le pouvoir de celui qui l'accumule. Et justement parce qu'il a ce pouvoir, il permet d'oser ce qui aurait été inenvisageable sans cela : prendre aux autres davantage que ce dont on a besoin. Dans ces conditions, qu'on en ait beaucoup ou qu'on en manque, l'argent est toujours la mesure de la prédation des uns sur les autres. De là je déduis que de toutes les maladies humaines la cupidité est la plus antisociale.

Les pouvoirs symboliques et culturels sont des denrées périssables dont il faut sans cesse prouver de nouveau les raisons d'être pour reproduire du consentement à son autorité. Le pouvoir de l'argent ne nécessite aucune preuve pour s'exercer. Il vient, il se donne, il prend. Tout le monde consent. La dureté du pouvoir de l'argent résulte de cette nature intime et du consentement universel qui la protège. En ce sens, la richesse individuelle, c'est-à-dire l'accumulation privée de beaucoup d'argent dont on n'a pas besoin, est en soi inhumaine, c'est-à-dire au-delà d'une nécessité humaine. C'est donc un abus de pouvoir et une incitation à tous les abus de pouvoir.

L'argent se présente comme un équivalent entre les moyens de satisfaire nos besoins. En cela il semble postuler notre commune humanité. Il semble même incarner la part la plus humaine de nous, celle qui s'accomplit dans l'échange ! Trompe-l’œil ! Car qu'est-ce qui est fondamentalement humain ? Je veux parler de ce qui distingue un échange humain de tous les autres systèmes d'échanges et de symbioses dans la nature ? Ce qui se donne sans contrepartie. Donc ce qui est gratuit dans l'échange. Sur ce seuil, l'argent est nu comme un ver sans pouvoir. Le carrosse n'est même plus une citrouille ! Mais alors commence le territoire de l'amour et de la fraternité. »
Mélenchon parle de cupidité comme de maladie sociale la plus antisociale. J’en suis ravie. Honoré de m’apercevoir que je ne suis pas assez naïf que ça. Cet extrait se passe de commentaires, je pourrais amoindrir la pertinence du propos par mon indélicatesse.
Que peut-on faire à notre niveau ? Nous qui subissions le capitalisme des autres. Nous pouvons tendre davantage à une société plus égalitaire, plus juste. Fini avec ces gigantesques privilèges qui ne cessent de creuser la famine de ceux qui en bénéficient. Il faut qu’on essaye de payer les gens de telle façon qu’ils puissent bien vivre : bien se loger, bien se vêtir, bien manger, bien se soigner, etc.  Il faudra qu’on enlève sur ceux qui ont au-delà du raisonnable et on ajoute ailleurs. La cupidité n’est pas le moteur de l’intelligence. Il y a d’autres façons de récompenser les intelligences et nos brillants citoyens qu’en leur goinfrant de fric. On pourrit l’atmosphère, en mettant plus de fric où on devrait mettre plus de cœur. Ceux qui s’en offusqueront de ne pas gagner tel qu’ils le souhaitent n’auront qu’à aller ailleurs. Il s’agit là d’une vision de la société. Comme les américains ont aussi eu leur vision de société.

Nos généraux, nos magistrats et consort gagnent trop. Les rapports de ceux-ci, avec les autres citoyens, deviennent pas nature inégalitaires. Quels sont les avantages de nos infirmières ? Quels sont les avantages de nos enseignants ? Sans eux pourtant…rien n’est possible ! Et malgré les conditions pas très encourageant de leur travail, ils ne cessent de faire ce qu’ils ont affaire.  Tout simplement parce qu’un individu a soutenu une thèse à importance très relative, on le pompe de privilèges. Le bonheur intellectuel n’a pas de prix. Einstein coûtait combien ?  Pasteur coûtait combien ?

Je ne dis pas que tous doivent avoir le même salaire. Il faut me saisir. Hélas ! Quand le président de la commission de la CEMAC a à lui tout seul a près de 21 millions de FCFA par mois (Cf Jeune Afrique)….je crie au scandale. A quoi lui sert cet argent ? Le bon monsieur est logé, véhiculé et tout le reste. Si on le paye deux millions, dites moi si c’est injure ! Deux millions que ne perçoivent pas le ¾ de de la population de l’Afrique centrale.  A quoi sert l’argent de monsieur Antoine Ntsimi ? Les banquiers le fructifient…et vous parlez de crise ?

Le véritable problème ce n’est pas que nous soyons des pays pauvres. Je pense que c’est la répartition de la richesse qu’il faut remettre en cause. Et puisque toute répartition répond à une vision de la société, une morale, l’occasion nous est donnée de voir si nous sommes dans une société solidaire. Je suis fatigué d’entendre qu’on nous présente comme des sociétés solidaires et philanthropiques. Je parlais tantôt d’interdire certains produits ici chez nous. Oui, les autres font du protectionnisme et nous ne leur disons rien. Il s’agit donc d’éviter la fuite des capitaux dans certains produits très coûteux et sans intérêt aussi longtemps que la misère ne sera pas bannie. La misère, je dis. La pauvreté elle, ne sera jamais bannie complètement. C’est une prescription divine. Mais il faut lutter contre.

Il faut avancer les yeux éclairés et pas seulement ouverts. Nos dirigeants se félicitent du DSCE. Oui, ils ont les yeux ouverts mais pas éclairés. J’en parle dans un livre.
          
Le peuple, lui aussi ne pense qu’au fric. Son cœur est rempli d’amertume et de vengeance. Il fait ses études soigneusement dans l’espoir de brandir lui aussi des liasses de billets. Il veut s’habiller sur mesure et rouler en Hummer. Le peuple est étourdit par le luxe des puissants. Matin, midi, soir…le peuple n’aspire qu’à devenir élite. Il ne semble pas croire à l’égalité. D’ailleurs pourquoi nous tous devrions être heureux, se dit-il ? La sensation de richesse est plus grande quand on est dans un océan de misère, lorsqu’on voit notre voisin prendre la moto, là, on est tout content. Et on se dit : je suis quelqu’un ! Or rien. Pas plus que cette grenouille qui voulait se faire aussi gros qu’un bœuf. L’accumulation est un problème de nos sociétés. Il faut se pencher sur le problème.

Je ne peux finir cette note, sans vous partager ces vers de Denys Caton : "N'aime l'argent que pour l'usage, Et de son vain éclat ne sois jamais épris : A ce trait on connaît le sage, Qui pour le métal seul ne sent que du mépris."

© Avec Camer.be : Cédric Tsimi de Kabango, Etudiant Pamphlétaire.


12/11/2012
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