La candidature de l’opposition : Le fallacieux alibi
Une idée aussi pernicieuse que spécieuse savamment distillée par l’Occident en général et la France en particulier pour justifier leur soutien aux régimes totalitaires, aux parodies d’élections et aux successions dynastiques qui prolifèrent en Afrique a progressivement pris racine et s’est insidieusement incrustée dans la conscience collective, au point de devenir une question incontournable lors de tous les débats politiques et de servir de socle de reproche et de dénigrement systématique de toute « l’opposition » : la suggestion d’une candidature unique sans laquelle, dit-on, l’opposition camerounaise ne pourrait gagner une élection majeure et apporter l’alternance.
C’est pourquoi, à la veille de chaque élection présidentielle, les média occidentaux et locaux, comme de concert, préparent l’opinion à accepter la pérennisation de l’imposture et de l’éternelle auto-reconduction des dictatures néocoloniales en claironnant partout que l’opposition n’a aucune chance de battre le parti au pouvoir parce qu’elle y va « émiettée », « en rangs dispersés », « en lambeaux » ou en employant toute autre expression exprimant l’atomisation de l’opposition, ce qui ouvrirait ainsi sans coup férir la voie du succès au parti au pouvoir.
L’histoire nous démontre pourtant que la vocation d’une opposition n’a jamais été de s’unir, mais d’œuvrer pour l’alternance par tous les moyens légaux, parmi lesquels des alliances opportunes, stratégiques et conjoncturelles. Cette possibilité, qui doit commencer depuis les élections locales, a été refusée à l’opposition camerounaise par une loi électorale scélérate taillée sur mesure qui impose un scrutin de liste, mais « sans vote préférentiel ni panachage ».
Et pour cause, car les stratèges qui l’ont concoctée savent bien qu’il est toujours plus difficile de s’entendre au sommet lorsqu’on n’y a pas été habitué à la base. Mais au-delà de cet écueil, la candidature unique présuppose deux conditions essentielles à remplir : l’existence d’une opposition au sens originel du terme, avec des leaders honnêtes, sincères, patriotes, résolument tournés vers la rupture, le changement et l’alternance qualitatifs et ensuite, un pouvoir en place qui accepte de reconnaître l’opposition comme une institution d’utilité publique essentielle et incontournable pour l’exercice du jeu démocratique. Qu’en est-il du cas du Cameroun ?
Il faut d’entrée de jeu reconnaître que le paysage politique camerounais qui grouille d'aventuriers et de mercenaires politiques de tous poils ne dispose pas d'une, mais de plusieurs oppositions aux intérêts divergents et aux objectifs contradictoires et variés. Constitutionnellement, c’est le Président de la République qui définit la politique de la nation, laquelle est exécutée par les ministres, sous la coordination du Premier Ministre. Etre opposant, c’est donc désapprouver et contester la politique définie par le président de la République et appliquée par son gouvernement d’une part, créer un parti politique pour concourir à l’expression du suffrage d’autre part, et enfin, proposer une politique alternative. De ce fait, devons-nous appeler opposition ces formations politiques sans croûte ni mie dont les leaders, à la moindre occasion, négocient leur entrée au gouvernement pour exécuter, sans état d’âme, au détriment de leur programme-alternative et de leurs militants (si jamais ils existent !) la politique qu’ils prétendaient désapprouver la veille ?
Il s’agit là des prototypes de l’égoïsme et de l’opportunisme politiques ou de réponse empressée à l’appel irrésistible des ors, du luxe et du lucre du pouvoir. Car très souvent, une fois le décret discrétionnaire du prince abrogé, on les voit subitement redécouvrir et reconnaître les vertus de l’opposition qu’ils rejoignent, toute honte bue, comme tous les vampires du monde, pour se restaurer, se refaire de nouvelles forces avant de s’en servir comme objet de chantage pour renégocier leur prochain retour à la mangeoire. Tous ces calculateurs justifient leur entrisme non pas par leur indigence mentale et matérielle, mais par la stratégie du ver qui entre dans le fruit pour le détruire de l’intérieur, tout en sachant bien qu’en procédant par la phagocytose, le RDPC s’est révélé comme ce fruit qui tue tout ver qui y pénètre. D’ailleurs, un gouvernement étant un organe collégial dont la responsabilité est collective, il ne peut y avoir d’opposants y revendiquant quelque originalité. Accepter d’y entrer, c’est accepter de se renier et assumer tous les travers du régime en place, le ministre de chez nous n’étant rien d’autre qu’un servile exécutant qui ne peut rien entreprendre sans les « hautes instructions de S.E M. qui vous savez !
En ce qui nous concerne, nous considérons le couple pouvoir/opposition de façon manichéenne. Ces deux notions, à notre avis, sont antithétiques et antinomiques, et cela coule de source ! La frontière entre les deux doit être, sinon parfaitement étanche, du moins fortement marquée, de manière à éviter toute équivoque ! Autant le don d’ubiquité n’existe pas, autant nous considérons qu’on ne peut être à la fois au gouvernement et à l’opposition. Dans un pays où après 20 ans de combat et de sacrifices divers, le multipartisme arraché de haute lutte et dans le sang n’a pas encore débouché sur le pluralisme idéologique avec le droit à l’existence, à l’organisation et à l’autonomie de décision des contre-pouvoirs dans les champs politique, associatif, syndical et médiatique , s’asseoir à califourchon sur le mur de démarcation, une jambe dans l’opposition et l’autre dans le gouvernement du parti au pouvoir ou bien faire des aller et retours entre les deux ne peuvent être qu’équilibrisme, inconsistance, inconstance, trahison.
Quand un parti politique accède démocratiquement au pouvoir à travers des élections transparentes et équitables, il gouverne légitimement avec ses propres cadres ou avec les partis alliés idéologiquement proches qui l’ont soutenu, pour imprimer ses marques, son empreinte et son originalité. C’est ce qu’on appelle alternance. Il ne fait pas du débauchage en rameutant des transhumants et des transfuges pour appliquer à leur corps défendant ( ?) une politique qu’ils disaient combattre.
En 1997, nous avons vu le leader d’un parti dit d’opposition boycotter l’élection présidentielle dans le cadre d’une alliance conjoncturelle et courir à peine les bureaux de vote fermés négocier un strapontin au gouvernement sans plus se soucier ni de l’opinion, ni de ses militants, ni de son allié de circonstance ! Qu’est-ce qui peut nous faire penser qu’une telle personne, choisie comme candidat unique, n’aurait pas aussi basculé, corps et biens dans le camp de l’adversaire, même en pleine campagne ? De même, le zèle et le fanatisme d’un volubile ministre récemment appelé aux affaires n’ont d’égal que son activisme ou sa fourberie d’hier lorsqu’il trônait à la tête d’une certaine Coalition des partis politiques à la recherche d’une candidature unique de l’opposition. Si on dit que l’homme est ondoyant et divers, celui-ci est plutôt ondoyant et pervers !
Ces deux exemples doivent tempérer notre optimisme quant à la recherche d’une candidature unique dans un pays de 250 partis politiques, car chacun seul sait au fond de soi-même pourquoi il a créé le sien. Nous devons comprendre que les gouvernements « d’union nationale » ou de « large ouverture » auxquels la plupart de ces entrepreneurs politiques aspirent secrètement ou ouvertement, ne sont qu’une spécialité de l’Afrique ou des républiques bananières où des régimes totalitaires et despotiques se pérennisent à travers des parodies d’élections périodiques ou en agrandissant de temps en temps leur cercle de prédation par la cooptation au gouvernement ou dans leurs cercles ésotériques de quelques affamés ou de quelques égoïstes notoires emmitouflés dans des costumes d’opposants. Ce sont des produits occidentaux qui ne sont bons que pour des sous-développés, car ils permettent d’obtenir des « démocraties apaisées », véritables monarchies où les contestataires réels ou supposés sont, selon les exigences et les intérêts du moment, soit réduits au silence, soit appelés à la Cour.
Cette méthode, presque infaillible, qui a fait ses preuves dans le Pré-carré, de Yaoundé à Lomé, aboutit invariablement à une accalmie, sorte de résignation appelée « paix » et à un immobilisme réfrigérant appelé « stabilité », deux notions expurgées et édulcorées que l’on récupère grossièrement en temps de campagne électorale : votez pour le parti au pouvoir ou c’est le chaos ! La mode n’a-t-elle pas toujours été au Cameroun d’exploiter et de vendre la peur pour créer l’inertie et l’apathie ? L’arrivée de représentants légitimes et patriotes à la tête de nos Etats serait catastrophique pour les intérêts de ces puissances qui ne nous considèrent guère que comme des débouchés pour leurs produits manufacturés et autres déchets toxiques ainsi que des pourvoyeurs en matières premières dont ils fixent les prix à leur convenance.
La multiplicité des pseudo-partis politiques d’opposition, d’ailleurs fortement encouragée et sponsorisée par le pouvoir qui a en créé un bon nombre, est un bon paravent pour la fraude et la destruction des stratégies des partis qui revendiqueraient une meilleure participation et une prise en compte conséquente des positions et des propositions des autres pour l’aménagement d’un cadre équitable pour le jeu électoral. Car ainsi, le parti au pouvoir dispose à tout moment des dizaines de « partis-alibi » monnayables et prêts à avaler des couleuvres pour torpiller toute velléité de changement. On comprend pourquoi au Cameroun, un parti politique est plus facile à créer que n’importe quelle autre association.
Bien qu’il soit antidémocratique de fixer arbitrairement le nombre de partis qui doivent exister, on peut tout de même réguler et aérer la scène politique, par exemple en considérant comme fantômes et en dissolvant tout parti qui ne participe pas au moins à une des deux élections couplées (législatives/municipales), de même que ceux qui y participent, mais ne peuvent obtenir au moins 5% dans un certain nombre de circonscriptions à déterminer. Naturellement, il faudrait au préalable que les élections soient transparentes car un pouvoir qui « partage » les suffrages à la tête du client pourrait bien s’en servir pour faire disparaître tous les partis d’opposition susceptibles de lui faire ombrage !
A cette étape de l’analyse, il convient de reconnaître que la candidature unique de l’opposition, au-delà d’être un mythe, ne peut être qu’une diversion car que peut-on sortir d’un amalgame hétéroclite de quelques partis politiques plus ou moins confirmés avec des individus, fortes personnalités peut-être, mais surtout pour la plupart de simples braves gens dont le seul mérite est d’avoir un jour déposé au MINATD un dossier de création d’un parti politique, beaucoup plus pour des marchandages alimentaires que dans le but tranché de conquérir des suffrages, pour accéder au pouvoir et proposer quelque chose de neuf et de différent ? Pour se mettre ensemble et créer un regroupement sincère et fonctionnel d’où sortira un candidat unique, à défaut de s’entendre sur tout, il faut au moins s’entendre sur les fondamentaux. Or au Cameroun, on l’a vu en 2004 avec la Coalition, le moins qu’on puisse dire est que ce qui divise les partis politiques fait largement ombrage à ce qui peut les unir.
La plupart de ceux qu’on considère comme des leaders de l’opposition susceptibles de se mettre ensemble sont bien connus pour leur passé d’anciens membres du gouvernement, leurs frasques et leurs sempiternelles navettes entre le pouvoir et l’opposition, au gré de leurs intérêts égoïstes, l’opposition n’étant réellement pour eux qu’un tremplin pour mieux rebondir. Pour eux, le changement signifie leur appel au gouvernement. Au fond, seul le partage les intéresse; il n’y a à redire que lorsqu’ils ne sont (pas) plus à la mangeoire. Au bout du compte, un regroupement constitué d’éléments aussi disparates que ceux qui constituent ce que l’on appelle l’opposition camerounaise ne peut être qu’un véritable mariage contre-nature, ne pouvant accoucher que de monstres.
En 1992, la vue de 500 millions de francs brandis à la télévision a eu des effets dévastateurs sur une «opposition » qui avait fait le serment de ne pas participer aux élections législatives. Des gens que l’on considérait alors comme les opposants les plus farouches et les plus irréductibles sont passés à la caisse sans crier gare et y sont restés jusqu’à ce jour ! Le coup a porté et le pouvoir a bien retenu la leçon.
Les allégations savamment distillées dans l’opinion selon lesquelles l’opposition perdra aussi longtemps qu’elle sera allée à l’élection présidentielle en rangs dispersés sont non seulement tendancieuses et fausses, mais aussi dénuées de tout fondement. Car en dehors du SDF et de l’UDC dans une moindre mesure, qui de ces autres braves débrouillards composés de quelques usurpateurs s’accrochant chacun désespérément à son lambeau d’un parti historique déchiqueté par d’autres rapaces du même acabit et de ces vulgaires transhumants politiques sans cesse en errance à la recherche d’une hypothétique oasis a quelque chose de substantiel à offrir sur le terrain de l’électorat ?
La candidature unique n’est qu’un alibi inespéré offert aux dictatures tropicales pour justifier leurs fraudes et nombreux hold-up électoraux, car en Afrique, les choses sont autrement plus compliquées pour l’opposition qui a déjà démontré au Ghana, au Sénégal, au Bénin, au Kenya, au Zimbabwe… qu’elle peut gagner sans candidature unique. La perversion la plus achevée veut aujourd’hui que les opposants qui ont réussi à se faufiler entre les fourches caudines des fraudes et des entraves diverses pour gagner se soumettent encore à la dictature des perdants pour un hypothétique partage du pouvoir. Cela s’est vu au Kenya, au Zimbabwe où l’Union Africaine et la Communauté Internationale, malgré le slogan creux de « retour à l’ordre constitutionnel », encouragent les perdants à s’accrocher au pouvoir et à dicter encore leur loi aux vainqueurs.
Enseigner que l’opposition perdra parce qu’elle n’a pas pu s’unir suppose que le code électoral est devenu subitement bon, que l’Administration, la Fonction Publique, la justice et autres se sont miraculeusement affranchies et que la fraude a disparu comme par enchantement. Et ainsi, au lieu d’orienter notre combat vers l’éradication de ces tares dans nos institutions, nous passerons tout notre temps à courir derrière un fantomatique et insaisissable candidat unique de l’opposition, pendant que des dictatures toujours plus féroces les unes que les autres s’auto-reproduisent indéfiniment pour notre malheur et celui de notre postérité. Les Camerounais doivent cesser d’être des éternels mendiants de miracles. Chacun qui a soif du changement doit se considérer comme l’opposition toute entière et non continuer, comme telle semble être devenue la règle, de croire que l’opposition c’est tout le monde sauf lui-même et alors allumer au moins une bougie au lieu de maudire l’obscurité !
Notre conviction la plus intime est que dans les conditions actuelles, même le très populaire Barak Obama, l’emblématique Nelson Mandela ou le charismatique Cardinal Tumi que l’on mange aujourd’hui à toutes les sauces politiques, candidats uniques de l’opposition camerounaise, ne pourront battre M. Biya dans une élection présidentielle. Au Cameroun, il n’y a pas d’élections, mais partage et chaque parti d’opposition reçoit ce qu’on daigne lui concéder ! Nous devons comprendre une fois pour toutes que la candidature unique n’est pas la panacée et que nos problèmes sont ailleurs. Nous n’avons pas lutté pendant si longtemps contre le monopartisme pour revenir aujourd’hui militer pour la création d’un parti unique de l’opposition. Un parti unique de l’opposition, cela doit être clair, n’est pas moins antidémocratique qu’un parti unique au pouvoir.
Lorsque des institutions consensuelles et démocratiques sont mises en place, lorsque des lois réellement impersonnelles sont rigoureusement appliquées par une structure véritablement neutre qui organise les élections du début à la fin, la préoccupation pour un candidat unique qui n’est à proprement parler qu’un paradoxe ou un pis-aller, ne se justifie plus et perd toute sa raison d’être. Mille candidats peuvent donc se présenter et la sélection naturelle fera le tri, car les Camerounais, au-delà de l’intoxication et des dénigrements orchestrés par la propagande officielle contre les potentiels candidats, savent bien qui est qui et qui vaut quoi. Si nous n’attaquons pas notre mal par la racine, « le sein qui a engendré la bête immonde sera encore fécond ».Tout le mal Camerounais provient de la négation de l’opposition par un parti-Etat au pouvoir depuis un demi-siècle et qui n’a accepté le multipartisme qu’à son corps défendant, en ne préparant ses militants « qu’à une éventuelle concurrence. » Les choses se compliquent d’autant plus qu’il s’est monarchisé avec le temps avant que nous ayons réussi à l’obliger à rendre la concurrence effective par l’acceptation du pluralisme.
Accepter le pluralisme, c’est accepter l’opposition et reconnaître constitutionnellement sa place, son importance et sa nécessité dans le processus de compétition pacifique pour la conquête, le contrôle et l’exercice du pouvoir ; c’est accepter la possibilité d’alternance qui est consubstantielle au multipartisme et à l’existence d’une démocratie pluraliste. C’est accepter l’organisation des élections libres, transparentes, justes et équitables pour toutes les parties prenantes. Pour y arriver, il suffit de s’entendre sur les règles de jeu, sur l’organisation et sur l’arbitrage. Malheureusement, tel ne semble pas avoir été le cas jusqu’ici pour le Cameroun et c’est pourtant là que réside la pomme de discorde. Mais, à l’heure où nous sommes, comme le disait EKANE Anicet, il ne reste plus « qu’aux spectateurs d’envahir le stade » pour imposer des règles communes à toutes les équipes, en vue d’améliorer la qualité du spectacle par l’introduction d’un réel suspense dans le jeu, au lieu de continuer à acheter des billets d’entrée pour assister à des parodies de match dont les résultats sont connus d’avance !
Pr. Jean TAKOUGANG
Traducteur Principal et Enseignant à l’ISTI (Yaoundé)