La candidature d'Akame Mfoumou ou l'histoire insolite d'une coalition noyautée

 

Depuis le mardi 14 septembre 2004 la Coalition pour la Réconciliation et la Reconstruction Nationales (CRRN) a implosé lors de la séance de sélection de son candidat unique de transition pour la Présidentielle d’Octobre 2004 prochain, on a entendu, dit, lu ou écrit bien des choses et d’autres. Etait-ce spontané ou commandité ?

 

Le moins qu’on puisse dire est que dans l’ensemble, il se dégage une étonnante et désolante unanimité. Par un exercice musclé d’abêtissement collectif, les média, presque de concert, ont abruti les esprits, intoxiqué l’opinion, choisi des boucs-émissaires qu’ils ont diabolisés et désignés à la vindicte populaire ou au châtiment de l’Histoire.

 

Comme le refrain d’une chanson populaire connue de tous, il était repris en cœur et à l’unisson que M. John Fru Ndi, son parti  et ses partisans sont des traîtres, qu’ils ne sont pas des démocrates, qu’ils roulent pour le parti au pouvoir qui les stipendie et qu’ils paieront d’une manière ou d’une autre. Peu, mais alors très peu d’éditorialistes ont essayé de dominer leurs sentiments et leur émotion pour prendre du recul, dépasser les épiphénomènes et s’interroger sur la signification profonde de la Candidature de M. Edouard Akamé Mfoumou, pilier du régime et du RDPC en place dans un cercle lui-même ne pouvait entrer que par effraction. C’était pourtant là que se trouvait le nœud gordien de cette affaire rocambolesque, si tant est qu’on le cherchait vraiment et qu’on voulait le trouver, l’élucider, le trancher. Pour notre part, nous avons refusé d’aboyer avec les loups, comme une meute grégaire et sans personnalité. C’est pourquoi nous avons décidé de nous attarder plutôt sur cette candidature insolite qui résume en elle-même toutes les raisons de l’éclatement pourtant prévisible de la Coalition et la preuve irréfutable de son infiltration et de son noyautage. Car que des gens tard arrivés dans un milieu contournent les géniteurs de cette structure de l’opposition pour discuter plutôt avec des membres influents du Comité Central du parti au pouvoir signifiait déjà que cette Coalition avait changé de main et que le ver était déjà dans le fruit. Au fait, comment en est-on arrivé là ?

 

« Le ver était déjà dans le fruit »

            Dans un excellent article paru dans la Nouvelle Expression du lundi 20 septembre 2004, François Bambou, d’une plume alerte nous raconte avec beaucoup d’humour cette histoire incroyable : « Sindjoun Pokam, dit-il, crée la surprise en annonçant la candidature d’Edouard Akamé Mfoumou. L’ex-grand argentier de Paul Biya  paraît à ses yeux présenter plusieurs atouts […]. Pour achever de convaincre de la  recevabilité de la candidature d’Akamé Mfoumou, Sindjoun Pokam, qui s’est engagé à parrainer sa candidature, rappelle que parmi les leaders, beaucoup ont rencontré l’ex-ministre des finances ces dernières semaines. Et que sa candidature n’est qu’une concrétisation de cette démarche. Un silence traverse la salle de réunion. Tout le monde plaiderait-il coupable ? […] Issa Tchiroma, le président de la Commission (de sélection du candidat unique), tout comme Antar Gassagay, ne cachent pas leur enthousiasme. Ils ont compris, analysent certains, que la candidature  de Sanda Oumarou n’ira pas très loin. Antar Gassagay propose que son propre parti pourra investir l’actuel P. C.A. de la Camair si le choix de la Coalition se porte finalement sur lui. […] Tard dans la nuit, tout le monde s’accorde que les candidats doivent se présenter physiquement et remplir des fiches de renseignement. Edouard Akamé Mfoumou devient introuvable pour ses parrains et défenseurs au sein de la Coalition. Il serait hors de Yaoundé et injoignable, apprennent-ils à leur grand désarroi. Voilà qui mettra un terme définitif à une longue série de démarches commencées depuis plusieurs semaines entre les membres de la Coalition et des responsables du RDPC. »

 

Cette histoire est tellement édifiante que François Bambou ne pouvait lui trouver meilleur titre : « le loup Akamé Mfoumou dans la bergerie de la Coalition ! » M. Akamé Mfoumou, dans une interview à Cameroon Tribune, pince sans rire, enfonce le clou : « J’ai reçu la visite d’un certain nombre de personnalités de l’opposition qui sont venus me voir pour proposer de prendre la tête de leur mouvement et d’accepter de me présenter comme candidat unique de l’opposition. Il s’agissait de MM. Célestin Bedzigui, Issa Tchiroma et Antar Gassagay. Et plus tard, M. Sindjoun Pokam est venu me voir. Nous avons discuté de tout cela. Je leur ai posé la question de savoir si tel était le vœu de l’ensemble de l’opposition ou d’un groupe. Ils m’ont dit qu’il restait à convaincre le reste de partis de la Coalition pour les rallier à cette position. Je leur ai donc  demandé de poursuivre leurs consultations  tout simplement et de revenir me voir par la suite. Et j’ai rendu compte à qui de droit. » C’est-à-dire au président de la République, président candidat naturel du RDPC !

 

Ainsi donc, les membres tard arrivés dans une  Coalition d’opposition  pour déloger le RDPC au pouvoir travaillaient et rendaient quotidiennement compte au président de ce parti, à travers M. Akame Mfoumou ! En un mot, la Coalition était désormais dirigée à partir de la Présidence. L’infiltration est l’arme imparable fatale à tout regroupement, même les plus solides. M. Akame Mfoumou, en homme politique expérimenté et avisé ne donne pas sûrement les noms de tous les membres de la Coalition qu’il a reçus. Il ne dit pas non plus les stratégies que son parti avait mises en place pour divertir la Coalition. On comprend pourquoi depuis tant de temps la Coalition  tournait en rond. Des agents doubles y exécutaient de main de maître leur travail de sape. De dilatoires  en digressions subtiles, les travaux de la Coalition stagnaient ou se perdaient régulièrement dans des directions qui n’avaient rien à voir avec le but escompté.    

 

            Avec M. Issa Tchiroma comme président de la commission de sélection, l’acharnement pour l’application des seuls critères subjectifs sans barème et le refus de passer aux autres phases de négociation consensuellement arrêtées étaient compréhensibles. Aucun candidat de la Coalition ne l’intéressait vraiment, lui et  ses autres commensaux, qui n’avaient d’yeux que pour M. Akame Mfoumou, leur camarade du RDPC, leur véritable parti. On se souvient que ce sont  presque tous de braves transfuges qui sont un coup au gouvernement et un coup dans l’opposition pour se refaire du sang neuf afin de  renégocier plus avantageusement leur place à la mangeoire comme l’avait fait sans vergogne Bello Bouba en 1997 à peine les bureaux de l’élection présidentielle qu’il avait boycottée refermés.

 

Même Adamou Ndam Njoya n’aura été pour eux que le  moindre mal ou à vrai dire un pis-aller. Car il est fort à parier que si M. Akamé Mfoumou s’était physiquement présenté pour remplir sa fiche, M. Ndam Njoya n’aurait jamais été choisi et le classement connu aurait été à coup sûr bien différent. Le lecteur se sera fait une idée assez précise de M. Issa Tchiroma et des siens quand il saura qu’en dehors de M. Akamé Mfoumou ils étaient aussi en contact permanent avec M. Roger Tchoungui et Chief Mila Assouté, tous piliers du régime et membres influents du RDPC, toujours « pour leur proposer de venir prendre la tête de la Coalition et d’accepter de se présenter comme candidats uniques de l’opposition ! »

 

            Les explications contradictoires et incohérentes d’Issa Tchiroma dans les journaux trahissent la duplicité du personnage et de ses acolytes. Dans le Messager du vendredi 17 septembre 2004, Issa Tchiroma reconnaît bien que les 15 critères subjectifs n’étaient qu’un instrument de déblayage pour dégager 3 candidats avant d’aller vers des phases de négociation qui comportaient des critères plus objectifs et plus quantifiables. Il dit, parlant de la conférence de presse du SDF :

 

 « Vous avez constaté que j’ai été interpellé et on ne m’a pas donné la parole. J’ai contesté une chose, le fait qu’ils disent dans leur déclaration qu’à la phase 4, je suis revenu pour dire aux leaders que les  candidats avaient accepté le verdict. C’est complètement faux ! Quand je suis allé les voir, je leur ai dit, voilà les résultats auxquels nous sommes parvenus. Vous devenez nous dire à quelle étape nous devons aller. » Il parle lui-même de phase 4 et d’étape. S’il leur demande à quelle étape il faut aller, cela veut bien dire que des étapes de négociation avaient été consensuellement arrêtées au préalable, que la procédure n’était pas épuisée et que le jury pouvait encore passer à d’autres étapes ou phases.

 

            Mais à notre grande surprise, quelques jours après, dans une interview parue dans Cameroon Tribune du mardi 21 septembre, il se ravise et déclare : « Il n’a jamais existé sept étapes connues et reconnues dans notre cercle. Seuls les 15 critères étaient acceptés par tous. J’ai découvert les 7 étapes lorsque les querelles ont commencé. » Pourquoi ne l’avait-il pas dit dans l’interview précédente ? De toutes les manières, on était en plein dans un marché de dupes, dans un jeu avec des dés pipés.

 

            Quoi qu’on dise, M. Akame Mfoumou aurait même pu être plus cynique. Il aurait pu venir signer les fiches, accepter la candidature unique de l’opposition, battre campagne  et se désister avant le jour J, au profit de son véritable candidat, M. Paul Biya. Ce scénario avait été effectivement envisagé dans le camp d’en face et c’est pour y aboutir que MM. Issa Tchiroma, Antar Gassagay, Bedzigui et compagnie s’étaient infiltrés dans la Coalition, comme le loup dans la bergerie ou comme le ver dans le fruit. S’il a été abandonné au dernier moment, c’est tout simplement parce que les stratèges du RDPC ont compris que cela ternirait devant l’opinion internationale, la seule qu’ils craignent, la victoire programmée de leur champion. Car avec l’absence des « poids lourds » de l’opposition comme Adamou Ndam Njoya et Fru Ndi dans une élection présidentielle, M. Paul Biya triompherait sans gloire pour avoir vaincu sans péril.

 

            La Coalition et les adeptes du changement ont été victimes d’un dangereux et fatal glissement. Comment a-t-on pu aller d’une Coalition entre  partis politiques à une Coalition entre partis politiques et des individus interlopes au passé trouble et bien connus ? Comment a-t-on pu donner à de tels individus le Bon Dieu sans confession et croire qu’ils sont effectivement venus à la Coalition non pas pour leur intérêt égoïste mais pour un sursaut de patriotisme ? Qui a bu boira, ils sont restés fidèles à leur passé. Comment aurait-on pu s’y prendre pour expliquer au peuple du changement qu’après 14 ans de combat et près d’un an de travaux dans la Coalition, l’opposition se soit trouvée réduite à patrouiller ferme dans les rangs du parti au pouvoir pour dénicher un homme susceptible d’incarner et de conduire la réalisation des aspirations des Camerounais meurtris et chloroformés par 22 ans de dictature et d’immobilisme appelé stabilité ? M. Akame Mfoumou, ses parrains et ses défenseurs au sein de la Coalition, entre autres, ne cherchait-il pas à prouver à l’opinion que l’opposition est nulle et que c’est dans et avec le RDPC qu’il faut chercher l’espoir du changement ?

 

Sabotage et Diversion réussis

            La politique est aussi et surtout la gestion des intérêts et des opinions contradictoires et souvent, antinomiques. Le SDF ne paie-t-il pas aujourd’hui la prise en compte de ce que pense l’opinion ? On se souvient pendant combien de temps le SDF et son président avaient essuyé des critiques virulentes pour, disait-on, avoir déclaré qu’ils ne perdraient pas leur temps à traiter avec les petits partis. Aujourd’hui on leur reproche avec encore plus de véhémence « d’avoir accepté de faire partie d’un regroupement  [d’individus] et de partis dont aucun, à part l’UDC, toutes proportions gardées, ne représentent pas grand chose.  (Dixit Thomas Eyum’a Ntoh, LNE du 17 sept 2004). »

 

            Quoi qu’il en soit, avec le noyautage et l’éclatement de la CRRN, le pouvoir-RDPC a frappé un très grand coup. Il a réussi, d’une part  à détourner l’attention des Camerounais sur la fraude généralisée qu’il a organisée depuis les inscriptions sur les listes électorales, à l’abri d’un ONEL d’ailleurs  impuissant, arrivé comme toujours très tard dans le processus électoral. D’autre part, il a préparé les esprits à accepter les résultats, quels qu’ils soient, qui sortiront de cette consultation capitale. On ne parle plus désormais que de la Coalition, de son incapacité à trouver un candidat unique, de la trahison et de l’orgueil de certains de ses membres qui ne peuvent accepter de candidat unique que si c’est eux ou du patriotisme soudain des autres.

 

Demain, on justifiera des résultats iniques par le fait que les Camerounais ont sanctionné le ou les traîtres, ou que l’opposition, incapable de s’unir, s’est présentée à l’élection en rangs dispersés. On aura oublié qu’en puisant à pleines mains dans les coffres et le patrimoine de l’Etat (ressources humaines, financières, matérielles) le RDPC se présente par des moyens aussi illégaux que déséquilibrés comme indéboulonnable. On aura aussi oublié qu’avec l’appui et le soutien inconditionnels du cercle répressif de l’Etat, à savoir la gendarmerie, la police, les forces armées, les gardiens de prison et la magistrature, le parti au pouvoir intimide, opprime, réprime et vend la peur  et la guerre pour s’imposer et imposer une paix de cimetière qu’il agite comme le plus grand acquis de ses 22 ans de règne sans partage.

 

On aura enfin oublié qu’avec toutes « ces particules »  (UNDP, UPC, ANDP, MDR, et autres milliers d’électrons) qui gravitent autour du RDPC depuis un certain temps pour (re) négocier leur cooptation et leur accès à la mangeoire, la scène politique camerounaise est depuis longtemps minée. Si à tout cela on prend le Minatd avec ses ministres, ses gouverneurs, ses préfets, sous-préfets, chefs de districts, chefs de blocs et autres chefs traditionnels qui ont même le droit de tuer sans conséquence aucune des députés ou des responsables de partis concurrents ; si on y ajoute une administration inféodée, des PCA et des directeurs des sociétés publiques avec toute leur logistique, et en plus de la dizaine des candidats à l’élection qui se désisteront d’ici le 10 octobre  au profit de M. Paul Biya, on comprend que la Coalition du RDPC est bien plus large que la Coalition de la Coalition. Ainsi donc nos élections ne sont depuis près de 40 ans qu’une farce périodique pour distraire la galerie, donner quelques grains de riz, morceaux de viande, bouteilles de bière ou quelques pagnes et tricots à de pauvres hères faméliques, et enfin tromper l’opinion internationale pour permettre à un petit groupe occulte et hétéroclite de s’éterniser au pouvoir.

 

A ce niveau, s’il faut à tout prix trouver les traîtres et les coupables à l’échec de la CRRN, il faut les chercher là ils se trouvent et éviter de se tromper de cible et de guerre. Mais à notre avis, ruminer des rancœurs, semer une haine inutile ou tourner le couteau dans la plaie seraient tout aussi improductifs. Laissons M. Jacques Chirac, notre ancêtre le Gaulois nous donner à méditer la grande leçon qu’il enseigne à son Pré-Carré : «  il faut bien que les dictateurs gagnent les élections, sinon ils n’en feront plus. »  Le RDPC sait donc bien sur qui et sur quoi il compte ! 

 

                                                                                                            Yaoundé le 24 septembre 2004

 Pr. Takougang Jean

Enseignant, Traducteur Principal



09/09/2011
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