De la balle qui exécuta Patrick Lionel Ayah Kameni le 27 février 2008, on ne sait pas encore le calibre. Mais c’est parce qu’on ne sait pas le fusil qui l’avait tiré, le nom du soldat qui ce jour-là, dans le salon de ses parents, mit fin à la vie de cet enfant de 11 ans, élève au lycée de Loum, étant demeuré secret parce qu’il n’y eut jamais d’enquête. Il est donc certain qu’aujourd’hui, ce soldat uniformisé, s’il a des enfants, leur présente son visage de père de famille ; s’il a une épouse, ne lui a pas encore dit le criminel qu’il est ; s’il a une maitresse, ne lui a pas révélé qu’il y a encore sous les ongles des doigts avec lesquels il la caresse, le sang de la première victime des massacres de février 2008.
Ce qui est certain pourtant, c’est que Patrick n’aura pas seulement écrit son nom en lettre pourpre à côté de celui d’Eric Takou, cet autre enfant jadis exécuté par le renouveau, il se sera assis au panthéon des tambours de la libération des damnés, aux côtés de ces enfants sud-africains qui nombreux à Sharperville se seront couchés dans les tombes que la tyrannie fabrique toujours à l’innocence, de ces enfants de Palestine qui nous montrent encore combien le futur est porté par la naïveté de leurs actes simples, de ces enfants de la révolution française dont Bara donna au peintre David la figure éternellement sublime de la promesse, de ces enfants que chanta Victor Hugo sous le visage de Gavroche.
C’est que la balle qui exécuta le petit Patrick, en ce jour qui à jamais restera marqué dans la mémoire sanglante du régime de Biya, est très connue dans l’histoire de l’ignominie : elle a le rouillé de l’oppression qui à bout de souffle pourchasse des gamins dans les rues, dans les ruelles, dans les mapans des sous-quartiers, et leur perce un trou dans la nuque, devant le visage effaré de leur famille.
Elle a le hideux de la tyrannie qui présente le parfumé de son existence moribonde au monde, sous le visage d’une famille présidentielle qui déroule devant les télévisions familiales, des enfants à bas âge autour d’un père à la voix de ferraille, quand en même temps elle prive une famille dans le secret d’une ville de campagne, de son gamin. Dire que la langue française si bavarde pour nous designer une femme qui a perdu son mari – veuve, celle-là que les Camerounais soupçonnent d’être joyeuse – n’a pas encore trouvé de mot pour designer une mère comme celle de Patrick, qui a perdu son fils ! Dire que le renouveau, mais aussi ceux qui comme Maurice Kamto, ou Marafa Hamidou Yaya se trouvaient de l’autre côté du fusil qui exécuta le petit Patrick, voudraient bien retuer ce jeune mort de Loum, tout comme ces centaines de Camerounais qui avec lui jonchent la fosse commune des grandes ambitions, pour encore plus facilement se propulser ! Mais vers quoi ? La béance qui s’est creusée dans ces familles trouées par la sanglante violence du renouveau, par l’exécution de cet ange de notre liberté, le petit Patrick, a la profondeur du néant que sont les mille promesses du tueur et de ses créatures.
A notre peuple qui s’étonne encore de l’effondrement successif de ces pays africains, il est urgent de montrer la béance creusée dans des centaines de familles camerounaises par les balles des soldats du renouveau, il est salutaire de montrer le trou creusé dans la nuque de nombreux Camerounais par les balles d’un régime qui a fait de l’impunité sa fondation, mais surtout il est nécessaire de dire que la damnation du renouveau a le visage candide de sa victime la plus jeune : Patrick Lionel Ayah Kameni.
Voilà l’évidence qui de part le monde ces jours réunit des compatriotes en un mémorial pour les morts de février 2008.