L'ONU recolonise l'Afrique
Pauvre Afrique, hier, on lui imposait ses dictateurs, aujourd'hui, on lui choisit ses "démocrates". Les rappeurs, ces Prévert des nouveaux temps, viennent d'inventer un néologisme qui fait fureur d'un bout à l'autre du continent : la démocrature. Entendez, ce système hybride (le visage de la démocratie, le corps diabolique de la dictature) qui a le don de déchaîner les passions et d'ajouter à la confusion.
Pauvre
Afrique, hier, on lui imposait ses dictateurs, aujourd'hui, on lui
choisit ses "démocrates". Les rappeurs, ces Prévert des nouveaux temps,
viennent d'inventer un néologisme qui fait fureur d'un bout à l'autre du
continent : la démocrature. Entendez, ce système hybride (le visage de
la démocratie, le corps diabolique de la dictature) qui a le don de
déchaîner les passions et d'ajouter à la confusion.
Qui
a gagné les élections en Côte d'Ivoire, qui les a perdues en Guinée ?
Cette question qui a l'air d'embraser l'univers n'a aucun sens dans les
faubourgs de Conakry et d'Abidjan où, bon an, mal an, la vie politique
n'aura jamais qu'un seul régime, la disette, et une seule loi : "tout ce qui n'est pas obligatoire est interdit",
pour reprendre le fameux mot de Léon Campo. Là-bas, on préfère
d'expérience les mauvaises élections aux guerres civiles bien réussies.
Mieux vaut encore Bokassa et Mobutu que les drames du Liberia ou de la
Sierra Leone ! La bête humaine s'habitue à l'enfer du despotisme,
certainement pas aux massacres à la rwandaise !
Or, les démons de
la violence et de la haine hantent à nouveau la Côte d'Ivoire. Comme en
2000, le pays va se couper en deux, il va brûler comme une paille, plus
rien ne peut l'empêcher. La faute à qui ? Au monde entier et d'abord et
avant tout à cette fameuse communauté internationale qui n'est jamais
mieux dans son rôle que quand elle rallume les incendies qu'elle est
censée éteindre.
Formellement, ce "machin"
derrière lequel se cachent les grosses griffes des Etats-Unis et de
l'Union européenne ne pèse pas plus que le poids d'un arbitre. Son rôle
se limite à prévenir les conflits et à proposer une solution négociée
lorsque ceux-ci s'avèrent inévitables. Aucune circonstance
exceptionnelle ne lui permet de déborder de ce cadre-là. C'est du moins
ce que croyaient les néophytes, les sorciers de la diplomatie, eux ne
manquant jamais d'arguments pour justifier l'injustifiable.
Disons-le
clairement : l'ONU n'a pas à décider qui est élu et qui ne l'est pas à
la tête d'un pays (le cas ivoirien compte peu en l'occurrence). Le
faisant, elle outrepasse ses droits, ce qui lui arrive de plus en plus.
Au point que derrière le langage feutré de ses diplomates, on distingue
des bruits de bottes coloniales. A la manière dont Barack Obama, Nicolas
Sarkozy ou Ban Ki-moon, traite ce pauvre Laurent Gbagbo, on croit
revoir Gosier-d'Oiseau (célèbre personnage du Vieux nègre et la
médaille, roman du Camerounais Ferdinand Oyono) transpirer sous son
casque en engueulant ses nègres dans une plantation d'Oubangui-Chari.
Nous
ne soutenons pas Laurent Gbagbo, nous nous contentons de rappeler un
principe. D'ailleurs, le pestiféré d'Abidjan n'a pas besoin de notre
soutien : l'arrogance des chancelleries et l'hystérie des médias
travaillent pour lui. La diabolisation dont il est l'objet a fini par le
rendre sympathique aux yeux de ses pires détracteurs. "A force de jeter une grenouille de plus en plus loin, on finit par la jeter dans une mare", dit un proverbe peul...
Nous
ne contestons pas non plus l'élection d'Alassane Ouattara (nous sommes
même convaincus que psychologiquement et techniquement, il est mieux
outillé que n'importe lequel de ses concurrents pour gouverner). Nous
disons simplement que le rôle de la communauté internationale ne revient
pas à prendre des positions partisanes et à se répandre en déclarations
intempestives encore moins dans une situation aussi explosive que celle
de la Côte d'Ivoire. Pourquoi le défi et la menace du canon là où la
discrétion, la ruse, la prudence et le tact bref, l'art de la
diplomatie, auraient suffi ?
Nous n'allons pas apprendre à des
géopoliticiens de métier que la Côte d'Ivoire est la pierre angulaire de
la sous-région et que, si elle sombre, elle risque d'entraîner ses
voisins, alors que la Guinée tente une périlleuse expérience
démocratique et que Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) a déjà ses
sanctuaires au Burkina Faso et au Mali. La situation paraît d'autant
inquiétante qu'il plane sur la région un "non-dit" tribal lourd de menaces pour l'avenir : tout sauf un Dioula au pouvoir à Abidjan ; tout sauf un Peul au pouvoir à Conakry.
La
Côte d'Ivoire mérite-t-elle de brûler pour les besoins des statistiques
ou pour les beaux yeux de Laurent Gbagbo ou d'Alassane Ouattara ? Non,
assurément non !
Henri Konan Bédié, Laurent Gbagbo, Alassane
Ouattara, où est la différence ? Ils forment le trio maléfique qui a
ruiné le pays d'Houphouet-Boigny. A Bédié, le poison de l'ivoirité, à
Ouattara, celui de la sécession, à Gbagbo celui de la confiscation du
pouvoir. Chacun de ces caids a montré combien il était prêt à sacrifier
sa patrie au profit de son pouvoir personnel. De ce point de vue, ils
n'ont rien d'exceptionnel.
La quasi-totalité des chefs d'Etat
africains sont au pouvoir à la suite d'un putsch sanglant ou d'une
élection truquée. Une loi non écrite permet à chacun de tuer, de voler
et de tricher pour arriver au pouvoir. La nouveauté, ce sont les "scrupules"
avec lesquels les grands de ce monde regardent cela. Congo, Rwanda,
Somalie, jusqu'ici ils ont encouragé les trucages électoraux et les
putschs et fermé les yeux sur les pires atrocités au gré de leurs
intérêts. Et voilà que ces messieurs sont soudain pris d'un excès
d'états d'âme !
Eh bien, s'ils sont devenus aussi vertueux qu'ils
le prétendent, pourquoi ne vont-ils pas fouiller dans les cuisines
électorales du Burkina, de la Tunisie ou de l'Egypte ? Sont-ils sûrs que
les dynasties présidentielles du Gabon et du Togo sont sorties de la
vérité des urnes ? Se seraient-ils comportés ainsi s'il s'était agi de
l'Iran, de la Birmanie ou de la Chine ?
Ce raffut fait autour de
Ouattara est tel qu'il en devient suspect. Que veut sauver la communauté
internationale, à la fin : la Côte d'Ivoire ou un de ses protégés ?
Ouattara et Gbagbo sont les loups-jumeaux de la politique ivoirienne :
même teint, même sourire carnassier, même poids électoral (l'un
contrôlant la Commission électorale et l'autre la Cour suprême). Il y a
cependant entre eux une différence de taille : le carnet d'adresses.
Dans le monde mesquin et corrompu qui est le nôtre, plus besoin de
formule magique, ce joujou-là suffit à ouvrir les plus secrets des
sésames.
Ancien directeur adjoint du Fonds monétaire
international (FMI), Ouattara se trouve au coeur du complexe réseau qui
gouverne ce monde alors que, modeste professeur d'histoire, Gbagbo,
hormis un bref exil à Paris, n'est jamais sorti de chez lui. Ce petit
détail-là explique mieux que tout (les longs couplets sur la démocratie
par exemple) pourquoi une simple élection africaine a pris une dimension
mondiale. Le village global est bel et bien là : la planète des copains
et des coquins ! Et ses lois s'appliquent partout aussi bien en Côte
d'Ivoire que dans la Guinée voisine où, Alpha Condé, le président "élu" est un ami des présidents africains et un vieil habitué des ministères parisiens.
"Je ne me vois pas échouer cette élection",
affirma le nouveau président guinéen au lendemain du premier tour alors
qu'il accusait un retard de près de 25 points sur son concurrent. Il ne
croyait pas si bien dire : l'élection fut prolongée de cinq mois, le
temps sans doute que le "bon" candidat soit prêt avec à
la clé, l'incendie de la Commission nationale électorale indépendante,
les vols du fichier informatique, le tout suivi d'un véritable nettoyage
ethnique. Il n'y eut aucune enquête et ces sourcilleux jurés de la
communauté internationale n'y trouvèrent rien à redire. Comme pour
confirmer ce que tout le monde savait déjà : pour être élu en Afrique,
pas besoin de mouiller la chemise. Avec un peu de chance et quelques
copains bien placés à l'ONU, à la Maison Blanche, à l'Elysée ou au Quai
d'Orsay, vous êtes sûr de passer même à 18 %.
Tierno Monénembo, écrivain guinéen, Prix Renaudot 2008 pour "Le Roi de Kahel" (Seuil)