L'ONU dénonce la détention d'une avocate française au Cameroun
Lydienne Yen-Eyoum sur une photo diffusée par sa famille en octobre 2014. (Photo AFP)
RÉCIT
Lydienne Yen Eyoum a eu ce mardi une bonne et une mauvaise nouvelle : les Nations unis ont dénoncé son arrestation, mais la Cour suprême du pays a confirmé sa condamnation, l'abandonnant à son sort dans la sinistre prison de Kondengui, à Yaoundé. «Libération» est l'un des rares médias occidentaux à l'avoir visitée.
C’était en décembre, dans la cour de la redoutable prison de Kondengui, à Yaoundé. Au moment des adieux, une femme frêle et encore élégante (malgré les conditions de détention) était soudain prise de tremblements, au bord des larmes : Lydienne Yen Eyoum avait du mal à maîtriser son émotion alors que ses visiteurs allaient franchir le portail, la laissant seule dans cette prison aux allures de mouroir.
«Je n’en peux plus… Chaque nuit, j’entends les rats dans le plafond. Je me force chaque jour à bien m’habiller mais la vie quotidienne est très dure, j’ai toujours du mal à réaliser comment ma vie s’est effondrée du jour au lendemain», expliquait-elle à bout de nerfs.
Six mois plus tard, Lydienne Yen Eyoum vient d’apprendre que le dernier recours a échoué : ce mardi matin, la Cour suprême camerounaise a confirmé sa condamnation à 25 ans de prison. Incarcérée depuis janvier 2010, condamnée après un procès incohérent en septembre 2014, cette avocate (française depuis son mariage) a toujours clamé son innocence.
La cellule africaine de l’Elysée critiquée pour son inaction
Hasard du calendrier ? Le jour même où la Cour suprême détruisait son dernier espoir de mettre un terme à son cauchemar, le Conseil des droits de l’homme des Nations unis, saisi par ses avocats, rend enfin son avis, déclarant «illégales» et «arbitraires» l’arrestation et la détention de la Franco-Camerounaise. Est-ce que ce sera suffisant pour faire flancher les ombrageuses autorités camerounaises ?
Difficile à prévoir, tant de nombreuses démarches ont déjà échoué. Initiées aussi bien par le sénateur français Jean-Yves Leconte (PS), le Syndicat des avocats de France, son comité de soutien en France ou son énergique avocate parisienne, Caroline Wassermann, qui avoue n’avoir pas toujours eu l’impression d’être écoutée. Tant par la cellule africaine de l’Elysée (où Hélène Le Gal aurait «refusé de la rencontrer») que par la juge française Sabine Kheris en charge du dossier depuis l’ouverture d’une instruction en France sur cette affaire en 2011, et qui visiblement s’acharne… à ne rien faire.
Une arrestation litigieuse en 2010
Que reproche-t-on à Lydienne Yen Eyoum qui, jusqu’en 2010, était l’une des plus brillantes avocates au barreau de Douala, la capitale économique du Cameroun ?
Peut-être tout simplement d’avoir refusé de fermer les yeux sur un deal à l’amiable entre le gouvernement camerounais et la filiale camerounaise de la Société générale. Ce n’est qu’une hypothèse, qui circule à Yaoundé, mais le silence de la banque, comme celui de sa maison mère française, est flagrant.
Le plus cocasse dans cette affaire pourtant tragique, c’est que Lydienne était l’avocate de l’Etat camerounais. Chargée depuis 2004 de récupérer des sommes dues par la filiale de la Société générale dans un contentieux qui opposait le Cameroun à la banque. L’avocate réussit ainsi à récupérer 3,6 milliards de francs CFA (autour de 5 millions d’euros). Et, comme c’est l’usage, en déduit frais de justice et d’avocat. Les fonds litigieux proviennent bien de la partie perdante et non de l’Etat. Et pourtant, en 2010, la voilà arrêtée à grand renfort d’hommes armés déployés autour de sa maison et expédiée dans la prison de Kondengui.
Elle y restera quatre ans et demi en détention provisoire (alors que la durée maximum est de 18 mois) avant d’être jugée et condamnée. Son recours auprès de la Cour suprême était sa dernière carte.
Kondengui, une prison surpeuplée
Entrer à Kondengui n’est pas aisé, surtout pour un visiteur blanc. Mais une fois passé le barrage des gardiens, on a l’impression de pénétrer (sans fouille cependant) dans le premier cercle de l’enfer : la surpopulation est suffocante, mais il faut bien traverser la première cour envahie de jeunes hommes désœuvrés et particulièrement nerveux. Puis il faut longer un couloir en plein air, mais nauséabond, qui abrite notamment l’infirmerie, où les corps des malades décédés pourrissent parfois pendant plusieurs jours.
Le quartier des femmes n’est guère mieux loti, et dans les premiers mois de sa détention, Lydienne a dû y affronter des codétenues particulièrement agressives, qui prenaient ainsi leur revanche sociale avec cette avocate venue des beaux quartiers. Il y a pourtant aussi un vague «carré VIP» (rien d’un quatre-étoiles), où l’on croise quantité de ministres et de notables.
Tous sont tombés comme Lydienne Yen Eyoum, au nom de cette pseudo-opération mains propres, baptisée «Epervier», grâce à laquelle l’inamovible Paul Biya (au pouvoir depuis 1984) s’est en réalité débarrassé d’alliés devenus encombrants ou moins dociles.
«Le Cameroun est une dictature législative qui présente un visage légaliste mais qui se sert surtout de tout un arsenal de lois pour réduire au silence et écraser ceux qui gênent le Président», soulignait en décembre le journaliste Jean-Bosco Talla dans un café de Yaoundé.
Que va faire la France ?
«Ma cliente est innocente et elle est aussi française, et j’espère que la décision de la Cour suprême camerounaise, mais surtout la condamnation du Cameroun par l’ONU dans cette affaire, vont inciter les autorités françaises à me recevoir enfin, et à réagir», déclarait mardi après-midi Me Caroline Wassermann.
Lydienne est française, oui. Mais pas de naissance, et noire. Sans cynisme, on verra vite si ces critères ne sont pas de nature à émousser les réactions. Et si les autorités françaises sauront réagir, au risque de déplaire à un régime considéré comme un allié dans la lutte contre le terrorisme et notamment contre la secte islamiste Boko Haram, qui sévit au Nigeria voisin.