L'Arche de Zoé «allait faire son marché en Afrique»
Le deuxième jour du procès a mis en lumière les dessous de cette opération pseudo humanitaire. Quand on lui avait parlé de la détresse des jeunes orphelins du Darfour, le sang d'Isabelle Rile n'avait fait qu'un tour. Quinze jours après, le 29 septembre 2007, elle était dans l'avion qui la conduisait au Tchad, à Abéché plus précisément, où Éric Breteau avait installé un camp pour accueillir ces mineurs. Mais, une fois sur place, cette femme énergique, médecin urgentiste de profession, avait vite déchanté…
Au deuxième jour du procès à Paris des membres de L'Arche de Zoé qui avaient tenté d'exfiltrer 103 enfants vers la France, Isabelle Rile a relaté les épisodes qui l'avaient inquiétée. Comme d'autres témoins entendus la veille, elle aussi s'était aperçue que les enfants n'étaient pas orphelins. Voyant que l'un d'eux pleurait, elle avait demandé l'assistance d'un traducteur pour le faire parler. C'est ainsi qu'elle avait découvert qu'il avait une mère.
Surtout, ce témoignage souligne un autre aspect choquant de l'affaire. Alors qu'elle avait compris que ces enfants de 3 à 5 ans devaient quitter le Tchad pour être accueillis en France par des familles, Isabelle Rile avait découvert qu'il s'agissait de les adopter. Et que, sur place, deux bénévoles, aujourd'hui sur le banc des prévenus, le médecin Philippe Van Winkelberg et Alain Peligat, profitaient de leurs activités pour, au passage, se choisir les enfants qu'ils garderaient pour eux.
«On en déduit qu'ils allaient faire leur marché en
Afrique», résume la présidente, Marie-Françoise Guidolin. Le témoin,
qui ne la contredit pas, raconte ainsi les conversations qu'elle avait
surprises entre ces deux hommes au sujet notamment d'une petite fille.
Et dans ce qui apparaît comme une foire aux petits Africains, Isabelle
Rile était sommée de multiplier les tests HIV.
«Mascarade»
Drôle de manière de concevoir l'humanitaire: ceux qui étaient bien portants étaient sélectionnés pour regagner le France, mais ceux qui auraient eu besoin de soins ne devaient pas être du voyage. «J'en avais assez de faire sans cesse ces prélèvements», indique le témoin, qui avait aussi réalisé que ces jeunes pousses ignoraient leur vrai sort. «Ils pensaient être amenés sur le camp pour apprendre à lire», dit-elle en constatant par ailleurs que ces mineurs allaient quitter le pays sans aucune formalité administrative.
Le responsable des opérations, Éric Breteau, sa compagne, Émilie Lelouch, et quelques autres étaient écroués et condamnés à huit ans de travaux forcés avant d'être graciés. En Afrique du Sud et refusant de comparaître devant ses juges, Éric Breteau, au lieu de se faire discret, a profité du site de L'Arche de Zoé, curieusement toujours en activité, pour dire tout le mal qu'il pensait de ce procès à Paris.
En parlant de «mascarade» et en laissant entendre qu'il avait été maltraité par les autorités tchadiennes, il indique que, cette fois, «il n'y aura pas de coups de fouet ou de coups de crosse pour faire taire les accusés…» Des extraits ont été lus à l'audience. Du plus mauvais effet.