L'antiprésident contre l'hyperprésident
La
campagne présidentielle française n’a pas encore atteint toute la
sauvagerie et les rebondissements dont elle est susceptible. La défaite
de Sarkozy n’est pas garantie et ses récentes victoires contre les
sondages peuvent présager d’autres succès à venir. François Hollande, le
favori des enquêtes d’opinion a un profil que, par plusieurs côtés,
l’on n’avait jamais vu à un président français.
Ainsi apparaît-il, face à son rival Nicolas Sarkozy, comme un antiprésident : non pas seulement parce qu’il veut prendre la place du président, mais surtout en raison de l’histoire même de l’émergence de sa candidature, qui en fait un ersatz de Strauss-kahn, un candidat de substitution d’une France déçue, mais pas forcément désespérée.
Il y a plusieurs causes légitimes à l’échec et par suite à l’impopularité de Nicolas Sarkozy, à la fin de son premier mandat. Sa difficulté, par-delà la conjoncture, est avant tout structurelle, liée à cette mentalité française de la grogne et de l’insatisfaction. Elle vient de ce que, contrairement aux Camerounais par exemple, qui reçoivent des promesses sans en toujours réclamer l’exécution, les Français ne savent pas laisser de répit à ceux qui sollicitent leurs suffrages et les obtiennent.
« Qu’ils me détestent pourvu qu’ils me craignent »
Nicolas
Sarkozy a toujours eu un charisme clivant, il se fait aimer en divisant
les Français. Déjà au plus fort de sa popularité en 2007, il suscitait
une sorte de répulsion chez de millions de Français, au point d’avoir
fait l’objet d’attaques inouïes. On a parlé de la fin de la France s’il
arrivait au pouvoir (en raison de ses origines hongroises), de Sarko le
fasciste, etc…
Mais la gestuelle, le ton, la physionomie, les discours de Nicolas Sarkozy savent s’adapter aux idées et aux affections de tous ceux qu’il aborde. Beaucoup de ses partisans croyaient il y a encore quelques semaines que l’enjeu était d’éviter à l’Ump et à son président-candidat l’humiliation d’un effondrement historique. Les derniers sondages ont enflammé le zèle des sarkozystes
Sa magnanimité antérieure envers les très riches fait en sorte qu’il a une plus grande capacité que François Hollande à envisager des réformes difficiles sans s’aliéner le soutien des grandes fortunes. Les puissants savent pouvoir trouver en lui un défenseur de leur autorité, il peut donc s’engager plus avant dans la conquête de la bienveillance des classes moyennes françaises.
S’il suffisait d’être aimé pour être président de la république Yannick Noah, Omar Sy ou bien Nicolas Hulot seraient en pôle position pour présider la France. Ils peuvent très bien le détester mais ils finiront par réélire ce bon diable de Sarkozy, talentueux malgré tout.
Hollande et Strauss-Kahn : la différente « même chose »
François Hollande est un homme différent, pas si nouveau que ça. Le peuple, lui, est surtout séduit par l’idée de nouveauté ; et Sarkozy, mieux que son challenger, a quelque chose de protéiforme, de dynamique, qui le pose sans cesse comme l’homo novus. En 1974, François Mitterrand avait largement devancé Valery Giscard D’Estaing au premier tour, mais ce dernier l’avait finalement emporté au second tour d’une courte tête.
La victoire de Sarkozy pourrait bien être du même goût, quoi qu’en dise l’arithmétique des sondages, très rigoureuse en apparence, on peut l’accommoder suivant telle ou telle stratégie argumentative ; il s’agit d’une science sociale non pas de géométrie ou de physique. Ce que les dernières enquêtes permettent surtout de mesurer, c’est que : Sarkozy is back ! Paul Biya est là, à Mvomeka’a, qui lui dit : même pas peur !
Contrairement à Nicolas Sarkozy, François Hollande est entouré d’un aréopage de personnalités qui se croient toutes meilleures que lui, de jeunes loups, d’anciens ministres qui pour l’essentiel n’auraient jamais, il y a an, parié un sou vaillant sur l’ancien Premier secrétaire socialiste.
Son porte-parole, Manuel Valls était son opposant dans les primaires socialistes. Laurent Fabius ("vous imaginez François Hollande président? on rêve...") Il a pour directeur de campagne, l’ancien porte-étendard le plus fervent de la strausskhanie : Pierre Moscovici. Celui-ci s’est payé le luxe d’un lapsus magnifique (« tout sauf Hollande ») qui ne va pas sans rappeler la boutade prémonitoire d’Arnaud Montebourg (« le seul défaut de Ségolène, c’est Hollande ») en 2007.
La France boira Sarkozy jusqu'à la lie
On peut regrouper en dix points les « arguments » pour conforter l’intuition d’une réélection prochaine du président-candidat Nicolas Sarkozy.
1 – Cela a souvent été dit : Hollande n’a jamais eu d’expérience ministérielle. C’est un handicap évident dans l’exercice de la fonction de président, mais, bien avant, dans l’acquisition d’une crédibilité. Ce n’est pas tout d’être apte à exercer cette fonction suprême, il faut encore que le peuple vous en sache capable : Ici, l’être et le paraître fusionnent sans fin.
2 – Il n’est pas marié, milite pour le mariage gay (les Français aussi dans leur immense majorité, disent les sondages). La France est laïque, limite irréligieuse, et plutôt libérale la plupart du temps, seulement la France s’est aussi arcboutée sur certaines valeurs séculaires et a très peu tendance à avouer son conservatisme.
3 - Nicolas Sarkozy est soutenu par ses pairs européens et a par ailleurs une vraie stature internationale. Au même temps Hollande n’est reçu que par les seconds couteaux, aucun grand dirigeant ne veut le recevoir, il n’est arrivé à poser avec personne, et ce n’est pas faute d’avoir essayé.
4 –François Hollande est un peu trop lisse, presque « mou », studieux (avec ses lunettes de premier de la classe). Il semble bien honnête homme, mais il ne semble pas suffisamment convaincu et n’a fait que convaincre depuis des mois ceux qui avaient déjà tourné le dos à Nicolas Sarkozy ou les indécrottables convertis du parti socialiste. La fonction de président de la République est une fonction exceptionnelle et l’on n’attend pas d’abord d’un président de la République qu’il soit vertueux et sans aspérités.
5 – Il a perdu du poids et ses points dans les sondages s’en sont favorablement ressentis. Que n’a-t-il pas, comme Eva Joly, provisoirement abandonné sa paire de lunettes qui le rend si studieux (impossible de prouver que cela est rédhibitoire, mais c’est une qualité qui irait comme un gant au premier ministre qu’il n’a jamais été).
6 – La chute de Strauss-Kahn ne saurait s’arrêter à l’effondrement personnel de l’homme. Il y a cette intuition qu’au second tour, les attaques contre le candidat socialiste se préciseront, de même que le doute dans l’esprit de ses supporters.
7 – La tuerie de Toulouse donne artificiellement raison à Sarkozy et il en profitera probablement dans les sondages, fût-ce marginalement. Ils ne s’y trompent pas ses rivaux qui l’attaquent à bras raccourcis à seule fin de prévenir un report des voix (celles des indécis) vers Nicolas Sarkozy. Il reste que si le chômage est la première préoccupation des Français, c’est en partie parce qu’ils ont le sentiment que la sécurité minimale leur est assurée, si cette idée est remise en cause par les faits, il est probable que le second tour soit focalisé sur l’immigration et la sécurité.
8 – Kadhafi a été exécuté par l’Otan, mais il a été remplacé par des dirigeants redevables à vie et tout acquis à Sarkozy ; Omar Bongo est mort, mais la France a adoubé Ali Bongo ; Laurent Gbagbo a été défait, et Alassane Ouattara est tellement lié qu’il braderait l’île Boulay (dans la lagune d’Abidjan) si cela pouvait aider au financement de la campagne de Sarkozy… Quand on sait l’importance des fonds occultes, des mallettes non identifiées, des sommes d’argent intraçables, on se doute bien que, financièrement, Sarkozy a une marge de manœuvre virtuelle susceptible d’impacter soudainement la bienveillance du peuple français par une manipulation que l’on ne saurait pas définition prédire.
9 – François Hollande sera de plus en plus fatigué, comme on peut le voir dans sa photo « pas très sympa » parue dans Libération le 15 mars dernier. Il ne peut pas tout miser sur le rejet dont Sarkozy est l’objet, sur la désaffection des Français qui voudraient le sanctionner d’avoir sauvé la Lybie, la Côte d’Ivoire, mais pas la France.
10 – Nicolas Sarkozy au-delà de son livre à venir, a sûrement quelques « bombes » dans sa manche,
contre son principal rival, qui jusque-là a été plutôt épargné, eu
égard à tout ce qui pourrait se dire, allusivement notamment aux
affaires Strauss-Kahn.
Entre un Nicolas Sarkozy que l’on
affuble d’un préfixe excessif (hyper) mais que l’on accuse
paradoxalement, dans les mêmes phrases, de n’avoir pas toujours été à la
hauteur (et pour cause, c’est quand même le plus petit à avoir jamais
été à l’Elysée), d’avoir rabaissé la fonction (« casse-toi pauvre con ! »,
etc.), entre un tel homme et un François Hollande dont le profil par
trop innovant ne le rend pas a priori suffisamment normal pour la
fonction de président de la République française, l’issue du scrutin du
06 mai prochain n’est pas décidée. Les Français eux-mêmes n’en savent
rien, mais vu d’Afrique, avec tout le recul qui est le nôtre, avantage
est donné à Sarkozy.
Eric Essono Tsimi, Ecrivain
tsimi@hotmail.com