L'affaire Teyou-Chantal Biya ou la résurrection du njockmassi
... Chantal Biya est une fille de joie qui ne dit pas non à une liaison, fût-elle éphémère, qui pourrait améliorer sa condition de vie. Elle n’est pas loin de la putain de la République...
Chaque
Camerounais devrait suivre avec une attention particulière les
péripéties de l’affaire Teyou-Chantal Biya. Pas à cause du livre de 111
pages La Belle de la République bananière : Chantal Biya, de la rue au
palais qui a mis en branle l’arrestation de l’écrivain, car ce livre
n’est pas interdit et n’avait d’ailleurs été lu par personne avant que
n’éclate le scandale de l’arrestation de son auteur. Pas non plus à
cause du double crime – ‘outrage à personnalité’ et ‘manifestation illégale’ – qu’on reproche à son auteur, car aucune plainte n’a jamais été déposée contre lui par la prétendue victime.
C’est
que Bertrand Teyou n’a pas été condamné à une peine d’emprisonnement.
Alors, me demanderez-vous, que fait-il donc embastillé dans la prison
centrale de New Bell où il réside depuis novembre 2010 ? Tel est le nœud
de la question, et tel se résume déjà le paradoxe qui fait de son sort
une métaphore de notre condition à tous sous le régime des grandes
ambitions. Car, selon les termes de son mandat d’incarcération, il a
plutôt été condamné à payer la somme de 2 millions 30150 fcfa au titre
d’amende et des dépens de la procédure.
Qu’a-t-il fait ? Il a
écrit un essai, tout simplement. Un essai dans lequel, parlant de la
jeune fille d’une vingtaine d’année au centre de son livre, il écrit : ‘Chantal
n’est pas une prostituée, elle ne vend pas son corps pour de l’argent.
Mais elle est une fille de joie qui ne dit pas non à une liaison,
fût-elle éphémère, qui pourrait améliorer sa condition de vie. Elle
n’est pas loin de la putain de la République , jeune fille, aux origines
modestes, qui un jour se retrouva à un sommet qui écorcha son innocence
sans jamais lui laisser la moindre trace du bonheur qu’elle
s’imaginait.’
2 millions 30150 fcfa, voilà donc la
punition réelle de Teyou, punition strictement pécuniaire qui est
cependant transformée en incarcération ‘jusqu’à son paiement intégral.’
Or, Teyou n’a pas les moyens de la payer, parce que justement, il est
incarcéré, ne peut pas travailler et donc gagner de l’argent.
Cercle vicieux créé par la loi infâme au nom de laquelle il est en
prison, car il s’agit d’une contrainte par corps qui, à y voir de près,
aurait dû pourtant satisfaire tout le monde si Teyou avait payé. D’abord
le trésorier public qui aurait rempli ses caisses sans avoir besoin de
lever des impôts inutiles ; le juge Rachel Fotso du tribunal de première
instance de Douala-Bonanjo ensuite qui aurait su sans mauvaise
conscience, oublier le fait que le prévenu n’avait pas eu d’avocat lors
de son procès, car après tout, le gendarme qui vous file un procès
verbal ou une contravention n’attend pas que vous vous trouviez un
avocat lui non plus ! Teyou, aurait dû lui aussi sourire, lui qui au
fond sortirait de cette condamnation avec son casier judiciaire encore
intact, si seulement il avait payé !
Alors, n’est-ce pas Teyou le
problème ? diriez-vous. Pourquoi ne paye-t-il pas ? Autant que dans la
procédure qui a été bafouée du début à la fin, le nœud du problème se
trouve ici. Nous devons tous remercier Teyou, car aurait-il mobilisé
terre et ciel et payé l’amende qui lui est imposée, que personne
n’aurait vu aussi clairement cette infamie qui a été introduite dans le
Code de la procédure pénale camerounais en 2005, quand il fallait
répondre à la demande de formuler des procédures d’application des lois
qui respectent les droits humains. Or il aura suffi que le prévenu soit
insolvable, pour que soudain la machine qui automatiquement le jette en
prison se découvre dans toute son injustice : juges transformés en
écervelés gendarmes, droit de défense annulé, habeas corpus piétiné,
présomption d’innocence annulée, condamnation à la hâte.
Une
législation qui respecterait les droits humains des Camerounais aurait
reconnu la possibilité en lieu d’incarcération, de la saisie et vente
aux enchères des biens du prévenu au cas où il serait insolvable. Une
telle législation aurait donné au condamné la possibilité de payer par
tranches la somme qui lui est infligée, en lui laissant le droit de
travailler, et donc la liberté. Au bas mot, elle aurait respecté la
mémoire douloureuse des habitants de notre pays, qui ont inventé le mot ‘njockmassi’,
pour désigner ce chantier de la mort à Njock où entre 1922 et 1925, nos
grands-parents transformés en forçats parce que ne pouvant payer les
impôts de l’Etat colonial, étaient livrés aux violences les plus
abjectes que la contrainte par corps ait inventé.
Pour la petite
histoire, les Camerounais que les colons appelaient indigènes,
trouvaient l’impôt introduit par celui-ci très cher, et comme ils ne
pouvaient payer, ils étaient enlevés de leurs villages et livrés aux
travaux forcés. Ceux qui mouraient étaient enterrés sur place, parfois
dans des fosses communes. Et leurs familles ne savaient même pas ce
qu’ils étaient devenus. Les survivants et fils de survivants habitent
encore Njock et dans les environs aujourd'hui. Le code de l’indigénat a
été supprimé en 1944 au Cameroun, on le sait, et avec lui avait disparu
le cercle vicieux de la contrainte par corps. Il a fallu qu’en 2005, le
gouvernement des grandes ambitions retourne dans ce passé cruel pour le
reformuler, de manière subreptice, dans les textes de sa dictature, le
nouveau code de procédure pénale !
Mais, il a surtout fallu que
Teyou ne fût pas à même de payer les 2 millions 10350 Fcfa de rançon
imposés sur sa tête pour La Belle de la République bananière : Chantal
Biya, de la rue au palais et pour une soirée de dédicace avortée, pour
montrer à la face du monde l’injustice des textes qui nous gouvernent.
Car qu’est-ce qui justifie la condamnation pour outrage à personnalité
de l’écrivain Teyou ? Est-ce que le Juge a pris la peine de lire le
livre incriminé ? Qu’est-ce qui constitue l’outrage dans cet opuscule de
111 pages ? Est-ce parce que l’auteur aurait écrit : ‘Selon
certaines estimations, sa cagnotte personnelle atteindrait déjà la
rondelette somme de 150 milliards de francs cfa, distançant ainsi et de
loin tous les éperviables, surclassant même la baraka du King Donatien
Koagne, le roi de l’arnaque.’ ?
Le ministère public a
évité de poursuivre l’écrivain en diffamation, ou pour le délit
d’injure, car il aurait fallu la plainte préalable de la victime. Du
reste, l’auteur avait bien précisé que son héroïne n’était pas une
prostituée. Il a été poursuivi pour outrage à personnalité. Sans la
plainte de la victime comment le juge a-t-il déterminé le mot ou la
phrase outrageante dans un livre de 111 pages qu’il n’a pas lu ? Il
appartient à la victime de dire ce qui l’a outragé et non au Juge.
Comment est-il possible d’admettre que les laudateurs du régime croient
détenir le pouvoir de savoir ce qui plait ou déplait à la première dame,
dont faut-il le souligner, c’est le passé qui a été particulièrement
rapporté dans le livre de Teyou ? Un passé que vit la majorité des
filles en Afrique ?
Le
code de procédure pénale est neuf, mais il est déjà vieux dans ses
racines malfaisantes. Il était supposé nous libérer des années de
l’arbitraire et faciliter l’inscription dans nos lois du respect de la
personne. Il a remis cependant dans ses textes des injustices coloniales
que nous croyions oubliées. Il suffit de payer, dit-on à Bertrand Teyou
aujourd’hui, pour sortir de prison et être libre. Oui, il suffisait
aussi de payer durant la période coloniale, et alors nos grands-parents
pouvaient éviter les travaux forcés, la prison ou la chicotte ! Cette
économie de l’extorsion qui en 1925 exigeait aux habitants de Douala, de
Nkongsamba et de Yaoundé de verser 2 francs par journée au trésor
public pour éviter la contrainte par corps, demande aujourd’hui à un
écrivain de verser deux millions ‘au profit de l’Etat’,
sinon de passer deux ans en prison. Nos grands-parents, au lieu de
payer, avaient choisi de détruire le système colonial. Allons-nous être
plus poltrons qu’eux ? Ah, ce que l’affaire Teyou-Chantal Biya nous
montre plus que tout, c’est combien les grandes ambitions veulent nous
transformer en indigènes, et s’enrichir à nos dépens.
Plus grave,
sur le plan du droit, ce procédé cruel qui consiste à mettre en prison
un condamné à l’amende alors que courent les délais d’appel est une
violation flagrante de la présomption d’innocence. C’est un recul par
rapport à la législation ancienne qui n’autorisait plus la contrainte
par corps. Comment le citoyen face à la justice peut-il être contraint
de payer les causes de la première condamnation alors qu’il lui reste la
possibilité d’introduire son recours pour faire annuler la condamnation
injuste ? En effet au regard de la loi, le prévenu reste présumé
innocent tant que sa condamnation n’est pas devenue définitive. Il est
donc présumé innocent et de ce point de vue ne doit pas être contraint
d’exécuter la sentence du premier juge. Or au Cameroun, vous ne sortez
pas de la salle d’audience tant que vous n’avez pas payé la rançon.
Cela est parfaitement illégale et Teyou a bien fait de résister à
cette loi injuste. De même, si Teyou avait eu les moyens de payer, il ne
fallait pas le faire car le faire c’est encourager les prédateurs à
continuer leur basse besogne qui consiste à exploiter jusqu’aux os les
pauvres Camerounais pour s’enrichir. Ce qui arrive à Teyou peut arriver à
tout le monde et nous devons nous opposer à cette loi injuste.
Ce
régime qui fait de l’argent son centre unique d’intérêt met les
Camerounais en otage par sa justice. Désormais vous leur payez de
l’argent ou vous allez en prison, comme hier à Njockmassi ! Cela est
inacceptable et nous devons rejeter ce chantage à la liberté, comme nos
parents avant nous l’ont refusé aux colons blancs.
*Ecrivain, pour le Coliberte
**Avocat au barreau du Cameroun