L'affaire Teyou-Chantal Biya ou la résurrection du njockmassi

Patrice Nganang* et Me Jean de Dieu Momo**
Le Messager



... Chantal Biya est une fille de joie qui ne dit pas non à une liaison, fût-elle éphémère, qui pourrait améliorer sa condition de vie. Elle n’est pas loin de la putain de la République...

Chaque Camerounais devrait suivre avec une attention particulière les péripéties de l’affaire Teyou-Chantal Biya. Pas à cause du livre de 111 pages La Belle de la République bananière : Chantal Biya, de la rue au palais qui a mis en branle l’arrestation de l’écrivain, car ce livre n’est pas interdit et n’avait d’ailleurs été lu par personne avant que n’éclate le scandale de l’arrestation de son auteur. Pas non plus à cause du double crime – ‘outrage à personnalité’ et ‘manifestation illégale’ – qu’on reproche à son auteur, car aucune plainte n’a jamais été déposée contre lui par la prétendue victime.

C’est que Bertrand Teyou n’a pas été condamné à une peine d’emprisonnement. Alors, me demanderez-vous, que fait-il donc embastillé dans la prison centrale de New Bell où il réside depuis novembre 2010 ? Tel est le nœud de la question, et tel se résume déjà le paradoxe qui fait de son sort une métaphore de notre condition à tous sous le régime des grandes ambitions. Car, selon les termes de son mandat d’incarcération, il a plutôt été condamné à payer la somme de 2 millions 30150 fcfa au titre d’amende et des dépens de la procédure.

Qu’a-t-il fait ? Il a écrit un essai, tout simplement. Un essai dans lequel, parlant de la jeune fille d’une vingtaine d’année au centre de son livre, il écrit : ‘Chantal n’est pas une prostituée, elle ne vend pas son corps pour de l’argent. Mais elle est une fille de joie qui ne dit pas non à une liaison, fût-elle éphémère, qui pourrait améliorer sa condition de vie. Elle n’est pas loin de la putain de la République , jeune fille, aux origines modestes, qui un jour se retrouva à un sommet qui écorcha son innocence sans jamais lui laisser la moindre trace du bonheur qu’elle s’imaginait.’

2 millions 30150 fcfa, voilà donc la punition réelle de Teyou, punition strictement pécuniaire qui est cependant transformée en incarcération ‘jusqu’à son paiement intégral.’ Or, Teyou n’a pas les moyens de la payer, parce que justement, il est incarcéré, ne peut pas travailler et donc gagner de l’argent.

Cercle vicieux créé par la loi infâme au nom de laquelle il est en prison, car il s’agit d’une contrainte par corps qui, à y voir de près, aurait dû pourtant satisfaire tout le monde si Teyou avait payé. D’abord le trésorier public qui aurait rempli ses caisses sans avoir besoin de lever des impôts inutiles ; le juge Rachel Fotso du tribunal de première instance de Douala-Bonanjo ensuite qui aurait su sans mauvaise conscience, oublier le fait que le prévenu n’avait pas eu d’avocat lors de son procès, car après tout, le gendarme qui vous file un procès verbal ou une contravention n’attend pas que vous vous trouviez un avocat lui non plus ! Teyou, aurait dû lui aussi sourire, lui qui au fond sortirait de cette condamnation avec son casier judiciaire encore intact, si seulement il avait payé !

Alors, n’est-ce pas Teyou le problème ? diriez-vous. Pourquoi ne paye-t-il pas ? Autant que dans la procédure qui a été bafouée du début à la fin, le nœud du problème se trouve ici. Nous devons tous remercier Teyou, car aurait-il mobilisé terre et ciel et payé l’amende qui lui est imposée, que personne n’aurait vu aussi clairement cette infamie qui a été introduite dans le Code de la procédure pénale camerounais en 2005, quand il fallait répondre à la demande de formuler des procédures d’application des lois qui respectent les droits humains. Or il aura suffi que le prévenu soit insolvable, pour que soudain la machine qui automatiquement le jette en prison se découvre dans toute son injustice : juges transformés en écervelés gendarmes, droit de défense annulé, habeas corpus piétiné, présomption d’innocence annulée, condamnation à la hâte.

Une législation qui respecterait les droits humains des Camerounais aurait reconnu la possibilité en lieu d’incarcération, de la saisie et vente aux enchères des biens du prévenu au cas où il serait insolvable. Une telle législation aurait donné au condamné la possibilité de payer par tranches la somme qui lui est infligée, en lui laissant le droit de travailler, et donc la liberté. Au bas mot, elle aurait respecté la mémoire douloureuse des habitants de notre pays, qui ont inventé le mot ‘njockmassi’, pour désigner ce chantier de la mort à Njock où entre 1922 et 1925, nos grands-parents transformés en forçats parce que ne pouvant payer les impôts de l’Etat colonial, étaient livrés aux violences les plus abjectes que la contrainte par corps ait inventé.

Pour la petite histoire, les Camerounais que les colons appelaient indigènes, trouvaient l’impôt introduit par celui-ci très cher, et comme ils ne pouvaient payer, ils étaient enlevés de leurs villages et livrés aux travaux forcés. Ceux qui mouraient étaient enterrés sur place, parfois dans des fosses communes. Et leurs familles ne savaient même pas ce qu’ils étaient devenus. Les survivants et fils de survivants habitent encore Njock et dans les environs aujourd'hui. Le code de l’indigénat a été supprimé en 1944 au Cameroun, on le sait, et avec lui avait disparu le cercle vicieux de la contrainte par corps. Il a fallu qu’en 2005, le gouvernement des grandes ambitions retourne dans ce passé cruel pour le reformuler, de manière subreptice, dans les textes de sa dictature, le nouveau code de procédure pénale !

Mais, il a surtout fallu que Teyou ne fût pas à même de payer les 2 millions 10350 Fcfa de rançon imposés sur sa tête pour La Belle de la République bananière : Chantal Biya, de la rue au palais et pour une soirée de dédicace avortée, pour montrer à la face du monde l’injustice des textes qui nous gouvernent. Car qu’est-ce qui justifie la condamnation pour outrage à personnalité de l’écrivain Teyou ? Est-ce que le Juge a pris la peine de lire le livre incriminé ? Qu’est-ce qui constitue l’outrage dans cet opuscule de 111 pages ? Est-ce parce que l’auteur aurait écrit : ‘Selon certaines estimations, sa cagnotte personnelle atteindrait déjà la rondelette somme de 150 milliards de francs cfa, distançant ainsi et de loin tous les éperviables, surclassant même la baraka du King Donatien Koagne, le roi de l’arnaque.’ ?

Le ministère public a évité de poursuivre l’écrivain en diffamation, ou pour le délit d’injure, car il aurait fallu la plainte préalable de la victime. Du reste, l’auteur avait bien précisé que son héroïne n’était pas une prostituée. Il a été poursuivi pour outrage à personnalité. Sans la plainte de la victime comment le juge a-t-il déterminé le mot ou la phrase outrageante dans un livre de 111 pages qu’il n’a pas lu ? Il appartient à la victime de dire ce qui l’a outragé et non au Juge. Comment est-il possible d’admettre que les laudateurs du régime croient détenir le pouvoir de savoir ce qui plait ou déplait à la première dame, dont faut-il le souligner, c’est le passé  qui a été particulièrement rapporté dans le livre de Teyou ? Un passé que vit la majorité des filles en Afrique ?

Le code de procédure pénale est neuf, mais il est déjà vieux dans ses racines malfaisantes. Il était supposé nous libérer des années de l’arbitraire et faciliter l’inscription dans nos lois du respect de la personne. Il a remis cependant dans ses textes des injustices coloniales que nous croyions oubliées. Il suffit de payer, dit-on à Bertrand Teyou aujourd’hui, pour sortir de prison et être libre. Oui, il suffisait aussi de payer durant la période coloniale, et alors nos grands-parents pouvaient éviter les travaux forcés, la prison ou la chicotte ! Cette économie de l’extorsion qui en 1925 exigeait aux habitants de Douala, de Nkongsamba et de Yaoundé de verser 2 francs par journée au trésor public pour éviter la contrainte par corps, demande aujourd’hui à un écrivain de verser deux millions ‘au profit de l’Etat’, sinon de passer deux ans en prison. Nos grands-parents, au lieu de payer, avaient choisi de détruire le système colonial. Allons-nous être plus poltrons qu’eux ? Ah, ce que l’affaire Teyou-Chantal Biya nous montre plus que tout, c’est combien les grandes ambitions veulent nous transformer en indigènes, et s’enrichir à nos dépens.

Plus grave, sur le plan du droit, ce procédé cruel qui consiste à mettre en prison un condamné à l’amende alors que courent les délais d’appel est une violation flagrante de la présomption d’innocence. C’est un recul par rapport à la législation ancienne qui n’autorisait plus la contrainte par corps. Comment le citoyen face à la justice peut-il être contraint de payer les causes de la première condamnation alors qu’il lui reste la possibilité d’introduire son recours pour faire annuler la condamnation injuste ? En effet au regard de la loi, le prévenu reste présumé innocent tant que sa condamnation n’est pas devenue définitive. Il est donc présumé innocent et de ce point de vue ne doit pas être contraint d’exécuter la sentence du premier juge. Or au Cameroun, vous ne sortez pas de la salle d’audience tant que vous n’avez pas payé la rançon.

Cela est parfaitement illégale et Teyou a bien fait de résister à cette loi injuste. De même, si Teyou avait eu les moyens de payer, il ne fallait pas le faire car le faire c’est encourager les prédateurs à continuer leur basse besogne qui consiste à exploiter jusqu’aux os les pauvres Camerounais pour s’enrichir. Ce qui arrive à Teyou peut arriver à tout le monde et  nous devons nous opposer à cette loi injuste.

Ce régime qui fait de l’argent son centre  unique d’intérêt met les Camerounais en otage par sa justice. Désormais vous leur payez de l’argent ou vous allez en prison, comme hier à Njockmassi ! Cela est inacceptable et nous devons rejeter ce chantage à la liberté, comme nos parents avant nous l’ont refusé aux colons blancs.

*Ecrivain, pour le Coliberte

**Avocat au barreau du Cameroun




24/03/2011
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