Le rapt des Asiatiques travaillant sur un chantier routier n’a jamais été revendiqué. Mais les négociations sont en cours en vue de leur libération.
75 jours après leur enlèvement sur la base du chantier routier où ils travaillaient à Waza, 10 ressortissants chinois restent toujours en captivité. Dans cette localité où la peur s’est emparée de la population, très peu d’informations circulent sur l’assaut lancé par une bande armée dans la nuit du 16 au 17 mai 2014. Lorsque le reporter du Jour arrive dans cette localité le 25 mai au bon milieu de la nuit, seuls les cris d’animaux émis au loin lui restent à l’esprit. Le terrain vague abandonné par les assaillants est alors occupé par des soldats du Bir parés de leurs atours effrayants.
« Vous vous êtes mis en danger en circulant à moto ici à cette heure de la nuit », lance un sous-officier, qui se montre finalement très amical. « Nous sommes prêts à nous battre jusqu’à la dernière goutte de notre sang », conclut-il, confiant. Là, il y a très peu de témoins de la scène du 16 au 17 mai. Au juste apprend-on que le raid des hommes en armes venus d’on ne sait où, a été violent. « Pendant plusieurs heures, des rafales ont été tirées à tort et à travers », raconte un soldat qui n’était cependant pas présent lors de l’attaque. Selon toutes les sources rencontrées sur place, les échanges entre assaillants et soldats camerounais rapportés au lendemain de l’incident n’avaient pas eu lieu.
Seuls contre une bande d’une centaine de personnes dont quelques-uns portant de longues barbes, les deux soldats du Bir en faction n’avaient pas tenu. Le poste qui abritait en permanence 30 hommes avait été délesté de son effectif, en raison du défilé militaire du 20 mai. La conséquence de cette « négligence inacceptable », selon les termes d’un officier, est connue : une localité assiégée sans résistance, un mort parmi les militaires, des blessés ainsi que 10 Chinois enlevés. Outre le bilan humain lourd, l’attaque deWaza a emporté de conséquences bien plus importantes, sur le plan sécuritaire. Un responsable militaire rencontré à l’état-major des armées à Yaoundé a reconnu les défaillances du dispositif de surveillance de la base des Chinois deWaza. « Dans cette base, il y avait tout de même 20 tonnes de dynamites et 12.000 têtes allumeuses », confie-t-il. Cet arsenal a été emporté à bord de plusieurs camions. « Quatre camions », précise un militaire toujours en poste à Waza.
Le Jour a appris que les camions roulant à petite vitesse sont repartis en direction du Nigeria. Une source sécuritaire ayant entendu des travailleurs chinois rescapés affirme que la piste d’un indicateur infiltré pour le compte des assaillants est prise au sérieux par les enquêtes.
Des nouvelles
Depuis le 17 mai 2014, aucun groupe connu n’a revendiqué l’attaque de Waza. « Plusieurs personnalités originaires des régions septentrionales ont reçu des appels se réclamant des ravisseurs », indique une source policière. Mais visiblement, toutes les autorités en question ont du mal à rapporter les contacts aux officiels. En effet, les méfiances liées à la conduite des négociations précédentes, notamment celles ayant conduit à la libération de la famille Moulin-Fournier et du père Vandenbeusch, se sont renforcées, au fil du temps. Bien plus, une instruction du président Biya interdisant toute négociation a renforcé les craintes. Toujours est-il que des contacts ont finalement été établis à la mi-juin, à en croire plusieurs sources concordantes, toutes proche du dossier.
C’est la présidence de la République qui a aussitôt reconsidéré sa position de départ, « sur fortes pression des autorités chinoises ». Sauf que pékin est prêt à tout pour obtenir la libération de ses 10 ressortissants, « à l’exclusion du paiement d’une forte rançon réclamée par les ravisseurs ». Dans la foulée, la nouvelle de l’interpellation de sept suspects à l’Extrême-Nord, dont un homme en possession des passeports des Chinois enlevés, a fait le tour de la région de l’Extrême-Nord. Des responsables de la police et de la gendarmerie contactés à Yaoundé par Le Jour ont infirmé cette information, tout en reconnaissant plutôt que des négociations étaient ouvertes. Que négocie-t-on alors ? Est-ce la libération des otages ou alors la cession des dynamites et les têtes allumeuses pouvant aujourd’hui alimenter une rébellion sur dix ans ? Difficile de répondre.
Des ravisseurs francophones
Le 29 juillet 2014, l’on a appris davantage sur lesdites négociations. Une source sécuritaire qui affirme que la libération des 10 Chinois peut intervenir à n’importe quel moment, confie que les autorités camerounaises sont intriguées par leurs contacts qui jusqu’ici ne sont pas physiques. En effet, au bout du fil, les personnes se présentant comme les ravisseurs s’expriment pour la plupart en langue française. Tout porte à croire, selon nos sources, que les otages sont retenus par des personnes très jeunes. « On dirait des enfants ! », s’exclament-elles.
Un officiel ayant un rapport direct avec lesdites négociations rapporte que lors de l’une des communications, « des tirs d’armes lourdes et des crépitements de fusils étaient entendus en arrière-plan ». Interprétant cet élément acoustique, le même officiel conclut que « les Chinois sont détenus par des personnes suivant des entraînements en ce moment ».
Un confrère nigérian ayant interrogé une source locale à Maiduguri pour le compte du Jour soutient que les 10 Chinois enlevés au Cameroun sont bel et bien gardés dans une cache entre Palka, et une bande menant au village Jagoura, au Nord-Est du Nigeria. Palka et Jagoura passent pour être au coeur du dispositif d’opération, et servent de base d’entraînement pour les islamistes de la secte Boko Haram. Les localités en question donnent toutes sur Waza, tristement célèbre, depuis la nuit du 16 au 17 mai dernier.
La battue effectuée par les forces camerounaise se heurte au mutisme des habitants de la zone allant du centre de Waza à l’arrière du parc. « On a constaté sans besoin de preuve que tout un village autour de Waza était acquis à la cause des islamistes ». Et comment cette source arrive-t-elle à cette conclusion ? Elle affirme que sur 200 personnes environ interrogées, « personne ne sait rien, personne n’est au courant de rien », mutisme de bande organisée oblige.
Filière nigériane
A l’heure qu’il est, difficile d’établir l’identité des assaillants de Waza, sur la seule base des échanges en vue d’une probable libération des otages. Et pour causes, toutes les sources sécuritaires assurent que les « ravisseurs » n’ont jamais fait mention des incidents répétés en sol camerounais lors des contacts. Elles en concluent que ces derniers ne font pas partie des combattants armés ayant sévi ces derniers jours à l’Extrême-Nord. En effet, à la base des incidents de Kolofata et Fotokol, les bandes armées ont été repérées, en provenance de Limani au Nigeria. « C’est d’Amchidé que les combattants se sont rassemblés pour mettre le cap sur Kolofata », maintient une source policière.
Encore que ces assaillants auraient pu tout aussi bien partir de Jagoura. Toutes nos sources se veulent rassurantes. « Les opérations en cours à l’Extrême-Nord ne vont probablement pas compromettre la libération des otages chinois ». Questions urgentes : que réclament les ravisseurs et combien mettent les négociateurs sur la table ? Réponse des interlocuteurs bien embarrassés : « Les ravisseurs des travailleurs chinois ont des revendications floues et il n’est pas question de payer », indique-t-on. Selon certaines indiscrétions, Yaoundé est conscient de ce que d’importantes sommes payées aux ravisseurs à titre de rançon pourraient servir à armer un ennemi qui monte en puissance.
Or, l’option spéculative est privilégiée par les kidnappeurs. D’autres sources soutiennent que les autorités chinoises ont ces dernières semaines entrepris des démarches parallèles, pour parer à la versatilité des ravisseurs. Lesdits contacts parallèles ont été entrepris depuis Abuja où des diplomates chinois travaillent avec des canaux utilisés pour des prises d’otages précédentes au Nigeria. Il reste maintenant à savoir si les Chinois retourneraient sur le terrain continuer les chantiers routiers, en cas de libération prochaine. Hier soir 30 juillet, nos différentes sources persistaient à dire que « la libération des otages peut intervenir à tout moment ». Les autorités camerounaises et chinoises ont espoir que cette libération interviendra bientôt.