Journaux Télévisés: Cameroun, champion du monde des colloques et symposiums

YAOUNDE - 18 JUIL. 2013
© Ngoumou Jean-Paul, Journaliste | Correspondance

La libéralisation de l’audio-visuel au Cameroun, effective depuis le début du millénaire a donné lieu à la floraison de nouvelles chaines de radio et de télévision, pour le plus grand bonheur des téléspectateurs qui jusqu’ici subissaient la dictature de la seule chaine publique qu’est la CRTV.

Force est de constater que des chaines à capitaux privés sont en passe de détrôner la sacro-sainte CRTV en termes d’audimat et d’originalité. En effet, les chaines de télévision privée au Cameroun parmi lesquelles Canal2 International, STV, Equinoxe TV, Ariane TV, TV Max pour ne citer que celles-là, ont su en l’espace de quelques années se lancer à la conquête des auditeurs avec beaucoup de succès. Ces chaines sont réputées proches des populations et de leurs préoccupations. C’est ainsi qu’elles offrent une grille de programme qui suscite l’intérêt des téléspectateurs. Certaines d’entre elles, à l’instar de Canal2 International et Camnews24 se sont ouvertes sur le monde à travers leur plateforme internet qui permet une diffusion en live. Une stratégie qui leur vaut d’être les chaines privés camerounaises les plus regardées hors des frontières du Cameroun.

S’il est vrai que le paysage audio-visuel Camerounais s’est fortement diversifié et développé, la recherche de l’excellence ne semble pas être la préoccupation la plus immédiate. Un zapping des chaines de télévision camerounaises publiques ou privées laisse pantois face à l’amateurisme de certains journalistes et animateurs.


La whitisation

Whitiser, en français camerounais, signifie « parler comme un Blanc ». Dans le cas du français, cela signifie perdre l’accent local pour adopter l’accent français, considéré comme plus joli et plus potable. Il n’est pas question ici de s’insurger contre les personnes qui adoptent un accent particulier. La « whitisation » est un phénomène sociolinguistique très complexe que l’on retrouve dans toutes les sociétés et à laquelle l’on peut attribuer des causes diverses. Tout simplement, lorsque l’accent que l’on est supposé imiter n’est pas régulier dans la même phrase, cela donne lieu à une cacophonie qui est caractéristique du style oral d’un certain nombre de journalistes Camerounais. Soit on décide de « whitiser » et on le fait de façon régulière et cohérente, soit on garde un accent local qui a lui aussi son charme.


La production cinématographique

Il faut tout d’abord saluer le courage et la perspicacité des producteurs de téléfilms locaux qui connaissent un grand succès auprès du public. Avec très peu de moyen financier et technique, les chaines privées arrivent à réaliser des courts et longs métrages. Il faut toutefois dénoncer le grand amateurisme au niveau des castings. Ainsi, vous avez des acteurs qui lisent littéralement leur texte au point où le téléspectateur peut avec aisance identifier les parties du script où se trouvent les différentes virgules et points-virgules.

L’authenticité des scènes en prend un sacré coup. Il faut toutefois souligner que certains acteurs tels que Edoudoua se démarquent par leur fluidité et leur authenticité. Il arrive á interpréter son rôle sans qu’on ait cette vague impression de se retrouver devant une dictée en classe de CM2.


Les journaux télévisés

La Cameroun a désormais sa chaine d’info en continu, Camnews24, qui diffuse les informations nationales et internationales en boucle. Cette chaine d’info vient s’ajouter à la liste de toutes les autres chaines locales qui consacrent au quotidien au moins une tranche d’antenne à l’édition du journal. Parlons des journaux télévisés justement ! Je me suis amusé pendant plusieurs années à regarder tous les journaux télévisés de toutes les chaines locales qui en diffusent. Il est frappant de constater à quel point ils se ressemblent tous. « Normal » me direz-vous « … ils traitent tous de la même actualité ». En effet, tous les journaux télévisés du Cameroun traitent à quelques détails près toujours des mêmes thématiques, quel que soit le jour de la semaine. La plupart du temps, les journaux télévisés sont les comptes rendus des colloques et autres séminaires organisés par les ministères pour justifier de leur budget. Ainsi, je me suis amusé à établir une liste des mots-clés qui reviennent chaque jour dans tous les journaux télévisés du Cameroun:

- Séminaire
- Colloque
- Symposium
- Conciliabule
- Conférence
- Réunion
- Débat
- Table ronde
- Congrès
- Rencontre etc…

Chaque édition du journal consacre environ ¾ des reportages à tel séminaire organisé par tel ministère autour d’un thème donné ; tel autre ministère organise un symposium sur tel autre thème ; tandis que le troisième ministère a organisé un conciliabule sur un troisième thème. Les reportages, souvent très pauvres en information, se contentent de rappeler les thèmes et sous-thèmes du conciliabule en question, avec pour seule image des plans fixes de la caméra braquée sur les différents participants au colloque. Les participants, généralement en costume, sous une chaleur accablante, restent figés, inactifs, amorphes, certainement pressés de voir la fin du colloque et de passer à l’essentiel… c’est-à-dire toucher les émoluments dus aux « chargés de mission » et surtout prendre part à la collation organisée à la fin du colloque et financée par les frais du contribuable.

Une personne de passage au Cameroun et n’étant pas familier de ces pratiques pourrait s’exclamer : « bravo ! Enfin un pays où les gens se réunissent, se parlent, réfléchissent à comment résoudre leurs problèmes. » Je suppose d’ailleurs que c’est pour cela que des colloques et conciliabules sont organisés. Mais en ce qui concerne le Cameroun, ce serait trop beau pour être vrai. Les rapports des séminaires servent le plus souvent à remplir le bureau des archives des ministères qui les organisent. Il est généralement admis que les conclusions tirées lors des congrès, tables rondes et symposiums sont valables pour l’année (budgétaire) en cours. Une fois le nouveau budget voté, on recommence avec un énième symposium, sachant que le précédent n’avait servi à rien. Tout ce gaspillage des fonds publics est tout à fait légal. Et c’est peut-être cela le plus grand scandale.

Ngoumou Jean-Paul, Journaliste


20/07/2013
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