Joseph Marie Eloundou* : Réponse à la La lettre de Paul Biya aux Camerounais
La nôtre est aussi ouverte - parallélisme de forme oblige-. Nous souhaitons également que vous la considériez comme un acte de profonde déférence. Comme un apport à la construction de l’édifice dont vous continuez l’élévation depuis que vous avez succédé à M. Amadou Ahidjo il y a 27 ans. J’aurai bien voulu qu’elle fût publiée par différents médias comme la vôtre mais, je suis convaincu, jusqu’à preuve du contraire que certains médias, qui se croient à votre solde – peut- être à juste titre - ne la publieront pas. M. le président de la République, permettez-nous tout d’abord très humblement, de féliciter cette bravoure, voire cette humilité, d’avoir daigné pour une première fois vous adresser à nous, au moyen d’une lettre écrite de votre propre main. Un grand bravo, pour vous être rabaissé au niveau des médias locaux, notamment ceux de la presse privée ou indépendante, c’est selon. C’est une grande victoire sur l’inertie communicationnelle que nous observons depuis un moment déjà et que nous avons eu à dénoncer en son temps. Notre posture est à la fois politique et citoyenne. Nous vous informons d’ailleurs, au cas vous ne le savez pas encore, que nous avons décidé d’entrer en politique et notre parti s’appelle, le Parti de l’Alliance Révolutionnaire Africaine pour la Démocratie et l’Indépendance Economique et Sociale en abrégé le Paradies. Disons-nous la vérité. Nous avons parcouru avec une attention particulièrement soutenue votre missive. Nous la trouvons familière et fort chaleureuse ; dans un style accessible à tous. Ce qui prouve votre volonté d’atteindre toutes les couches de la population. Cependant, nous ne comprenons pas pourquoi dès l’entame, vous parler de l’avenir du cameroun.
Avons-nous suffisamment parlé de notre passé ?
Le prétexte du 50ème anniversaire de l’indépendance de notre pays aurait été une très bonne occasion d’en parler. Voilà un événement que la nature vous offre et qui ne semble pas faire partie de votre agenda politique. Pour nous, cet événement est de loin plus important que la coupe du Monde de football. Ce serait le plus beau cadeau à offrir aux Camerounais durant votre règne. Ce serait peut-être aussi le plus grand moment de communion avec tout ce peuple. L’occasion nous paraît propice d’écrire enfin la vraie histoire de notre pays. On aurait évoqué l’histoire des nationalistes, on aurait peut-être élevé un panthéon à leur honneur. Une histoire occultée depuis plus de 5 décennies et dont la révélation pourrait être un instant d’extase méditative pour notre peuple et une motivation supplémentaire pour la paix et la concorde qui nous sont tous chères. On aurait peut-être réconcilié les ancêtres. Dans la même rubrique de notre passé, le 11 novembre 2009, nos forces armées ont 50 ans – je suis fils de gendarme-. Quid de l’organisation de cet événement ? On n’en parle pas beaucoup. C’était peut-être le moment pour notre armée de faire un état des lieux – aggiornamento -, notamment après le douloureux épisode de Bakassi. Y a- t – il eu ce que l’on appelle en jargon technique militaire le retour d’expérience ? Le passage d’une société autocratique à la démocratie a-t-il été bien géré et évalué ? Notre armée doit se restructurer en vue d’affronter les nouvelles problématiques. La relation avec notre mère patrie et nous devrait être revisitée sérieusement au regard des nouveaux enjeux géopolitiques, notamment en matière de coopération financière. Il faut tirer l’historique du compte d’opérations depuis cinquante ans, pour voir qui doit quoi à qui ? Pourquoi cette fuite en avant ?
Le présent ! Pourquoi ne pas s’y arrêter un instant ? Lorsque vous preniez le pouvoir en 1982, vous étiez âgé de 49 ans, nous en avions 25. A ce jour vous êtes à 76 ans, tandis que nous sommes à 52. A l’heure où vous vous apprêtez à briguer un nouveau mandat, notre fils, votre petit fils, né exactement 5 mois avant votre accession à la magistrature suprême est au chômage, nantis d’un diplôme universitaire de 2nd cycle. Il n’est que la face visible de l’iceberg. L’heure n’est certes pas au bilan mais, quel avenir pouvons –nous évoquer ensemble si après 27 ans de votre présence à la magistrature suprême et malgré les abondantes richesses, tant du sol que du sous sol dont regorge notre pays, les camerounais dans leur grande majorité croupissent dans une indescriptible misère ? Vous les avez abandonnés entre les mains d’une élite de prédateurs, nommés par vous, que vous n’avez pas hésité à qualifier vous-– même de voleurs à cols blancs.
Les camerounais ont subi et supporté la baisse de leurs salaires (plus de la moitié) sans rechigner, la déflatation (compression de la fonction publique), les liquidations et leur mise en chômage sans indemnisation, notamment les employés des ex sociétés d’Etat. Ils n’ont même pas le droit de manifester leur mécontentement. Ils ont été battus, malmenés, enfermés dans les cellules de police et de gendarmerie, torturés à la Voirie municipale. Vous avez gardé le silence devant leurs cris et leurs pleurs. Dans l’arrière pays c’est plus grave, malgré les motions de soutien concoctées à Yaoundé par une élite qui pense plus à se remplir les poches. Que nous vaut cette attention subite de votre part, au point d’envoyer à chacun d’entre nous une lettre ? La plus grande réparation serait que sur votre instruction, un fonds spécial soit débloqué sur notre budget, pour indemniser toutes les victimes de la catastrophe économique que notre pays vient de traverser. Ce fonds doit être géré par une commission spéciale sous votre supervision. Votre présence physique étant de rigueur car votre administration est frappée d’inertie. Alain Didier Olinga, universitaire de renom, décrit mieux que moi cette situation dans une récente publication intitulée “Propos sur l’Inertie”. Je vous en recommande vivement la lecture.
Ceux que vous avez nommés ont insolemment pillé les caisses de l’Etat, accentuant la misère des populations. On les appelle dans le nouveau jargon, les Kleptocrates. Vous avez décidé de les punir. Au départ nous y avons cru, mais maintenant, nous vous suspectons de complaisance et beaucoup pensent sincèrement qu’il s’agit d’une simple opération à double objectif. D’abord remonter votre quotte de popularité, puis terroriser d’éventuels candidats à la présidence de la République en provenance de votre bord politique. Cette opération dite épervier n’inspire aucune crainte ni aucun respect de la chose publique. Commandez une enquête sérieuse, vous vous rendrez compte que l’on pille en ce moment plus qu’autrefois. A propos de la paix qui est incontestablement votre acquis majeur, il est indéniable que votre volonté d’éviter les conflits armés peut vous valoir un prix Nobel, pourquoi pas ? Cependant, nous observons que vous semblez ne pas accorder une grande importance à la paix des cœurs que l’on pourrait mesurer par le bonheur intérieur brut.
En effet de quelle paix parle-t-on lorsque les citoyens vivent majoritairement et perpétuellement une sorte d’angoisse existentielle : les gens ne mangent pas à leur faim, certains en meurent. Ils habitent des logements indécents, très souvent des taudis. Ils ne peuvent pas se soigner convenablement; n’arrivent pas à envoyer leurs enfants à l’école, faute de moyens financiers. Ne peuvent pas être transportés à la sortie du travail. Les jeunes sont massivement au chômage et sont livrés à la débrouillardise, à la prostitution et au vol. L’insécurité est galopante et la corruption est installée en maîtresse absolue. La solution ne transite pas à notre humble avis, par la stratégie actuelle qui consiste à embrasser tous les secteurs d’activités à la fois. Cette stratégie profite certes à l’élite gouvernante à travers les marchés juteux, générés par lesdits projets, mais elle n’est pas porteuse d’efficacité à plusieurs titres
1- Ces projets sont financés par des emprunts que nous continuons a contracter et qui nous maintiennent perpétuellement dans le cycle de l’endettement. N’avons-nous donc pas tiré les leçons de la douloureuse période que nous venons de traverser. Travaillons autant que faire se peut avec nos propres moyens. Accrochons le sac à notre taille. Les enfants nés le 6 novembre dernier sont déjà endettés.
2- Pour la plupart, leur mise en oeuvre nécessite une main-d’œuvre spécialisée et une expertise dont nous ne disposons pas toujours.
3- Leur diversification est excessive et génératrice de gâchis et de corruption. C’est du saupoudrage.
Nous suggérons qu’elle cède la place à une stratégie susceptible de concentrer le maximum de ressources dans quelques secteurs où le pays bénéficie d’un avantage comparatif. Qui trop embrasse mal étreint. Pour nous, la stratégie de développement la plus pertinente sera celle qui, tenant compte de nos réalités et du contexte socio économique, mettra tous les jeunes au travail quel que soit leur niveau avec un Smig de 150 000 Fcfa. Oui, c’est possible. C’est ce que nous appelons au Paradies l’ingénierie du bien-être. Le social est notre priorité.
Vous parlez de l’unité ?
En réalité, la crise économique sur fond de corruption et d’injustice sociale a provoqué une résurgence sans précédent du tribalisme et du népotisme. L’attitude du gouvernement en matière de politique unitaire accuse un déficit criard de finesse et de diplomatie. Face aux velléités sécessionnistes de nos frères de la partie anglophone par exemple, le gouvernement a jubilé après la prise de position de la commission africaine, les déboutant de leurs revendications. Nous nous serions attendus au déclenchement d’un processus de dialogue en vue d’une réconciliation nationale. Y a-t-il une victoire entre un gouvernement et son peuple. On a véritablement l’impression qu’il y a des gens qui jettent la poudre au feu. Il y a beaucoup de chantiers en attente, qui nécessitent des actions concertées et négociées avec les communautés. Tenez par exemples, le retour des restes d’Ahmadou Ahidjo, de ces autochtones, ces compatriotes qui n’ont plus de villages, comment les gérer ? de la question anglophone etc. Il faut bien en tenir compte !
A propos de la démocratie
Nous avons tous salué votre attitude en 1990 lorsque, bravant les conservateurs et caciques de l’époque, vous tranchiez en faveur du pluralisme politique et de la liberté d’expression. Nous nous sommes d’ailleurs réjouis dans un article où nous faisions votre apologie en ces termes : «l’histoire retiendra qu’Amadou Ahidjo fut le père de l’unification et Paul BIYA celui de la démocratie ». Hélas ! Ce que l’on remarque à ce jour, c’est que le sillon tracé en 1990, n’a pas pu se transformer en une autoroute de la démocratie c'est-à-dire : des élections justes et transparentes (nous n’allons pas réveiller le récent débat sur la nomination des membres d’ELECAM...), la mise en place d’un système d’alternance politique cohérent (... ni celui sur la modification de l’article 6-2 de notre constitution) , l’ouverture et l’aménagement d’espaces d’expression publique, accessibles à tous ; à ce jour, l’on attend toujours le Sénat, la Cour constitutionnelle et la Cour des comptes. L’organisation d’une réunion publique est de plus en plus problématique, avec des sous préfets qui voient des «troubles à l’ordre public » partout. Il en est de même pour les «déclarations» de manifestation qui se sont muées en «autorisations». Les journalistes sont embastillés tandis que l’accès à l’information est un véritable chemin de croix pour eux. Les radios sont fermées à tour de bras, lorsqu’elles ne servent plus les intérêts personnels du ministre de la Communication. Tout ceci a poussé les Camerounais à se désintéresser de la politique et par effet d’entraînement de la chose publique. La participation aux élections est une réelle problématique. Au Paradies, nous pensons que l’un des actes majeurs à prendre est l’institution du vote à 18 ans dans notre pays. Pourquoi ces compatriotes que l’on sollicite pourtant pour divers concours notamment à la police et dans l’armée ne votent-ils pas ? Leur apport va booster la participation et crédibilisera le processus démocratique de notre pays. En vous lisant, on se rend compte que ceux qui vous renseignent tentent de vous occulter les lèpres présentes de notre société et préfèrent vous projeter vers l’avenir. Cela n’absout cependant pas votre responsabilité car, vous êtes celui supposé être mandaté par le peuple souverain. C’est à vous que nous demanderons éventuellement des comptes. Vos collaborateurs ne sont que porteurs de procurations que vous leur donnez.
De l’avenir Cet avenir, parlons-en !
Qu’est ce qui explique que plus de deux décennies durant, nous cheminions ensemble dans le tunnel de la galère. Maintenant qu’il y a un semblant d’éclaircie, vous nous abandonnez entre de mauvaises mains. Si on peut comprendre que Urbain Olanguena, Abah Abah Polycarpe et autres soient là où ils sont – c’est dommage pour l’expertise car ce sont les principaux acteurs du PPTE – pour les raisons plus ou moins discrétionnaires. Nous déplorons toutefois, l’arrivée aux affaires de ces nouveaux venus, ignorants tout des souffrances que le peuple a subies durant la difficile traversée du désert économique et du remboursement au forceps de la dette. Ils nous traitent comme des moins que rien. Comment comprendre par exemple que, des jeunes abandonnés à eux-mêmes des années durant, s’étant débrouillés à s’auto-employer, à créer des richesses, se trouvent du jour au lendemain, privés de leurs emplois, leurs marchandises détruites en une minute, sans compensation aucune au nom d’une prétendue urbanisation. Si ce n’est pas du sabotage économique ça pourrait s’appeler comment ? Convenez avec moi qu’au lieu de mobiliser 106 millions pour une cascade d’eau derrière le ministère de l’enseignement supérieur, on pourrait aménager un espace pour recaser ces acteurs de l’informel sur lesquels est assise toute la micro finance. En quoi toutes ces clôtures que l’on érige à coups de centaines de millions sont elles prioritaires ? En l’état actuel des choses, nous vous le disons le plus sincèrement et le plus respectueusement possible, il ne vous reste qu’une chose à faire : organiser vous-mêmes des élections transparentes, sans vous présenter bien sûr, vous aurez une sortie honorable. Commandez un sondage sérieux vous verrez que nous vous disons la vérité. Ceux qui vous disent le contraire sont les mêmes qui vous renieront. Le Paradies s’inscrit également dans la logique de la paix et de la négociation. N’ayez aucune appréhension, nul ne peut tout faire. Vous avez des acquis que le peuple camerounais saura reconnaître. Que le Paradies saura mettre en exergue. Ensemble et dans la paix, négocions les conditions d’une alternance démocratique dans notre pays. En vous comportant ainsi, cela n’est une démission, encore moins de la lâcheté ; vous marquerez à jamais l’histoire du Cameroun et celle de l’Afrique. Le reste ne sera qu’une fuite en avant. Très patriotiquement.