Un chef de famille s'était opposé à l'occupation chinoise de sa terre dans la localité de Nanga-Eboko au Cameroun. Conséquence, cinq mois au bagne.
31 mai 2011.Une date inoubliable pour Joseph Fa'a Embolo. L'homme de 51 ans a passé sa première nuit à la prison principale de Nanga-Eboko, sans en connaître les motifs officiels. C'est pendant son transfert de la gendarmerie à la prison qu'il captera au travers d'une conversation entre les gardiens de prison, les raisons de son incarcération « J'ai entendu dire que le préfet a donné l'ordre de m'enfermer pour cause d'entrave à la voie publique et abattage illégal d'arbres » se souvient-il.
A l'origine de cette arrestation, l'« opposition farouche » de monsieur FA'A Joseph à la descente d'une équipe de Brigade des Travaux Spéciaux envoyée à Akak, localité située à 15 km de Nanga-Eboko par le Ministre des Domaines et des Affaires Foncières. L'équipe s'y rendait le 23 mai 2011 pour effectuer les corrections des erreurs commises dans le processus de levés topographiques par la commission départementale, lit-on dans le rapport transmis au parquet d'instance par le Sous-préfet Théophile BEINA NGUIA. Un argument que rejette en bloc Joseph FA'A. « Cette commission est revenue borner les terrains sans prévenir les populations pour limiter l'espace à donner aux chinois. Et je me suis opposé parce que mes terres ne figuraient pas sur les sites identifiés par le ministère de l'agriculture. Donc leur travail était illégal ».
L'homme dit être passé de la parole à l'acte après avoir interpellé à son passage et sans succès le véhicule transportant ladite équipe. C'est ainsi que « j'entreprends d'abattre trois fromagers avec l'aide d'un scieur pour barrer la piste qui mène à mes terres. Mes terres se trouvent à Walla et à Engan hors de la zone du projet de riz des chinois. Pourquoi viennent-ils jusqu'ici pour poser des bornes sur mon terrain ? Ce n'est pas normal ». En effet, l'arrêté n°000475 du MINDAF signé le 24 mars 2009 déclare d'utilité publique une superficie d'environ 100 hectares aux lieu-dits Nkoteng dans l'arrondissement de Nkoteng, Ndjoré dans l'arrondissement de Mbandjock, Akak, Bifogo, Ndokoti et Boundja dans l'arrondissement de Nanga –Eboko pour les travaux de réalisation des projets agricoles dans le Département de la Haute –Sanaga. C'est donc sur ce document officiel que la victime s'appuiera pour contester les travaux de bornage de son terrain et sa cession aux investisseurs étrangers. Le site « Akak » sur lequel devra s'implanter le projet de riz de la société chinoise IKO AGRICULTURE DEVELOPMENT CO LTD se trouve à Akak, hameau situé dans le village éponyme qui en compte quatre autres (Ekomba, Loum, Walla et Engane) déclare Joseph FA'A qui nous présente comme preuve, une carte du village. Il précise que son terrain de 1015 hectares au centre de son arrestation se trouve dans les deux derniers hameaux.
La descente aux enfers de cet agriculteur commencera le 24 mai 2011 lorsque le Sous-préfet de Nanga-Eboko, informé de ce qu'une équipe commise par le ministre en charge des domaines n'a pas pu réaliser sa mission du fait de l'opposition d'un individu. Rendu sur le site et ayant constaté le barrage de la voie, le Sous-préfet ordonnera l'arrestation de Joseph FA'A et de son scieur, et demandera au Délégué Départemental des Forêts et de la Faune d'engager une procédure contre les mis en cause pour abattage illégal d'arbres indique- t-il dans son rapport concernant l'affaire. Il précise par la suite avoir obtenu du Préfet du Département de la Haute-Sanaga « un bon de garde à vue administrative de 15 jours renouvelables pour grand banditisme et la mise des intéressés à la disposition de la justice ». Aussitôt, les deux hommes seront conduits à la gendarmerie de Nanga-Eboko.
Aucune ouverture
M. FA'A Embolo séjournera en cellule durant sept jours sans avoir la possibilité d'en informer ses proches. « Le soir du 24 mai 2011 lorsqu'ils m'ont conduit en cellule à la gendarmerie, ils ont refusé que j'appelle ma femme ou quelqu'un de ma famille. J'ai demandé la présence d'un conseil avant de faire ma déposition en vain. Et c'est face à ces refus que je me suis tu pendant six jours. Le 7è jour, ils ont fait appel à mon épouse et à mes deux grandes sœurs pour faire pression afin que je puisse parler. Au bout d'un temps j'ai cédé et on a enregistré ma déposition. Après ils m'ont dit que la suite se passera au parquet. Malheureusement, la suite ne se passera pas au parquet ; monsieur Fa'a sera directement déféré à la prison centrale de Nanga-Eboko sans aucune forme de jugement. Ici, les gardiens de prison lui apprendront que sa garde à vue à été prolongée et signée du Préfet et non pas par « le commandant de brigade comme me l'avait annoncé les gendarmes ayant enregistré ma déposition ».
Une pilule amère pour ce chef de famille qui a pris la résolution du fond de sa cellule de ne pas lâcher prise. Et monsieur Fa'a se souvient avoir été racketté à son entrée en prison. « Les gardiens de prison m'ont dépouillé de la somme de 25 000 FCFA expliquant que cette somme représentait les frais de cour, de local, d'hygiène et de rasage » raconte t-il. Dans le local 2 où il dit avoir été affecté par le régisseur de la prison, c'est l'enfer sur terre. Ici, « c'est le local des bandits, des fumeurs de chanvre. Il n'y a pas de lits, aucune ouverture. Les prisonniers ont essayé de perforer les murs pour obtenir un peu d'air et de lumière. On étouffe. 75 personnes pour un espace de 10 m sur 15. Le local est sale, poussiéreux et on y fait la cuisine sur le réchaud à pétrole » décrit l'homme qui y aura séjourné jusqu'à sa mise en liberté provisoire le 28 septembre 2011.
En date du 23 juin, monsieur FA'A passera devant le Procureur de la République pour faire sa déposition et en sortira le 23 juin avec un nouveau chef d'accusation: « rébellion ». L'agriculteur sera informé de ce que la première audience de l'affaire FA'A Embolo et ZE EVINA contre Ministère Public et Sous- préfet de l'Arrondissement de Nanga-Eboko aura lieu dans quatre jours au Tribunal de Première Instance –Chambre Correctionnelle de Nanga-Eboko. Le père de famille n'ayant aucune assistance juridique sollicite et obtient le report de l'audience dans l'optique de chercher de l'aide. Sa terre, il ne veut pas la perdre. Elle lui a été léguée par ses ancêtres et il compte bien la défendre. « Je pense à mes enfants. J'ai une famille nombreuse à nourrir et je ne peux accepter qu'on me la prenne » affirme t-il.
Abus
Lorsque l'ONG Centre pour l'Environnement et le Développement (CED) lui tend la main, monsieur FA'A voit un signe du Tout Puissant. Le Prédicateur Laïc plus que déterminé va collaborer avec l'un des conseils juridiques du CED, Me Din NGOLLE. L'avocat saisi du dossier dénonce « les abus d'autorité, la violation des textes en vigueur, les vices de forme dans la procédure de l'arrestation de mon client».
Au terme de deux audiences, Joseph FA'A obtiendra la liberté provisoire et recevra son bulletin de levée d'écrou le 28 septembre 2011.
Lors de l'audience du 28 novembre 2011 la défense a produit une un document délivré par l'exploitant forestier ayant ouvert la piste querellée. Ce document atteste que la piste a bien été ouverte par ladite entreprise à la demande et au profit de sieur FA'A EMBOLO. « Le Ministère public a fait opposition, mais a été débouté », raconte fièrement Me DIN NGOLLE.
Au final, le père de famille a été condamné à un an de prison avec sursis pendant trois ans. L'Avocat a fait appel et aucune décision n'a plus été rendue. Aujourd'hui en liberté, l'agriculteur dit avoir introduit auprès des autorités compétentes une demande d'obtention du titre foncier pour « sécuriser ses 1015 hectares ». De son expérience, Joseph FA'A a tiré des leçons, ce qui lui a permis de fonder l'Association pour la Protection de l'Environnement et des Droits de l'Homme (A.P.E.D.HO.), pour venir en secours, entre autres, à ses anciens camarades de détention. Ses dénonciations concernant le traitement infligé aux détenus de la prison principale de Nanga-Eboko tout comme les violations diverses dont sont victimes les habitants de son village lui a valu via son association, une reconnaissance de la Commission Nationale des Droits de l'Homme (CNDH). Une « fierté » qui l'encourage, dit-il, à continuer son combat.