L’ancien gardien des Lions Indomptables pense qu’en sélectionnant Song et Njitap, le coach des Lions s’est « lié les mains ».
Il y a un débat en ce moment : fallait-il donner une liste de 30 ou immédiatement une liste de 23 pour limiter les fractures psychologique. Qu’est ce que vous en pensez ? C’est vrai que la Fifa demande une liste de 30 joueurs, mais elle ne contraint personne. C’est le maximum. Avec la liste des 30 vous faites des choix, et avec la liste des 23, vous éliminez. Donc, Paul Le Guen s’est donné le temps de pouvoir éliminer pendant le stage pour faire sa liste des 23.
Paul Le Guen a publié une liste de jeunes et d’anciens joueurs. Finalement, est-ce qu’il n’a pas choisi de ne pas choisir ? S’il n’a pas définitivement choisi, cela signifie que sa religion n’est pas faite. On peut aussi se dire qu’il s’est mis la pression tout seul. Soit, il a déjà dans sa tête le sort de certains joueurs, et à ce moment-là, c’est très bien. Soit, il ne l’a pas, et dans ce cas là, il s’est carrément lié les mains. Il y a des choses qu’on ne fait pas au foot et j’espère qu’il n’osera pas le faire.
Quand on rappelle des cadres comme Song et Gérémi Njitap, j’imagine que ce n’est pas pour les garder sur le banc de touche… Le problème du foot, c’est que les gens utilisent les mots et expressions qui ne correspondent pas à l’esprit du foot. Le cadre, c’est un cadre. Il n’y a pas de cadre remplaçant, il n’y a pas de cadre accompagnateur. Et les cadres accompagnateurs s’appellent encadreurs. On a la responsabilité de sélectionner des joueurs en vue d’une performance collective, et pour cela, il faut que chacun soit capable de produire une performance individuelle.
Cela signifie-t-il que le projet créateur des Lions demeure flou ? C’est un peu flou. Je vais vous dire, honnêtement : lorsque vous avez ce qui s’est passé à la Can, logiquement, l’histoire ne s’écrit pas à reculons. C'est-à-dire que lorsque vous êtes obligés de sortir ceux qu’on appelait des cadres en pleine phase finale d’une compétition, logiquement ce n’est pas pour revenir en arrière. C’est le cas, par exemple, de Vieira, qui n’est pas retenu en ce moment. Cela signifie que sa carrière internationale est finie. Ce n’est pas Domenech qui dit « comme je ne l’ai pas pris c’est fini ». Non. C’est le joueur lui-même qui prend la responsabilité de l’annoncer. Il faudrait que nous puissions grandir et nous élever. A partir du moment où un titulaire indiscutable est sorti d’une compétition, surtout un défenseur, il faudrait qu’il comprenne le message et qu’il n’embarrasse pas les gens. Je ne voulais pas avoir à le dire, mais je suis obligé.
Analysons la liste de Paul Le Guen, compartiment par compartiment, en commençant par les gardiens de buts. Il faut à ce poste une hiérarchie claire… On a quatre gardiens. Si, au moment où l’entraîneur les appelle, il estime qu’il ne sait pas encore lequel va jouer, il les prévient clairement qu’il n’y a pas encore de numéro un dans sa tête et que l’entraînement va être déterminant. Et là, tout le monde le sait et tout le monde l’accepte. L’entraîneur n’est qu’un homme. Il n’est pas sûr qu’il ait toutes les certitudes longtemps avant la compétition. Je pense que c’est le message qu’il nous a envoyé en publiant une liste de 30, plutôt qu’une liste de 23. Il n’a pas encore de certitude, je ne sais pas à quel poste. Nous regardons tout ça de l’extérieur, et nous pouvons chipoter comme ça. Mais aux joueurs, il va certainement dire : « personne n’est sûr d’aller en Afrique du Sud, je n’ai pas de certitude. Chacun devra montrer de quoi il est capable ». Mais pour les gardiens, il faut rapidement décider.
La défense, c’est le grand chantier de Paul Le Guen avec 10 joueurs présélectionnés. Stéphane Mbia est positionné en défense… L’entraîneur aura forcément à cœur de mettre en place une défense performante, qui commence avec un bon gardien de buts. Personnellement, il y a longtemps que je voyais Stéphane Mbia arrière central pendant que tout le monde disait que nous n’en avions pas. J’étais surpris que personne ne pense à le ramener derrière. Là où je crois que Paul se complique véritablement la tâche, c’est que, quand vous avez un garçon qui joue défenseur central dans le championnat de France, et qui plus est, remporte le titre, et que vous avez un autre qui est défenseur central ailleurs, il est surprenant de penser que celui qui joue ailleurs va prendre le dessus sur le champion de France. Donc, on se dit que la défense centrale est faite. Mais il faut la travailler. Pour moi, le stage, je ne le conçois pas comme un endroit où on va chercher les joueurs, mais comme un endroit où on va peaufiner la cohésion entre les joueurs, la complicité entre eux, etc. C’est le lieu où on travaille l’harmonie de la défense. Et pour travailler cette harmonie, il faut avoir les individus qui vont la composer. Donc, normalement, Paul Le Guen devrait aller en stage en ayant en tête la défense qu’il veut faire jouer, pour pouvoir la faire travailler et gagner du temps. Souvenez-vous, avant la Can ou pendant la Can, je disais que le Cameroun manquerait de temps. Il ne faut pas que cela se répète cette fois. Il faut rattraper le temps perdu, donc travailler au niveau de l’équipe et pas au niveau des choix.
Au milieu de terrain, il y a quand même une certaine lisibilité… à l’attaque, qui à côté d’Eto’o ? Et quel positionnement pour l’attaquant de l’Inter Milan ? Il est inutile de voir les Lions jouer autrement qu’en se basant sur une solide défense, sur une solide récupération du ballon, sur une capacité à empêcher l’adversaire de jouer. Tout ça dans l’espoir qu’on peut exploser très rapidement parce qu’on a, évidemment, Samuel Eto’o qui va très vite, qui voit vite et qui peut agir vite.
Sauf qu’on a un Samuel Eto’o qui se donne entièrement en club, mais qui est un peu poussif en équipe nationale… Si Samuel Eto’o jouait arrière gauche en équipe nationale, tout le monde le pendrait haut et court. C’est ce qu’il fait à l’Inter. En club, Samuel Eto’o ne marque pas de buts, alors que Milito en marque à la pelle. Et tout le monde est content d’Eto’o. Le problème, c’est qu’au Cameroun, on n’a pas Diego Milito, on n’a pas Schneider. Au Cameroun, Samuel Eto’o se retrouve dans un rôle qui n’est pas le même qu’à l’Inter. Il nous faut construire une équipe. Nous ne pouvons pas le faire, parce qu’il y a des gens chargés de le faire. Mais il faut arriver à combiner les forces des uns et des autres, en tenant compte aussi de leurs faiblesses, pour pouvoir bâtir quelque chose de cohérent. Ce que Samuel Eto’o fait à l’Inter est totalement inopérant pour nous Camerounais. Nous ne voulons pas d’un Samuel Eto’o qui joue arrière gauche. Qu’il soit décisif ; soit en marquant des buts, soit en donnant le ballon.
Propos recueillis par Raphael Nkoa et Jean-Bruno Tagne dans Le sport en plus Crtv / Le Jour |