«Le président de la Fécafoot est un incompétent, c’est lui le responsable de ce fiasco, pas Eto’o»
«J’avais envisagé de me rendre en Algérie pour présenter des excuses au peuple algérien, mais ce président trouvait que ça n’avait pas d’importance»
La star de la sélection camerounaise des années 80, Joseph Antoine Bell, que nous avons rencontré hier après-midi en marge de la CAN- 2012 qui se tient conjointement au Gabon et en Guinée équatoriale, a aimablement accepté de répondre à nos questions au sujet, tout d’abord, de cette compétition continentale mais aussi, et surtout, de l’affaire qui a fait couler beaucoup d’encre dernièrement, à savoir l’annulation du match Algérie-Cameroun qui devait se jouer le 15 novembre dernier.
Fidèle à lui-même, l’ancien portier de l’Olympique de Marseille est allé droit au but dans ses propos, accusant ouvertement le président de la Fédération camerounaise de football (Fécafoot), Mohammed Iya, d’être le seul responsable de ce fiasco. Entretien !
Tout d’abord, que pensez-vous de cette CAN ?
Je pense que l’organisation, jusqu’à l’heure actuelle est assez bien maîtrisée. Les Gabonais ont consenti d’énormes efforts pour accueillir tout ce beau monde et faire de cette compétition une totale réussite. Les matchs se jouent dans des stades magnifiques et dans une bonne ambiance. Pour ce qui est de la compétition, on a assisté à de bons matchs et à d’autres assez moyens. Ce n’est que le début.
Peut-on tirer un bilan de la prestation de certaines équipes dans ce tournoi ?
Pour un premier bilan, je dirai qu’il y a eu la confirmation que le Ghana et la Côte d’Ivoire sont les favoris de cette compétition. Ils ont eu du mal lors de leur premier match, mais ils ont gagné et c’est ça l’essentiel, je pense. Ces deux équipes me paraissent bien préparées et décidées aussi. Après, il y a ce qu’on appelle les outsiders et qui sont, à mon avis, le Maroc, la Tunisie et le Sénégal. Ces derniers disposent des moyens pour espérer aller le plus loin possible dans ce tournoi. Enfin, on a vu des petites équipes, comme le Soudan, le Botswana ou même la Guinée équatoriale qui ont affiché un beau visage et montré une résistance acharnée.
Pensez-vous que la Côte d’Ivoire peut, cette fois, prétendre réellement au sacre ?
Je pense que l’équipe ivoirienne a atteint le niveau de maturité nécessaire pour ce genre de tournoi. Cela fait un long moment que ses joueurs jouent ensemble. Ils ont la qualité, l’expérience et aussi la sagesse. Ils respectent aussi leurs adversaires et je crois que, cette fois-ci, ils sauront s’organiser pour répondre présents et, pourquoi pas, remporter le sacre. Cela dit, leur tâche ne s’annonce pas facile néanmoins. Ils auront en face d’eux le Ghana qui aura des arguments à faire valoir.
Comme toujours en CAN, quand le pays organisateur joue, le stade est archicomble, mais quand les autres sélections évoluent, on a souvent droit à des gradins vides…
Vous savez, je crois que c’est un problème de conception. La CAF doit prendre les choses en main et trouver une solution à ça. Il faut organiser des séminaires avec les pays organisateurs plusieurs mois avant le début de la compétition et les inciter à ne pas trop verser dans le nationalisme qui fait que les gens du pays organisateur ne pensent qu’à leurs matchs. Tout le monde connaît les stars de la Côte d’Ivoire, du Mali et du Ghana, mais personne ne va malheureusement les voir. Le football, c’est un loisir et un spectacle aussi. Il faut penser à motiver les gens.
Comme souvent, la CAN draine des dizaines d’agents qui profitent de cette compétition pour dénicher les perles rares. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Moi, personnellement, je ne crois pas beaucoup à ça. Je pense que c’est plus une possibilité pour ces agents de se rapprocher et discuter avec les joueurs. La CAN n’a jamais vendu un seul joueur. Par le passé, quand je jouais, je ne me souviens pas d’un joueur qui ait été recruté après une CAN. Les joueurs, on les connaît tous. On ne peut pas réaliser son marché lors d’une CAN, ni même lors d’un Mondial.
Des sélections comme l’Algérie, le Cameroun, le Nigeria, l’Afrique du Sud et l’Egypte notamment ne participent pas à cette CAN 2012. Comment expliquez-vous cela ?
Tout simplement, ils ne méritent pas d’être là. Ils n’ont pas fait de bons parcours lors des éliminatoires et c’est donc tout à fait normal qu’ils soient absents. Je pense que le problème de ces pays, de l’Afrique en général, c’est qu’on ne prépare pas le futur comme il se doit. Notre management n’est pas professionnel. Voyez le Cameroun, c’est le premier à être éliminé lors du Mondial, il est battu par le Gabon à la CAN 2010, mais on a rien fait pour redresser la barre rapidement. Il n’y a pas de miracle. Ce n’est qu’une suite logique. Les responsables camerounais n’ont rien fait pour faire avancer la sélection. Ils restent les bras croisés et disent qu’ils assument?! C’est vraiment incroyable.
Jadis, ces sélections faisaient partie des meilleures en Afrique. On voit que la tendance est en train de changer et que leur niveau baisse considérablement au fil des années…
Tout cela était prévu. Parlons des prestations de l’Algérie, du Cameroun ou même le Nigeria, lors du Mondial sud-africain. Il ne faut pas se mentir, leurs matchs étaient pénibles à regarder. Dès lors, on pouvait s’attendre à cette chute. Je me demandais d’ailleurs comment l’Algérie a pu éliminer l’Egypte. Mais bon, quand on voit que cette dernière ne s’est même qualifiée à la CAN par la suite, tout devient logique. En Afrique, on n’aime pas le changement. On se croit toujours grands et seigneurs. C’est valable pour les dirigeants et les joueurs.
Pensez-vous que désigner des entraîneurs étrangers à la tête des sélections africaines est une solution en soi ?
Je ne pense pas que ça soit la solution à tous les problèmes. Il faut choisir les plus compétents et ne pas faire confiance à n’importe quel étranger.
Parlons de l’affaire des primes qui a conduit à l’annulation du match amical face à l’Algérie. Il était prévu que vous vous rendiez à Alger pour présenter des excuses au président de la FAF et au peuple algérien, mais cela n’a pas été fait. Pourquoi ?
Cela ne s’est pas fait, à cause de l’incompétence des dirigeants. Le président de la Fédération camerounaise, qui est le plus grand des incompétent, a dit : «Je ne voyage pas avec Joseph Antoine Bell». Il trouvait que se déplacer jusqu’à Alger pour présenter des excuses aux Algériens n’avait pas d’importance et n’en valait pas vraiment la peine. Il n’a pas réalisé la connerie que sa fédération a faite et sa responsabilité dans ce fiasco. Après, on a accusé Samuel Eto’o devant l’opinion publique. Eto’o n’est qu’un simple joueur, et si un joueur commence maintenant à régler une fédération, c’est que les dirigeants en place sont des incompétents. Je le redis une fois de plus.
En Algérie, justement, après cette affaire, l’estime envers Samuel Eto’o a nettement baissé, puisqu’on l’a accusé d’être derrière l’annulation de cette rencontre amicale que tous les Algériens attendaient avec impatience…
Je sais bien. Cependant, il faut remettre les choses dans leur contexte. Il y a eu un divorce entre la fédération et les joueurs. Ce problème des primes persiste depuis plusieurs années. Moi-même, je me souviens lors d’un Mondial, quand j’étais joueur, qu’on a failli ne pas jouer face au Brésil à cause de ça. Cette fois-ci, la situation était devenue insoutenable et ça devait éclater. Dommage que c’est tombé sur l’Algérie. Eto’o ne doit pas être accusé, c’est le capitaine, c’est tout. Je dis aux Algériens qu’ils doivent excuser et comprendre les joueurs camerounais. Permettez-moi de préciser une chose.
Oui, allez-y…
Eto’o a longtemps été formaté par certains dirigeants de la fédération, notamment lorsqu’il était un peu plus jeune. Maintenant, il est arrivé à une certaine maturité et je pense qu’il a pu s’apercevoir qu’on l’avait utilisé pendant tout ce temps et qu’au final, il a été victime d’une machination de certaines personnes.
La fédération l’avait justement suspendu pour 15 matchs au départ, avant que la sanction ne soit revue à la baisse et ramenée à 5 rencontres seulement. Comment interprétez-vous cela ?
Je pense sincèrement que c’est une sanction abusive des gens qui ont été complaisants avant, et qui, maintenant, se vengent parce qu’ils ont le pouvoir. Ce n’est pas lui qui devait être sanctionné dans cette affaire.
Vous demandez au président de la Fédération camerounaise de démissionner ?
Et comment Eto’o a vécu tout cela ?
Je ne l’ai pas croisé, mais je pense qu’il ne l’a pas bien vécu. C’est vraiment désolant. En tout cas, je profite de cette interview pour présenter encore les excuses au peuple algérien pour ce qui s’est passé.