John Fru Ndi : L’ouvrier de l’ombre

John Fru Ndi : L’ouvrier de l’ombre

Le Chairman du Sdf sert la soupe au pouvoir, tout en jouant les croque-mitaines d’opérette qui distraient et égarent l’opinion.

En France, le sans domicile fixe (Sdf) est, comme son nom l’indique, un individu au bout du rouleau et qui, généralement pendant l’hiver, est dans la rue en quête de gîte et de couvert. Au Cameroun, le Sdf (Social Democratic Front) est un parti transhumant, à l’idéologie indéfinie et qui surfe sur le paradoxe. Son leader, John Fru Ndi, a poussé le raffinement jusqu’à faire de son discours un chef-d’?uvre de surenchère politique. Ses tours de prestidigitation égarent ses propres troupes. Au sein du personnel de l’opposition, il est désormais perçu comme une bête curieuse dont les multiples gonflages de biceps n’effrayent plus le premier naïf venu. Le pouvoir, trop fier de cette belle prise à peu de frais, rit sous cape pendant que son trophée de guerre joue les amuseurs publics sur la scène. Le Chairman s’est de nouveau produit mercredi dernier à la faveur d’une conférence de presse à Yaoundé, au lendemain d’une session du Comité exécutif national (Nec) où il a été décidé que, finalement, le Sdf appelait les Camerounais à s’inscrire massivement sur les listes électorales.

Et donc qu’il présentera un candidat à l’élection présidentielle d’octobre prochain. Qui sera Fru Ndi, off course. A la bonne heure !
Il y a quelques mois encore, c’est le carton rouge qu’on brandissait au très «partial» Elections Cameroon (Elecam), qu’on ne voyait pas en train d’organiser un scrutin présidentiel transparent et équitable. Le Sdf s’était alors fendu d’un mémorandum à 11 conditionnalités. A l’heure de la conférence de presse de l’autre jour, M. Fru Ndi semble avoir oublié de présenter un rapport d’évaluation de ces exigences pour justifier son brutal revirement. «Le Sdf n’a jamais demandé aux Camerounais de ne pas s’inscrire. Les nombreux dysfonctionnements observés dans le processus ont conduit aux réserves émises par le parti», explique-t-il. La langue de bois dérape souvent, amuse parfois mais ne convainc jamais. A l’analyse, tous les actes – ou presque – posés par l’homme depuis deux décennies n’ont contribué qu’à désorganiser et à décrédibiliser l’opposition, et à renforcer le Renouveau dans ses fondements. Sciemment ou à l’insu de son plein gré, Fru Ndi a travaillé pour le régime.

Soupçonneux
Avec Fru Ndi, surtout depuis qu’il ne fait plus mystère de son rapprochement avec le président Biya, la social-démocratie a des allures d’outil de chantage au service d’un homme. Pour lui, le Sdf est «plus fort que par le passé». En atteste sa représentativité inversement proportionnelle à l’Assemblée nationale : 43 élus en 1997, 22 sièges aujourd’hui. En témoignent les dizaines de désertions de cadres, ulcérés par une posture politique plus qu’équivoque ; plus proche de la compromission que du compromis. «Gérer une formation politique, ce n’est pas la même chose que gouverner un pays», dit-il. Il attend donc d’être au pouvoir pour se montrer bon père conciliant et bon gestionnaire des courants divergents.
En 2004, John Fru Ndi crée la sensation en sortant avec fracas de la Coalition pour la réconciliation et la reconstruction du Cameroun, qui s’est jurée de présenter une candidature unique contre Paul Biya à l’élection présidentielle. Le grand démocrate vient d’être battu par Adamou Ndam Njoya. «La question n’est pas de soutenir un individu qui servirait de faire-valoir à M. Biya. Nous voulons un candidat qui puisse l’emporter à l’issue d’une élection transparente. Cela dit, je me suis battu à chaque élection pour obtenir une candidature unique, mais je trouve parfois difficile de négocier avec les opposants camerounais», expliquera-t-il plus tard à Jeune Afrique.

Il fait défection et présente sa candidature. «(…) quand je revois comment les choses s’étaient passés, je me demande si les jeux n’étaient pas faussés d’avance», soupire M. Ndam Njoya. La suite, ce sera effectivement un rapprochement de plus en plus étroit avec le pouvoir qui, ces derniers mois, a accouché de trois chaleureuses poignées de mains et quelques échanges amicaux avec le président de la République. L’homme qui précipita l’avènement du multipartisme un certain 26 mai 1990 à Bamenda, celui-là dont le poing levé faisait vaciller le régime de Yaoundé, n’a pas seulement mis de l’eau dans son vin. Il a plongé dans le marigot du soupçon et de la déchéance politique. Le soupçonneux Fru Ndi, qui n’accepte d’affronter le suffrage universel que pour la magistrature suprême, semble avoir été rattrapé par ses sensations de militant du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc, au pouvoir).
Pourquoi faire semblant de continuer de se battre lorsque, sans activité professionnelle connue, un ancien «petit libraire» peut, du jour au lendemain, se retrouver propriétaire d’un ranch de 200ha et de 600 vaches, sans compter les vastes champs de piment et les vergers ? On passe sur les autres biens, meubles et immeubles qu’il n’a jamais songé à déclarer avant d’en exiger autant des autres. La politique est difficilement compatible avec l’accumulation des richesses.

Félix C. Ebolé Bola



17/08/2011
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