Jeunesse et citoyenneté : L’isolement et le désespoir des générations émasculées

L’isolement et le désespoir des générations émasculées La citoyenneté n'est ni une innéité ni une donnée immédiate et spontanée. Elle est la résultante d’une construction historique qui prend jour dans la société à travers des conflits, des luttes et des compromis. Réflexion sur les valeurs qui nous permettent de vivre ensemble, elle permet d’organiser la société et s’incarne dans un ensemble d’institutions et de pratiques sociales.

Juridiquement, un citoyen est une personne possédant la nationalité d’un pays donné, jouissant de ses droits civils et politiques, et s’acquittant aussi d’un certain nombre d’obligations envers la collectivité. La citoyenneté s’exprime au moins dans une triple dimension :

 

1) la citoyenneté politique, entendue comme participation au gouvernement de la cité et l'affirmation de l'appartenance à une communauté politique au moyen privilégié du vote, le suffrage universel étant le moyen permettant à toute personne de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis. 2)  La citoyenneté civique, entendue comme l'autonomie des choix des gouvernés, conditionnée par leur jouissance, avec la claire conscience des enjeux, des libertés d'opinion, d'expression, de réunion, de l’égalité de tous devant la loi et la justice...; 3) la citoyenneté sociale qui est apparue à la fin de la 2e Guerre Mondiale avec l’institution de la sécurité sociale, un système de protection sociale financé par l'impôt, dans le but de  mettre l'homme à l'abri du besoin. Aujourd’hui, on parle de plus en plus d’une citoyenneté culturelle, entendue comme manifestation d’une identité culturelle et d’une histoire communes. Source de légitimité politique, la citoyenneté ne prend tout son sens que dans le droit de vote et une participation effective, multiforme et multisectorielle à la vie de la cité : faire valoir son point de vue en adhérant à une association, un syndicat ou un parti politique afin d’apporter sa contribution à la définition des grandes orientations de la politique nationale.

La jeunesse, surtout au Cameroun, est une notion polysémique aux contours rendus  volontairement incertains. Son contenu, victime de constantes manipulations, fait souvent l’objet d’interprétations qui relèvent plutôt de la casuistique. Va-t-elle de sept à soixante-dix-sept ans comme l’on prétend ici et là au sein de la gérontocratie gouvernante? Dans ce cas, elle couvre plus que la durée de toute une vie, surtout dans les contrées où l'espérance de vie est des plus réduites et où on envoie les gens à la retraite à 50 ans ! N’est-elle donc qu’un état d’esprit? Alors, il en serait de même de la vieillesse et là, le cercle vicieux se referme. La jeunesse, au-delà de toutes ces boutades, concernera ici la tranche de la population comprise entre l'âge de 15 à 35 ans, comme l’a définie le Conseil National de la Jeunesse (CNJ), mis sur pied par le gouvernement. La problématique que soulève le thème « Jeunesse et Citoyenneté » est à notre sens celle de savoir comment amener les Camerounais de 15 à 35 ans à défendre leurs droits tout en  assumant leurs devoirs dans la claire conscience de leur totale appartenance à la cité. En d’autres termes, comment les intéresser à  s’investir dans des structures de dialogue et à négocier leurs intérêts de façon pacifique ? Que faire pour qu’ils s’impliquent en toute connaissance de cause dans la vie publique et  politique ?

Ce questionnement suppose d’une part que les jeunes se désintéressent de la politique et refusent de s’engager et de s’investir dans la vie publique, et d’autre part, que la société tient à ce qu’ils y participent et se préoccupe de leur intégration et de leur implication dans la gestion et l’organisation de la cité. La réalité des faits montre plutôt leur farouche volonté de participer à la vie sociale et d’influer sur les décisions qui engagent leur existence et leur avenir. Malheureusement, cette volonté de participation clairement affichée des jeunes contraste curieusement avec les stratégies grossières ou subtiles qui sont quotidiennement échafaudées pour les décourager, les éloigner, voire entraver la pleine jouissance de cette citoyenneté qui, dans sa définition juridique et son acception républicaine liée à la notion de « majorité », condition nécessaire pour être électeur et éligible, dépend fortement des mœurs sociales et sociétales ( valeurs et institutions) ainsi que du mode de fonctionnement d’un Etat. Une brève analyse de la forme de société et d’Etat et dans lesquels nous vivons nous éclairera sur l’exercice de la citoyenneté en général et celle des jeunes en particulier. 
Société gérontocratique

C’est un truisme de dire que c’est à la société et à ses diverses institutions qu’incombe l’impérieux devoir de socialisation et de formation politiques des jeunes, c’est-à-dire celui de les  préparer à la relève, en favorisant dès aujourd’hui les conditions et les circonstances de leur participation à la vie publique. Un rapide coup d’œil montre pourtant que tous les secteurs vitaux de la vie sociopolitique (gouvernement, Assemblée Nationale, Forces Armées et Police, DG et PCA des Entreprises publiques et parapubliques, etc.) au Cameroun sont occupés par des hommes et femmes qui, logiquement et légalement, auraient dû être déjà à la retraite depuis des lustres. Le Conseil National du secteur névralgique de la Communication Sociale encore tenu par un respectable patriarche âgé de près de 90 ans est révélateur de l'idée que notre société se fait de ses jeunes. Société outrageusement gérontocratique, le pouvoir y est presque toujours tenu des gérontes,  personnes les plus âgées, considérées comme plus expérimentées et plus sages, au détriment du mérite et d’autres qualités requises pour une gestion efficace et une rentabilité maximales. Point n’est donc besoin de relever que la jeunesse, à cause du potentiel de nouveauté et de menaces de changement qu’elle représente, est perçue, non pas comme une ressource, mais plutôt comme un danger, et de ce fait, victime de méfiance, de dénigrement, de répression et de toutes sortes de discriminations et de marginalisation.

 La structuration pyramidale du parti UNC/RDPC au pouvoir en organisations d'adultes, de femmes (OFRDPC) et de jeunes (OJRDPC) montre clairement le chronogramme d’intégration et de participation politiques, les jeunes devant ronger leur frein et attendre leur tour pour prendre en main le parti et le gouvernement. C’est ainsi qu’avec l’augmentation de l’espérance de vie, les centenaires se multiplient et les « anciens jeunes » de l’Organisation des Jeunes du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (OJRDPC), la cinquantaine ou la soixantaine largement dépassée, attendent désespérément que la mort oblige les vieux à quitter la scène pour que eux aussi aient la possibilité d’avoir voix au chapitre et de prendre enfin les choses en main. C'est ainsi aussi qu'on a vu des générations de jeunes de ce parti vieillir, devenir séniles et même mourir sans avoir pu avoir l’occasion d’apporter leur savoir-faire à la construction de leur nation, l'âge de la majorité étant devenu un serpent de mer.

 

                                              Age de la majorité et mysticisme de l’âge.

Dans toute société gérontocratique, l’âge de la majorité fait l’objet de beaucoup de mysticisme et de périlleuses acrobaties. Au Cameroun, l’enfant n’est officiellement autorisé à s’inscrire à l’école primaire qu’à l’âge de six ans, mais à neuf ans (au lieu de 11/12 ans normalement), il peut présenter le CEPE et l’entrée en sixième à condition d’obtenir une dispense d’âge, dérogation qui permet aux enfants issus de la nomenklatura de contourner les barrières et les contraintes de l’âge !  A 17 ans, le jeune est autorisé à entrer dans la Fonction Publique où il peut être nommé à des postes de responsabilité et de gestion. Mais, en cas de malversations financières par exemple, il ne peut être traduit devant un tribunal, puisque la majorité pénale ne s’obtient qu’à 18 ans. A cet âge, il est suffisamment mûr pour répondre de ses actes, être éventuellement condamné à mort, mais pas assez responsable pour se marier (majorité civile à 21 ans) ni pour choisir ceux qui vont conduire son pays ou voter des lois. Il attendra l’âge de 20 ans pour la majorité électorale, mais juste pour être électeur, et celui de 23 ans pour être éligible aux législatives. Pour être candidat à la présidentielle, il devra attendre l’âge de 35 ans,  c’est-à-dire, avoir épuisé l’âge de la jeunesse. Autrement dit, la loi prévoit ainsi subtilement qu’un jeune ne peut être président de la Mais elle est déjà loin, très loin même, cette époque où le feu Ninyim Pierre, âgé de seulement 23 ans, fut nommé ministre par M. Ahidjo !

 

 Etat de droit et Citoyenneté

En tant que jouissance de la plénitude des droits, la citoyenneté ne peut prospérer que sur un terreau démocratique où les libertés s’expriment sans encombres : un Etat de droit, système institutionnel dans lequel le respect de la hiérarchisation des normes juridiques soumet la puissance publique au droit et limite ses dérives, un système où les individus, les organisations ainsi que l’Etat lui-même sont des sujets de droit égaux, des personnes morales dont les décisions sont soumises au respect du principe et du contrôle de la légalité et qui peuvent contester l’application d’une norme juridique dès lors que celle-ci n’est pas conforme à une norme supérieure, un Etat enfin où la Constitution consacre une séparation et un équilibre de pouvoirs et où la démocratie et les élections ne sont que rhétorique incantatoire parodie.

Malheureusement, le Cameroun se présente plutôt depuis des décennies comme un Etat autoritaire qui, pour se maintenir et faire respecter les prérogatives du pouvoir politique, utilise la brutalité, la répression et la police, particulièrement la police secrète ainsi que des sycophantes et autres moyens radicaux pour assurer le contrôle social. Dans un tel Etat totalitaire où la séparation des pouvoirs et l'indépendance de la Justice ne sont que de la poudre aux yeux, où il n’existe pas de contrôle de la constitutionalité des  lois, où la police, la gendarmerie, les forces armées ainsi que l’Etat lui-même ne sont pas soumises aux règles et aux contraintes de l’Etat de droit, il est absurde de parler de l’implication des jeunes dans la vie politique alors que les adultes eux-mêmes ont déjà tout le mal du monde à exercer leur citoyenneté.

 

L’apprentissage et l’organisation du débat contradictoire

C’est à travers des institutions politiques mises sur pied par un Etat de droit (forcément démocratique !) que s'apprend le débat contradictoire et que s'exprime d'abord la citoyenneté des jeunes. L'Ecole, l'institution par excellence de la formation du citoyen, doit donner aux jeunes les armes et les capacités nécessaires pour participer réellement à la vie publique et faire face à l’émulation de la citoyenneté universelle. Elle permet de dispenser la langue, la culture, l'idéologie, le sens critique et de former un espace fictif à l’image de la société politique elle-même. L’école doit préparer l'individu à s'intégrer harmonieusement dans les structures  culturelles et sociales de la société. Elle doit donc, par une éducation active à la citoyenneté démocratique, contribuer à l'apprentissage des principes et des valeurs de l'éthique coopérative qui sont l'égalité, la participation volontaire, l'autonomie individuelle, la responsabilisation, la démocratie et la solidarité. La vocation d’une école républicaine doit être de transformer des individus, quelle que soit leur condition, en citoyens.


Etre citoyen, c’est être libre et responsable ; c’est être capable d’effectuer des choix individuels et d’en répondre ; c’est participer à la vie de la collectivité, c’est-à-dire décider avec d’autres, échanger, débattre, s’investir dans les actions sociales en faisant passer l’intérêt général avant l’intérêt particulier. Le citoyen doit pouvoir s’affirmer comme sujet et acteur d’un projet politique collectif et social. Il doit connaître les institutions républicaines et ses textes fondateurs, pouvoir les analyser et en comprendre les enjeux juridiques, politiques, économiques et sociaux. L’école doit afficher une réelle ambition politique et démocratique. Mais un Etat autoritaire peut-il donner une telle vocation à son Ecole alors qu’en enseignant le conformisme, la docilité, la servilité, la flagornerie des motions de soutien, l’adaptation passive et les attitudes de non critique, l’école il sait qu’il transmet des « valeurs » qui affecteront plus tard le maintiendra dans la situation de totale sujétion dont il a besoin pour se perpétuer?
Au Cameroun, sous le slogan démagogiquement castrateur et démobilisateur de « l’école aux écoliers et la politique aux politiciens » lancé par la gérontocratie cinquantenaire au pouvoir, les jeunes se trouvent encore confinés à l'apprentissage de la citoyenneté sous forme de l'instruction civique ou d'éducation à la citoyenneté se réduisant à des cours sans réelle substance suivis d’évaluation, des discours magistraux, des injonctions d’ordre moral, la politique , le sens critique et la revendication étant radicalement exclus de l’espace scolaire. L’élève et l’étudiant finissent ainsi par entrer dans la vie active sans avoir été confronté à la réalité politique, ce qui est un grand acquis pour l’Etat totalitaire qui pourra se maintenir et s’auto-reproduire indéfiniment. Une des pièces à remplir pour être admis dans les universités camerounaises est un formulaire d’engagement du postulant à ne jamais faire grève quelles que soient les conditions d’enseignement. Or le droit de grève est bel et bien un volet de la manifestation de la citoyenneté !

Notre institution scolaire, en excluant le débat, a choisi la formation d'un type d'homme veule, velléitaire, diplômé semi-lettré,  qui dans la vie ne sera qu’un homme servile et corvéable : un simple exécutant. C’est pourquoi derrière les manifestations et soulèvements de jeunes, sauvagement réprimés d’ailleurs, le pouvoir, convaincu que ses établissements scolaires n'ont jamais été rien de plus que des centres de lavage de cerveau et d’abêtissement collectif, voit toujours la main d’apprentis-sorciers qui les manipulent et qui tentent d'obtenir par la violence de la rue ce qu'ils n'ont pu avoir par les urnes. D’ailleurs, il ne saurait en être autrement. Une société doit incarner les valeurs qu’elle veut transmettre aux générations suivantes. Comment donner un sens aux mots respect, écoute de l’autre, autonomie, responsabilisation, justice, participation, tolérance…dialogue lorsque l’étudiant et l’élève sont traités comme des objets irresponsables, lorsqu'ils vivent dans une société intolérante, violente, injuste, fraudeuse, corruptrice et corrompue ?

Précarisation, corruption, aliénation, embrigadement et exploitation de la jeunesse

En 1990, à l’aube du retour au multipartisme, les jeunes, surtout les Etudiants, se sont illustrés aux premières lignes dans la bataille pour le pluralisme et la démocratisation du pays. Le régime qui se battait désespérément contre l’avènement d’un multipartisme qu’il trouvait « précipité » les a définitivement catalogués et n’a rien épargné pour les obliger à rentrer dans les rangs : suppression de la bourse, institution des frais de scolarité exigibles, chantage de renvoi des établissements scolaires de ceux qui montreraient des velléités politiques!  Les jeunes, étudiants surtout, sont alors infiltrés, surveillés. Il ne leur est pas possible de se regrouper ou de s’organiser. Des regroupements fantoches à la solde des autorités sont partout créer pour torpiller et combattre des regroupements authentiques des jeunes. Lors des émeutes de février 2008, le gouvernement, par la férocité de sa réaction, a donné au monde entier son point de vue sur la promotion de la citoyenneté des jeunes: massacres des jeunes, arrestations arbitraires, traitements humiliants et dégradants, détentions au secret, attaque du campus universitaire de Ngoa-Ekelé, chambres saccagées, étudiants arrêtés, maltraités, interpellés alors qu’ils ne se livraient à aucun mouvement revendicatif !


Un rapport publié par l’Association de Défense des Droits des Etudiants du Cameroun (ADDEC) et intitulé Rapport sur les Droits de l’Homme dans les Universités du Kamer dresse sur 18 pages les stratégies d’embrigadement idéologique des étudiants par le gouvernement: refus de promouvoir un syndicat estudiantin libre et crédible, interdictions régulières des manifestations et des réunions, militarisation du campus,  harcèlements, stigmatisations et exclusions des leaders estudiantins, fréquentes descentes des forces de l’ordre dans le campus, traitements dégradants et torture des étudiants dans les commissariats, condamnations et détentions régulières des étudiants pour leurs opinions, fréquentes tentatives d’assassinats et exécutions extrajudiciaires…

Pendant tout ce temps, comme dans tous les Etats totalitaires, on alterne le bâton, la carotte, car toutes les dictatures savent les soulèvements de la jeunesse sont toujours difficiles à contenir, puisqu’ils sont l’expression même du mouvement de la vie et du changement dans la société. La précarisation, la corruption et le clientélisme aidant, on aliène les jeunes et on les embrigade dans des associations où on les manipule, les amène à défendre le statu quo et à grossir les rangs de ces « militants fanatiques et électeurs itinérants » qui écument les villes et les villages en période électorale pour assurer des « majorités confortables » à des dirigeants illégitimes. Les victimes en sont-elles arrivées à aimer les bourreaux ? C’est en tout cas ce que nous font le croire les « résultats » des « élections » et le zèle de certains jeunes à défendre la gérontocratie gouvernante.

L’histoire a démontré que, victimes des manœuvres et des manipulations des structures dictatoriales, les jeunes se sont souvent ralliés à certains leaders de mouvements politiques dont les objectifs douteux les ont conduits à des pratiques qui leur étaient aussi nuisibles qu’incompatibles avec leur idéal de changement de l’homme et des sociétés. On l'a vu en Allemagne avec les Jeunesses hitlériennes exaltant la rigueur et la pureté de la race aryenne, en Italie avec les Jeunesses fascistes substituant à la lutte des classes "la vigueur d'une jeunesse en corps sain et en âme saine" etc. Au Cameroun, en l’absence du culte et du triomphe du mérite, et de surcroît plus préoccupée par son propre avenir que par celui de la collectivité ou du reste du monde, la jeunesse cède aux chants des sirènes et çà et là champignonnent des associations clientélistes et alimentaires à la gloire du parti au pouvoir et du couple présidentiel : PRESBY, JACHABY, etc. Il y a quelques années, Le Messager disait en avoir inventorié près de 3700 ! L’isolement, l’aveuglement et le désespoir historiques de la jeunesse sont ainsi exploités et maintenus par la hiérarchie d’un parti politique imposant avec une main de fer une pyramide de classes d’âge à l’intérieur de laquelle les jeunes n’ont aucune chance à faire entendre leur voix ! Pourtant, le chômage et l'angoisse constituent aujourd’hui la préoccupation centrale des jeunes, qu’ils aient ou non fait leur entrée dans la vie active. Les étudiants sont soucieux de l’obtention des diplômes qui leur garantiraient peut-être un avenir professionnel. Ayant remarqué que leurs enseignants « militent » ostensiblement dans le parti au pouvoir et signent souvent des pétitions pour que se perpétue le statu quo politique, la plupart, comme Faust, vendent leur âme au diable, quitte à être damnés pour l’éternité !

Ce faisant, ils ne vivent pas véritablement leur citoyenneté, car une citoyenneté authentique est une citoyenneté consciente, libre, responsable, dénuée de tout calcul égoïste. Elle ne s’exerce pas sous l’influence de la contrainte, de la manipulation, de la corruption, du lavage de cerveau et d’achat de consciences. Elle s’impose par une participation active et volontaire à la politique : conception, mise à jour et défense du contrat social incarné dans la Constitution ; élaboration de la loi comme expression de la volonté générale et garantie de l’Etat de droit ; implication dans la délibération publique ; participation au suffrage universel. Il s’agit d’autant d’éléments indissociables qui constituent les bases de la démocratie dans une visée universelle. La vraie citoyenneté est un engagement militant débordant les frontières de l’élite politisée pour s’investir dans les structures parallèles à l’appareil d’Etat que sont les syndicats, les partis, les associations, les collectifs militants les plus divers. Mais cela est-il possible dans un Etat totalitaire ?

Le jeune est un citoyen à part entière. Par conséquent, la jeunesse ne doit plus être considérée comme un temps d’exclusion de la scène politique. Ce qui fait qu’un peuple est un peuple, et non simplement une ethnie, une communauté, des croyants, les habitants d’un territoire, des entrepreneurs, un ensemble de consommateurs, c’est la politique. Un peuple est politique ou n’est pas. C’est cela que les comportements géronto-logiques et totalitaires de notre société veulent détruire.  La rhétorique incantatoire et faussement vertueuse de la jeunesse fer de lance de la nation, mais qui doit attendre que la mort fasse son œuvre de nettoyage pour se frayer une place au soleil a fait son temps. La question de citoyenneté des jeunes n'est ni un problème ni une question de jeunes. Elle interpelle la société toute entière qui doit se remettre en question, se démocratiser, comprendre que l’aînée naît le premier et le sage n’importe quand et par conséquent, reconnaître et aménager dans le cadre d’un pacte intergénérationnel une place aux jeunes. Il est absurde qu’à l’âge de 18 ans on soit pénalement responsable et qu’on ne puisse pas ni être électeur ni éligible, c’est-à-dire jouir de sa citoyenneté.

La frustration des jeunes s’exprime souvent par la drogue et d’autres formes de délinquance qui ont un sens politique et qui traduisent leur manière de manifester leur citoyenneté. Le droit à la participation des jeunes est une préoccupation internationale consignée entre autres dans l’article 12.1  de la Convention relative aux droits de l’enfant qui stipule : "Les Etats parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité". C’est donc la société et plus particulièrement l’Etat qui doit prendre des mesures visant à promouvoir et à faciliter la participation effective de la jeunesse à la vie publique. Or cela n’est possible que dans une société vraiment démocratique où tout le monde se bat pour l’avènement et le triomphe de l’Etat de droit ! Notre Ecole et notre société doivent donc être refondées et reconfigurées au risque de voir la résignation, l’apathie et l’abstention électorales entraver irréversiblement la vitalité de l’espace politique de notre pays.


Yaoundé, avril 2010.



12/08/2010
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