Jean Ziegler à nouveau :« Je maintiens que Gbagbo sortira de la CPI...»
Le nouveau courrier
Le vice-président du comité consultatif des droits de l’homme
de l’Onu et homme politique suisse, Jean Ziegler reste convaincu que le
président Gbagbo confondra les juges de la Cour pénale internationale
(CPI) au cours de son procès qui s’ouvre en juin prochain à La Haye. Le
Suisse qui était samedi dernier en France pour la dédicace de son
dernier livre revient à la charge contre le Français Nicolas Sarkozy et «son ami» Alassane Ouattara.
Jean
Ziegler, le vice-président du comité consultatif des droits de l’homme
de l’Onu et ancien rapporteur des Nations Unies pour l’alimentation,
était samedi 31 mars à Grenoble en France où il a présenté son livre «Destruction massive. Géopolitique de la faim (Seuil, 2011)». Devant un public venu nombreux pour s’imprégner de son combat contre «l’ordre cannibale du monde», il a appelé à «une insurrection des consciences»,
dénonçant l’activisme des dirigeants à la solde des multinationales
agro-alimentaires. Pendant une heure et demie, il a fait des révélations
à couper le souffle sur les lobbies qui dirigent le monde et tendent à
lui enlever le peu de pudeur et d’éthique qui lui reste.
Au terme de son intervention longuement applaudie par un auditoire qui n’a pas manqué de saluer son engagement dans le combat pour l’avènement d’un nouvel ordre mondial, plus juste et moins nocif aux pays non développés, Ziegler s’est prononcé à nouveau sur le cas de la crise ivoirienne qui continue de focaliser les attentions. En dépit du transfèrement du président Gbagbo à La Haye d’où - il reste convaincu – il sortira à l’issue de son procès ; la Cour pénale internationale qui «ne trouve pas de chef d’accusation» ne disposant pas, selon lui, de preuves contre lui.
Mieux, l’auteur de "Destruction massive. Géopolitique de la faim’’ maintient que si le président Gbagbo se présente à la prochaine élection présidentielle en Côte d’Ivoire, il «gagnera haut les mains».
C’est pourquoi il a salué le combat des mouvements et associations qui
ne reculent devant rien pour attirer l’attention sur la tragédie qui se
joue en Côte d’Ivoire. Et surtout pour obtenir la libération du
président Laurent Gbagbo, victime du «cannibalisme» de ceux qui dirigent le monde. «Ce que vous faites est très très important, il faut continuer », a lancé Jean Ziegler aux démocrates africains, occidentaux et autres engagés dans le combat contre ce qu’il appelle «l’ordre cannibale du monde».
«Gbagbo a toujours gardé son intégrité»
«Monsieur
Ziegler, vous avez eu dans la crise ivoirienne une position courageuse,
dans le sens où toutes les organisations internationales, les grandes
puissances avaient une position contraire à la vôtre. Celle-ci pourrait
être qualifiée de pro- Gbagbo. Pour vous, ce qui s'est passé e n Côte
d'Ivoire a-t-il quelque chose à avoir avec ce que vous nommez l'ordre
cannibale du monde ?», interroge une personne qui assistait à la conférence.
«Ma position, je la maintiens même si l'article que j'ai écrit dans Le Monde m'a valu quelques attaques. Je connais Laurent Gbagbo, car il était en exil à Paris et venait à Genève. C'est un professeur, universitaire et militant de l'Internationale socialiste, comme le maire de Grenoble. Au temps d'Houphouët, j'ai vu arriver les Mercedes, les propositions financières et d'entrée au gouvernement qu'on lui faisait pour rentrer au pays et acheter sa conscience. Il a toujours refusé et gardé son intégrité. Il a été élu régulièrement en 2000 de façon démocratique. Sa première décision politique a été de lancer la couverture maladie universelle, c'était le premier pays africain à lancer une telle idée. Je l'ai vu en février 2002 à Genève pour rencontrer les institutions afin de voir comment mettre en place cette politique. Mais déjà il subissait la pression des lobbies pharmaceutiques français qui font du bénéfice au nom de leur monopole. Je suis allé le chercher à l'aéroport et il m'a confié : «Tu verras, c'est maintenant que mes ennuis vont commencer».
Ça n'a pas tardé. En septembre, rébellion. Le pays a été
coupé en deux pendant dix ans, et en 2010 on lui a demandé de faire des
élections alors que les rebelles occupaient le Nord. Les urnes ont été
bourrées au Nord pour le compte de Ouattara sous le contrôle des armes,
et au Sud, il y a sans doute eu des irrégularités qu'on ne peut nier.
Mais les conditions d'une élection juste et démocratique n'étaient pas
réunies dans tous les cas. Laurent Gbagbo a tenu bon. Ce qui a été le
plus choquant, c'est que c'est Sarkozy et la France qui ont détruit la
résidence présidentielle, qu'ils ont bombardé et tué des milliers de
militants. Tout ça pour (…) son ami Alassane Ouattara qui est l'ancien
directeur Afrique du FMI et a appliqué la politique de plans
d'ajustements structurels, qui appauvrit tous les pays africains et
participe ainsi de l'ordre cannibale du monde. Aujourd'hui Laurent
Gbagbo est à La Haye, on ne trouve pas à formuler un chef d'accusation
contre lui, mais il est maintenu prisonnier. Et je maintiens qu'il
sortira et que s'il se représente à une élection dans son pays il
gagnera haut la main", a martelé le Suisse.
«Les fissures apparaissent partout, partout »
Selon
le rapporteur de l’ONU, il y a eu depuis cinq à six siècles, cinq types
d'ordre cannibales dans le monde. Il ressort de son analyse que
l'Europe s'est toujours construite avec le sang des autres.
D'abord le premier ordre cannibale, la découverte de l'Amérique avec le génocide amérindien pour occuper les terres et prendre l'or.
Puis la traite négrière pour faire tourner les champs de canne à sucre, coton, etc., et alimenter le développement de certaines villes européennes.
Le troisième : l'occupation des terres via la colonisation.
Le quatrième, c'est "la Coopération" (en gros la Françafrique...).
Le cinquième, c'est celui d'aujourd'hui, le plus dangereux, le plus fin, si fin qu'on ne sait plus par quel bout l'attraper. En gros : la généralisation des politiques libérales et de la logique de profit à l'ensemble de la planète.
Pour lui, ce système est en train de se fissurer et il y a de l'espoir. «Che Guevara disait : "Les murs les plus solides s'effondrent par des fissures." Or des fissures apparaissent partout, partout », a conclu Ziegler, citant également Pablo Néruda : «Même s'ils arrachent mille fleurs, ils ne seront pas les maitres du printemps ».
Emmanuel Akani et Benjamin Silué