Jean Michel Nintcheu: "Laurent Esso est doué de mauvaise foi"
Écrit par Recueillis par William Bayiha, stagiaire
Vendredi, 14 Décembre 2012 16:34
Vendredi, 14 Décembre 2012 16:34
A la fin de la session parlementaire de novembre 2012, le député Sdf du Wouri Est revient sur ses échanges avec les membres du gouvernement. Lors de l’ultime phase des questions orales, il a interpellé trois ministres sur trois principaux aspects de la vie publique.
Au ministre délégué auprès du ministre de
l’Administration territoriale et de la décentralisation), il a demandé
où en était le gouvernement avec la reconfiguration de la cartographie
électorale après la publication des résultats du recensement général des
élections il y a deux ans. Au ministre de la Justice, l’hon. Nintcheu a
posé sur la table la question du délit d’initié supposé du fils du
président de la République. Pourquoi n’ouvre-t-on pas une enquête
judiciaire dans cette affaire qui sent à tout point de vue le
détournement de fonds publics ? Dans le couloir relatif à la morale
publique toujours, la dernière des six questions orales de M. Nitncheu
s’est intéressée à l’acquisition de trois aéronefs par la Camair-Co, la
compagnie nationale. Il voulait savoir pourquoi les Camerounais ont
payé ces avions plus cher que les Indonésiens, la différence étant
quasiment du simple au triple. Dans notre édition du jeudi 13 décembre
2012, nous avons levé un pan de voile sur ce que les ministres ont dit
aux parlementaires. Aujourd’hui, l’hon. Nitncheu dit ne pas être
convaincu par les déclarations des membres du gouvernement au perchoir
de l’Assemblée nationale.
Pourquoi le SDF insiste-t-il sur la
question d’un nouveau découpage électoral alors que, comme l’a dit le
ministre délégué auprès du minadt, elle ne semble pas être une priorité
absolue ?
C’est vrai qu’il est extrêmement
important de connaître de manière précise le chiffre exact de la
population pour faire des projections pour définir la politique
économique, sociale et culturelle d’un Etat. Mais j’estime qu’il est
tout aussi important, après un recensement de procéder à un nouveau
redécoupage de manière à respecter l’égalité constitutionnelle des
Camerounais devant le suffrage universel. Actuellement nous vivons une
situation où les citoyens ne sont pas égaux devant le suffrage
universel. Par un exemple un député du Wouri pèse 250 000 habitants
alors qu’un député du Sud pèse un peu moins de 25 000 habitants. Des
écarts comme ceux-ci ne s’expliquent pas. Tout ceci doit être corrigé
sur la base de ce recensement. J’indique qu’un découpage biaisé est une
forme de fraude électorale. Voilà l’une des raisons pour lesquelles nous
insistons pour que ce découpage intervienne le plus rapidement possible
afin que tous les acteurs politiques s’organisent en conséquence. Nous
sommes habitués ici au Cameroun à des découpages qui ressemblent à des
manœuvres politiciennes qui interviennent souvent à quelques jours voire
à la veille du scrutin. Une situation qui est préjudiciable à la
démocratie. Il est important que le découpage se fasse de manière
équitable et suffisamment à temps.
Si M. Jules Doret Ndongo pense que le
gouvernement peut prendre son temps, nous estimons qu’une nouvelle
géographie électorale basée sur le recensement général de la population
de 2005 est une priorité. Il s’agit d’une priorité parce que, comme je
l’indique plus haut pour les domaines aussi variés que l’économie, le
social et le culturel, il permet de se faire une idée plus juste de la
représentativité des citoyens. Le redécoupage a une importance évidente
pour les acteurs politiques. A travers les élections, ils peuvent
arriver à renverser le rapport de force actuel. C’est donc une question
essentielle dans le fonctionnement de la démocratie. En même temps, je
rappelle que nous contestons toujours les résultats dudit recensement.
Si on a un esprit rationnel, il est clair que les résultats de
l’exercice sont biaisés. Pouvez-vous imaginer qu’une ville comme Douala
n’a que 1 980 000 habitants ? Une ineptie de cette taille nous conforte
dans l’idée que les régions réputées acquises à l’opposition ont vu
leurs populations volontairement minorées. L’objectif à terme étant de
l’affaiblir pour les prochaines échéances électorales.
Est-ce qu’en suggérant au ministre de
la Justice de faire pression sur le parquet pour l’ouverture d’une
enquête au sujet de l’Affaire Franck Biya, vous ne cautionner pas
dangereusement l’immixtion de l’exécutif dans le judiciaire ?
Franck Biya n’est pas n’importe qui. Dans
un pays normal, une telle personnalité impliquée dans une telle affaire
aurait provoqué un tollé. Certes ce n’est pas au Garde des sceaux
d’ouvrir une enquête judiciaire mais j’observe qu’il s’est impliqué
plusieurs dans d’autres affaires de cette nature. Vous vous rappelez que
son prédécesseur disait attendre les instructions du chef de l’Etat
pour ouvrir certains dossiers déjà bouclés. Ceci signifie que la
justice, concernant surtout l’Opération Epervier que la justice est aux
ordres de l’exécutif. Alors le ministre de la Justice ne peut pas quand
ça l’arrange insister sur ce que devrait être l’indépendance de la
justice alors qu’on sait que dans la pratique il en va autrement
autrement. Théorique ministre en séparant les pouvoir a raison. Mais
dans la pratique, il y a une situation de deux poids deux mesures. Pour
n’importe quel observateur camerounais, il va de soi que la justice est
aux ordres.
Par ailleurs, je crois qu’au lieu de
continuer à défendre maladroitement le fils du chef de l’Etat, on ferait
mieux d’ouvrir une information judiciaire. C’est une affaire qui est
extrêmement grave sur le plan de la morale publique. Quand on nous dit
que cette transaction a été faite dans les règles de l’art, je me
demande où se trouve le siège de la société Afrione, elle emploie
combien de Camerounais. J’ai le sentiment que c’est une société-écran
qui a été créée pour les besoins de la cause. Il faut éviter de prendre
les Camerounais pour des imbéciles. La vérité est qu’il y a eu délit
d’initié à travers cette spéculation financière, il y a eu détournement
déguisé des derniers publics. Voilà pourquoi il faut l’ouverture d’une
information judiciaire. Par rapport à cette affaire, je continue à
affirmer que le ministre de la Justice est de mauvaise foi en affirmant
qu’il ne peut pas donner des instructions au Procureur général. Il
s’agit d’une affirmation insupportable parce que je sais très bien
l’Opération Epervier est une opération pilotée par l’exécutif.
En tant que député, pourquoi risquer
de succomber à la tentation de faire vous-même pression sur la justice
alors que l’Assemblée nationale peut mettre sur pied une commission
d’enquête parlementaire ?
Nous continuons à envisager cette option.
C’est de notre devoir de demander la mise sur pied d’une commission
d’enquête parlementaire. Mais savez le sort qui a été réservé à notre
précédente démarche en ce qui concerne le crash de l’avion en 1995.
Sachant qu’une telle demande risque ne pas aboutir, nous préférons agir
sur plusieurs leviers, interpeller le gouvernement. Mais nous nous
réservons le droit de demander la mise sur pied d’une commission
d’enquête parlementaire. Mais si on n’a rien à cacher, il faut ouvrir
une enquête judicaire pour expliquer aux Camerounais que tout s’est
passé dans la transparence totale.
Après les explications du ministre des
Finances visant à expliquer les mécanismes légaux qui ont présidé à
l’Affaire Franck Biya, pourquoi continuez vous à croire que ce dernier
s’est compromis dans un délit d’initié ?
J’ai indiqué que la société Afrione est
une société fantôme. Une enquête judicaire devrait établir ces faits là.
Même si la spéculation financière n’est pas interdite mais quand elle
est associée au délit d’initié, c’est très grave. Car on monte une
affaire en sachant à l’avance qu’on va délester le contribuable de
quelques milliards. Il est extrêmement scandaleux qu’une société-écran
monté à la hâte gagne autant d’argent en 354 jours. L’attitude de Franck
Biya et celle de ceux qui le défendent maladroitement me rassure sur le
fait que nous vivons vraiment dans une république bananière. Remarquez
que lui, le principal concerné n’ait pas daigné réagir. Il a laissé les
ministres de la République essayer de défendre l’indéfendable.
Vous avez aussi demandé au ministre
des Transports si l’achat des trois derniers avions de la Camair-Co
n’avait pas donné lieu à des détournements sous forme de
rétro-commissions. Est-ce que vous ne cherchez pas la petite bête à tout
prix ?
Pas du tout. Tenez, on nous indique que
deux avions nous ont coûté 40 milliards et qu’un nous a été offert
gracieusement. Ceci signifie qu’un avion a coûté 20 milliards. Une
société indonésienne a acheté les mêmes avions à 6,5 milliards l’unité.
Voilà sur quoi je fonde mes soupçons. Pour le ministre les avions ont
coûté 31 milliards en réalité. Ce qui est encore trop cher. Mais il va
plus loin et c’est pire. Il dit que la somme a atteint les 40 milliards
parce que les chinois ont également fourni les pièces détachées ainsi
que la formation des pilotes. C’est quand même étonnant que le budget
alloué à l’achat des pièces détachées soit plus élevé que le budget des
appareils si je m’en tiens à la base des 6,5 milliards l’unité. Il y
aurait donc 27 milliards que l’Etat aurait dépensé pour acheter ces
pièces et former les pilotes ! Mais le ministre a tenté de se dédouaner
en disant qu’il ne s’occupe que des aspects techniques. Quoiqu’il en
soit cette affaire d’achat d’avion pour la Camair-Co dégage une forte
odeur de détournement de fonds sous forme de rétro-commissions.