Jean-Claude Ottou“Je pars de Mtn, Heureux”
Soumis par Haman Mana de le mar, 12/27/2011 - 19:45
Jean-Claude Ottou. Directeur-général Adjoint de Mtn-Cameroon, ancienne star du journalisme prend sa retraite. Il parle de « ses » carrières, au présent et au futur.
Au 31 décembre, vous quitterez vos fonctions à Mtn-Cameroon, pour prendre votre retraite. Qu’allez-vous devenir ?
Il faut dire qu’il y a une vie, après un CV professionnel comme le mien. Il existe en moi, plusieurs tiroirs. J’ai en moi le journaliste, le communiquant, le manager… Et puis, j’ai un dernier tiroir, celui de l’homme, tout simplement.
Vous avez eu justement cette carrière-là, avec plusieurs identités professionnelles. Quel est le fil conducteur de tout ce que vous avez fait ?
Le fil conducteur de toute ma (mes) carrière(s), c’est la passion. J’ai aussi été exigeant sur le professionnalisme, (le mien et celui de ceux qui m’entourent), j’ai eu la vocation (pour ce qui est du journalisme). Je me suis aussi adossé sur des valeurs : intégrité, fidélité, compétence et justice.
Vous avez participé, en première ligne, aux dix premières années de vie et disons, de succès de Mtn-Cameroon. Que gardez-vous de cette expérience ?
Pour moi, dix années dans un groupe comme Mtn en valent bien trente ou quarante ailleurs. Les années que j’ai vécues à Mtn, ont été en accéléré, et en avance rapide, surtout ; dans ce monde-là, tout va très, très vite, et il faut toujours avoir une innovation d’avance. Du coup, vous êtes transformé en une espèce de logiciel, qui calcule tout, gère tout à très grande vitesse. Et puis, avoir participé à la réussite de cette entreprise ne peut être que du bonheur. J’aime bien dire que l’histoire de Mtn, c’est un peu la mienne aussi… Lorsque j’y suis entré, l’entreprise comptait 5000 abonnés. Aujourd’hui elle en a un peu plus de 5 millions…On ne peut pas être indifférent devant une aussi belle aventure. Mtn s’est imposée comme leader dans son secteur. Et puis s’il faut parler de la valeur ajoutée que j’aurais apportée, c’est d’abord au plan de la communication : d’avoir fait passer un message qui consistait à dire que Mtn est une entreprise née en Afrique, créée par des Africains, pour satisfaire les besoins des Africains. Cela a été un message fort, et cela a fortement contribué à consolider l’image de Mtn, au sein de notre environnement. Et puis au cours de ces dix années, nous avons montré aux Camerounais qu’on pouvait faire l’entreprise autrement : la citoyenneté de l’entreprise n’est plus un simple slogan, je crois bien que les Camerounais l’ont bien perçu à travers Mtn : une entreprise n’est pas seulement une machine qui sert à fabriquer de l’argent, à court terme. C’est plutôt un compagnon pour le pays, son développement et le bien-être de ses citoyens. Lorsque j’arrive à Mtn, le tout premier dossier que l’on me confie, c’est celui du football camerounais. Il était question de faire quelque chose pour aider ce foot- là qui avait porté haut le flambeau de l’Afrique. Vous le savez, Mtn est issue d’hommes nourris à la philosophie de la lutte anti-apartheid ; vous savez c’est des gens qui ne peuvent pas faire les choses comme les autres. On a mis ce partenariat avec la Fecafoot sur pied, alors que Mtn ne faisait même pas encore de bénéfices. Mais pour les fondateurs Sud-Africains, c’était une affaire essentielle…Et puis comme vous pouvez le constater, ce n’était pas mené par le marketing, donc cela n’a jamais été une action pour gagner de l’argent. C’est vraiment de la citoyenneté.
Et puis, je garde de Mtn, cette passionnante aventure humaine, avec des équipes soudées, menées par des personnages extraordinaires : Je m’en voudrais de ne pas rendre hommage ici à deux personnes, hélas disparues à ce jour : Ron Allard et Utton Campbell, anciens directeurs généraux, qui ont insufflé cet esprit magnifique qui fait aujourd’hui encore l’âme de Mtn-Cameroon.
Vous partez heureux de Mtn ?
Je suis heureux. Je viens de passer dix années merveilleuses. Si on m’avait dit il y a vingt ans que j’aurais ce parcours-là, j’aurais sauté déjà de joie. Je suis croyant, et je crois qu’il ne faut pas insulter Dieu, lorsqu’il vous accorde tant de grâce. Je pars aussi sans regrets…Il y a un philosophe, je ne sais plus lequel, qui a dit que « la vie est une entreprise de démolition ». J’aimerais bien dire le contraire, Mtn m’a cronstruit.
De votre expérience managériale dans le privé, en tant que « pionnier » dans une entreprise, pouvez-vous dire que le Cameroun est un pays viable pour faire des affaires ?
Bien sûr, on peut faire des affaires au Cameroun, qui a un magnifique potentiel, et Mtn en est la preuve. Mais il faut améliorer l’environnement, les outils, et une certaine volonté. Notre pays serait encore plus viable, s’il y avait des choses faites, pour les investisseurs : il faut rendre plus flexible tout ce qui entoure la fiscalité, il est utile d’afficher une meilleure gouvernance…Mais comme dirigeant, je dois avouer que j’ai vu en dix ans, d’énormes progrès effectués dans les domaines des douanes et des impôts. J’estime que les choses y sont allées s’améliorant, il n’y a plus de harcèlement et je pense que l’attitude de ces deux administrations préfigure de ce qui pourrait être un jour le pays. Et puis il faudrait que l’on sache que l’Etat ne peut pas tout faire. Il est impératif que soit mis en place un véritable partenariat public/privé. C’est le seul qui puisse nous permettre d’avoir véritablement des infrastructures, les moyens pour nous épanouir économiquement. Je prends un exemple : le Cameroun manque cruellement de ce réseau de fibre optique qui nous permettrait de faire le saut du plafond dans le domaine du numérique. Mais les choses traînent. L’Etat pouvait autoriser les opérateurs à investir, puis exploiter et rétrocéder…
On a l’impression que ce dossier fibre optique vous est resté au travers de la gorge…
Je suis Camerounais, et de voir, de vivre des hésitations pareilles sur la modernisation des ces infrastructures essentielles me fait trépigner d’impatience. Je n’accuserai personne, mais les Camerounais doivent prendre conscience des enjeux, et il y a des décisions qu’il faut prendre vite, sans toujours s’en référer au « grand chef ». On a toujours l’impression, lorsqu’on voit les choses du privé, qu’aux yeux du gouvernement, l’entreprise privée est un ogre qui vient tout manger. Il faut pourtant savoir que, plus on investit, plus on gagne, et lutter contre la pauvreté devient plus facile, parce qu’on a plus de richesses. Il ne faut jamais hésiter, lorsqu’il s’agit de progrès, d’investissement, de création de valeur ajoutée. Lorsqu’on considère le domaine de l’Internet, on constate que l’on est en dessous de 2% de couverture de la population du Cameroun : c’est trop peu ! Selon des études que nous avons menées chez Mtn, on pourrait très rapidement, au cours des trois prochaines années, arriver au seuil des 15% et cela générerait près de 300 milliards de Francs. Comment peut-on hésiter ?
Lorsqu’on dit 6-7-8 : à quoi pensez-vous ?
A mes belles années de journalisme. Je crois sans aucun doute, que c’est au plan affectif, mes plus belles années professionnelles. On est là, fin des années 70-début années 80. Je suis un jeune journaliste passionné par son métier. « 6-7-8 », c’est les journaux du matin, éditions de 6h, 7h et 8h. Je présentais le 7h. J’allais au lit après minuit, et je me réveillais avant 4h. Cela a été mon école d’apprentissage, et je suis de ceux qui pensent que l’on naît journaliste, l’école n’étant qu’un espace où l’on acquiert les moyens. Pour le reste, on le fait au travail, et c’est là que l’on se construit.
En 1983, lorsque vous êtes au faîte de votre gloire journalistique, vous quittez pourtant Radio-Cameroun pour la Snec( Société Nationale des Eaux du Cameroun)…
Lorsque
je pars de la Radio en 83, je suis dans la trentaine. J’ai besoin
d’espace. Le journalisme vous élargit la vue et vous amène à rechercher
des espaces. J’étais encore tout jeune, et à Radio-Cameroun j’étais le
n°2 ou n°3 de la maison, j’avais envie de découvrir autre chose, je me
trompais sans doute, mais je croyais avoir déjà tout vu…Mais cela tient
de mon caractère, je suis en quête permanente d’émerveillement. Je me
souviens que déjà à l’époque, c’est ce que j’ai répondu à Henri Bandolo,
aîné, lorsqu’il m’avait demandé si j’avais bien réfléchi à ce que je
faisais.
Mais
une entreprise de distribution d’eau, cela n’est pas plein de
promesses, pour une star du journalisme qui cherche l’émerveillement…
Non,
pas du tout. Mais j’ai recherché de nouveaux espaces, j’ai cherché à
comprendre le monde de l’entreprise. Lorsque je me suis engagé à la
Snec, je me suis dit : 3ans, pas plus…Lorsque je suis parti de la radio,
la nostalgie du journalisme m’a tellement habité que je suis resté un
an sans écouter les informations à la radio. Je me contentais de la
presse écrite. D’ailleurs, c’est cette nostalgie du journalisme qui me
fera revenir, quelques années plus tard…
Nous
parlons-là de l’épisode du « Défi », cette émission de télé sur CTV,
qui vous a fait séjourner 9 mois à la « B M M », prison politique de
triste mémoire ?
(
rires). Ah là, ce n’est plus « Jean-Claude au pays des merveilles »,
c’est bien moi au pays des réalités…Le fait d’avoir été privé de liberté
pour une émission de télé, parce que j’exerçais mon métier de
journaliste, je l’ai vécu comme une séquence de la vie. Certes
douloureuse, mais qu’est-ce que cela représente à côté des souffrances
de ces autres hommes qui ont payé un tribut bien plus important pour des
idéaux encore plus nobles ? C’est l’école de la vie, cela fait partie
du métier.
Vous
devez le savoir : vous avez inauguré à votre époque déjà, cet exode des
belles plumes du journalisme vers les entreprises, les administrations
et les institutions. C’est une tendance qui se poursuit. Cette
saignée-là vers la com’ n’est elle pas préjudiciable au journalisme?
Cela
devrait amener la profession à rechercher les causes de cette
déstabilisation. Il y a dans ces départs, un déficit que les
journalistes cherchent à combler. N’est-ce pas tout simplement, une
question matérielle ? Pour accomplir pleinement sa mission, le
journaliste a besoin d’un minimum de confort, de sécurité matérielle. On
confond parfois liberté de la presse et liberté du journaliste.
Aujourd’hui, le journaliste est-il libre au sein même des entreprises de
presse ? Peut-on être libre si on n’a pas les premiers outils pour
l’être ? Vous allez interviewer une haute personnalité, et à la fin de
l’entretien, vous devez faire le chemin du retour chez vous à pied, dans
le froid de la nuit. Certains journalistes ne quittent-ils pas le
métier parce qu’il y a à l’intérieur de la profession, un fort mélange
de genre ? Et puis c’est quoi le journalisme aujourd’hui au Cameroun ?
Une faune dans laquelle on retrouve toutes sortes d’espèces devant
disparaître…
Peut-on dès lors être journaliste et s’épanouir matériellement et professionnellement au Cameroun de nos jours ?
C’est
difficile. Il faudrait que la société - qui a les journalistes qu’elle
mérite - ouvre un débat réel sur la question. C’est un sujet de débat
qui doit interpeller tout le monde, au-delà des hommes et femmes de la
presse. Il faut créer les conditions optimales de l’exercice de la
profession de journaliste au Cameroun. Qui dirige les entreprises de
presse ? Que sont les entreprises de presse ? Ce serait une chance, de
pouvoir avoir des journalistes qui sont aussi de bons managers car c’est
pour moi l’idéal. Les autres ne comprendront jamais « l’âme » des
journalistes. Ils penseront trop à l’entreprise, or c’est d’abord une
entreprise de presse…Il y en a qui essayent de survivre. Mais ces
entreprises en perpétuelle voie de survie ne rassurent pas. Les
journalistes sont des passionnés, mais la passion seule ne peut pas
porter une profession.
Le journalisme, plus beau métier du monde, à votre avis ?
Oui,
indubitablement. Il vous amène partout, et les espaces sont si vastes,
lorsqu’on est journaliste. On est tous les matins devant une chose
nouvelle, et c’est merveilleux. Le journaliste est un poète de la vie.
Ce n’est pas un tueur à gages, encore moins un Zorro, même s’il doit
rester vigilant, et siffler les excès quand ils ont lieu autour de lui…
Est-ce que vous avez fait une belle carrière ?
Oui,
bien sûr. Chaque être descend d’une étape qui l’a précédé. Ma future
vie je l’espère, sera encore plus belle. Je viens de passer 36 ans de
vie active, et j’ai le sentiment d’avoir accompli une ou deux choses. Je
me mets sur d’autres pistes : être plus à l’écoute de ma famille, de
mon épouse, de mes enfants, de moi-même. Il va falloir que je redonne
aux autres un peu de ce que j’ai reçu, moi-même.
Propos recueillis par Haman Mana
Source: Le Jour