Jean Bruno Tagne* : La lettre de Paul Biya aux Camerounais : paroles, paroles, paroles

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Ecrit par Jean Bruno Tagne   
11-11-2009
ImageJeudi 5 novembre dernier, tous les quotidiens camerounais ont consacré leurs unes à la lettre du président de la République, Paul Biya, à ses «chers compatriotes» à l'occasion de ses 27 ans de pouvoir.

La démarche du président Biya, qui a choisi le canal de la presse, y compris privée, pour s'adresser à son peuple a été saluée par beaucoup comme étant un chef d'œuvre d'originalité. Un événement inédit. 

Comme si Paul Biya venait d'inventer la poudre. Dans une logorrhée aussi ridicule qu'incompréhensive, on a même entendu des zélateurs du Renouveau et autres journalistes bien en cour, complaisants et connivents, demander ni plus ni moins que la canonisation des fonctionnaires chargés de la communication du président de la République pour ce travail. Pour une telle banalité ! 
D'accord, cette lettre du président de la République a permis à la presse quotidienne camerounaise d'avoir quelques centaines de milliers de francs Cfa pour leurs caisses si souvent indigentes. Mais, de là à en faire un événement inédit nous semble fort de café. Un manque de respect pour le peuple camerounais qui croupit dans la misère, le chômage, l'insécurité, l'injustice, etc. et qui, stoïquement, attend depuis 27 ans les véritables réalisations d'un régime et de son chef visiblement à bout de souffle.  

 A dire vrai, qu'y a-t-il de nouveau dans la démarche présidentielle ? Rien. Absolument rien. L'idée de la lettre a été expérimentée il y a bien longtemps, c'était en avril 1988 par l'ancien président français François Mitterrand, lorsqu'il se présentait devant les Français pour un deuxième septennat à l'Elysée. «Je veux vous parler de vous, de vos soucis, de vos espoirs et de vos justes intérêts», avait-il écrit aux Français. En plus, la lettre comme moyen de communication est aussi vieille que mathusalem.

Lors de la dernière présidentielle américaine, la dynamique équipe de campagne du jeune et fringant président américain, Barack Obama, a envoyé des e-mails aux Américains pour mieux leur expliquer son programme. Cette initiative avait l'avantage de la modernité et surtout de l'efficacité. Paul Biya eût été inspiré s'il avait envoyé des Sms aux Camerounais, des mails à d'autres, à partir de sa propre adresse et que sais-je encore. Il aurait renvoyé l'image d'un chef d'Etat résolument ancré dans la modernité, dans son temps.  

Sur la forme et sans être paranoïaque, l'on peut déceler comme une sorte de perfidie de la part des conseillers du président. La photo qui illustre la lettre «du père de la nation» n'est pas du tout heureuse. On y voit un homme, les lunettes posées sur le bout du nez, à la manière d'un ancien catéchiste, la calvitie bien entamée et qui signe machinalement un document dans un parafeur. Cette photo qui a été prise en plongée ne met pas le prince à son avantage. Paul Biya si souvent frais ne fait pas ses 76 ans. Il paraît en avoir 15 ans de plus. Avec ça, il porte très mal l'idée d'avenir du Cameroun qu'il veut faire passer à travers sa lettre.

Ses conseillers eussent été inspirés de filmer Paul Biya devant un ordinateur portable en train d'envoyer son mail à ses chers compatriotes ou en train de pianoter sur son I Phone ou sur son Blackberry. Combien de Camerounais ont accès à Internet ? direz-vous. Soit. Mais, on est ici bien dans le domaine de la communication où l'on vend le rêve, où l'on vend les aspirations. On aurait donné au président de la République l'image d'un chef d'Etat résolument tourné vers le futur, vers la modernité. Peut-être ses conseillers ont-ils simplement voulu être honnêtes envers eux-mêmes, convaincus que l'idée d'un Cameroun moderne ne fait pas partie du programme des grandes ambitions. Venons-en maintenant au fond de la fameuse lettre du président de la République à ses compatriotes. Une lettre qui a tout l'air d'un discours de campagne avant la lettre et conforte ceux qui pensent - même sans donner d'explications sérieuses - que la présidentielle de 2011 sera anticipée.  

C'est du réchauffé

Dans le fond, disais-je, la lettre de Paul Biya n'a rien de nouveau. C'est du réchauffé, sans effort d'innovation. Les sujets et les thèmes maintes fois ressassés reviennent. La paix, la démocratie, la lutte contre la corruption, les Lions Indomptables. Dans sa lettre, le chef de l'Etat semble se féliciter de la paix qui règne au Cameroun. On peut effectivement emboucher les trompettes du satisfecit avec Paul Biya, au regard des tribulations que l'on peut observer autour de nous. Mais, il faut reconnaître que la paix qui règne au Cameroun ne repose point sur un socle solide. Elle est régulièrement fragilisée par la pauvreté, les injustices de toutes sortes, les inégalités sociales, etc. Des cocktails suffisants pour entraîner l'implosion à tout moment. Il y a certes une certaine paix au Cameroun, mais on gagnerait à la consolider davantage par la mise sur pied d'une véritable justice sociale, d'une réelle politique de l'emploi et d'une sérieuse stratégie de lutte contre la corruption et les détournements des deniers publics, qui va au-delà du saupoudrage que l'on peut observer en ce moment sous le titre ronflant «d'opération Epervier».

La lettre du chef de l'Etat est truffée d'imprécisions. Après 27 ans de pouvoir, Paul Biya évoque «le chemin parcouru», «ses acquis», sans en citer une seule pour convaincre les destinataires de sa lettre. Quelles sont les grandes réalisations dont le Renouveau peut aujourd'hui se féliciter ? Le président de la République affirme, triomphal, qu'il «poursuivra plus ardemment la bataille pour l'amélioration des conditions de vie, la justice sociale et la lutte contre la pauvreté». Et d'ajouter : «Je veillerai de plus près à la mise en œuvre des grands chantiers identifiés et dont les effets bénéfiques aideront à l'édification du Cameroun des années à venir». Rien de concret. Que des approximations et des propos évasifs. Gouverner c'est prévoir, c'est faire de la planification. Quel programme le président de la République et son gouvernement entendent-il mettre sur pied pour résorber le chômage? Comment résoudre le déficit de logement qui, rien que pour les villes de Yaoundé et de Douala, est estimé à plus de 20. 000? Quels sont les grands chantiers que le Cameroun entend lancer sur les cinq prochaines années ? Comment développer l'agriculture dans ce pays gâté par la nature mais où les gens ne mangent pas à leur faim? Quelles stratégies pour attirer les investisseurs étrangers et leur donner un cadre propice au développement de leurs affaires ? Aucune réponse à ces questions ne figure dans la lettre du chef de l'Etat. Tout est vague.

François Mitterrand

Le président de la République a voulu imiter François Mitterrand (qui n'était pas vraiment un modèle), mais s'est arrêté à la forme, c'est-à dire en choisissant la lettre pour s'adresser aux Camerounais. Mais, dans le fond, la lettre de Paul Biya pêche par son manque de pragmatisme, à la différence de Mitterrand qui écrivait à ses compatriotes sur des choses concrètes, avec des indications chiffrées et claires.  

François Mitterrand promettait ceci : «1000 bibliothèques nouvelles, 1000 lieux de répétition pour les musiciens, 200 salles nouvelles de théâtre et de musique, 600 de cinéma, 120 musées créés ou rénovés, des dizaines de centres d'art, deux Zénith pour le rock et la musique populaire le cirque à Châlons-sur-Marne, la danse à Marseille et Nanterre, la photographie à Arles, la bande dessinée à Angoulême, le design industriel à Paris... De la plus modeste église de village à la cathédrale de Strasbourg et à la Cour carrée du Louvre, 3 000 chantiers ont entrepris de restaurer le patrimoine. J'ai poursuivi l'œuvre de mon prédécesseur, au musée d'Orsay, à la Cité de La Villette et engagé des projets qui s'inscrivent déjà dans notre paysage, Grand Louvre, Opéra-Bastille, Arche de la Défense, Institut du Monde arabe, Théâtre de l'Europe, Grande Halle».

Ces promesses ont bien été tenues et ces réalisations font aujourd'hui la fierté de cette France que nous envions tant. Quel Camerounais de passage en France n'a pas eu envie de se faire des photos devant l'Institut du monde arabe, devant la cour carrée du Louvre, devant l'arche de la Défense, etc. Tout ça est faisable au Cameroun, peut-être pas dans les mêmes proportions, mais encore faudrait-il simplement y penser.  

Enfin, le chef de l'Etat, comme à son habitude, évoque les Lions Indomptables dont il se félicite du «Fighting spirit». Les performances de certains Lions Indomptables qui font la fierté de certains championnats étrangers ne traduisent malheureusement pas la réalité du football camerounais. Le football local évolue dans le flou et dans un amateurisme indigne du pays des Samuel Eto'o Fils et autres Roger Milla.

27 ans de pouvoir et pas un seul stade de football sérieux de construit. Le pauvre stade Ahmadou Ahidjo ( !), régulièrement rafistolé, n'accueille les matchs internationaux que par tolérance de la Caf et de la Fifa. Peut-être le chef de l'Etat, sur son siège douillet de la tribune présidentielle du stade de Mfandena, ne sait-il pas que ses «chers compatriotes» s'asseyent sur le sol pour regarder les matches. Dans ces conditions, il est indécent de récupérer les performances pour le moins miraculeuses des Lions.  

Avec tous ces archaïsmes et tous ces atermoiements, l'on comprend que la seule évocation du Rdpc, du Renouveau, de son chef et de tout ce qui s'y apparente, suscite un rejet quasi pavlovien de la part des Camerounais sérieux. La lettre du président aux Camerounais n'est donc pas originale et n'apporte aucune réponse aux vrais problèmes des Camerounais. Parions qu'on va nous resservir ça le 31 décembre prochain.  



12/11/2009
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