Je suis né le 20/05 /39 à Moya, petit village qui appartenait dans le temps à la subdivision de Bangangté, comme on appelait. En 1952, l’administration coloniale nous a envoyés dans le Nkam à Yabassi (diviser pour mieux régner). Issu de parents paysans et sans moyen, mon enfance ne fut pas aisée et, plus encore, je les ais perdus très tôt. Mon père, feu Djeunjan, quand j’avais à peine quatre ans, et ma feue mère Keyeté en juillet 1952(paix à leur âme).
J'ai fait des études primaires : d’abord à Yabassi où mes oncles maternels, papa Yomen Abel et son cadet, papa Tchoumi Philippe (feu) qui y résidaient m’y avaient amené, jusqu’au cours élémentaire. Par la suite, j’ai regagné Moya car mes tuteurs étaient rentrés au village. Il convient de souligner que mon maître du CSI était feu Charles Mouellé (paix à son âme), le père de Njoh Mouellé Ebénézer, avec qui on avait fait ensemble cette classe.
La même année de mon retour au village (j’oublie laquelle), je suis admis au CM1 qui ne se trouvait qu’à Bangangté. Cette classe n’existait pas encore à Moya où il n’y avait que le cours élémentaire dans le temps. C’est alors au CM1 que j’avais rejoins mon feu frère aîné (paix à son âme !), décédé en 1965, qui avait repris cette classe. Ensemble on a continué jusqu’à l’obtention du CEPE nous deux en 1954. Comme j’ai dit plus haut, ne pouvant pas avoir les possibilités de continuer tous les deux, il préféra travailler comme moniteur à la mission protestante où nous avions toujours fréquenté pour pouvoir m’aider à continuer seul. Etudes secondaires à l’école Elie Allégret de 55 à 59. 1959 ! Une année qui s’était mal terminée car jusqu’à un mois de la fin, un évènement subit était intervenu, opposant les moniteurs stagiaires qui venaient là-bas se faire former pour la pédagogie (j’oublie le motif) à la classe de troisième où j’étais. Une bagarre s’était ainsi déclenchée entre eux et nous. Et le directeur de l’école, Doucet Jean Claude, un Français, a donné huit jours de congé disciplinaire à toute la classe de troisième en nous disant : il me semble que vous faites partie de ce mouvement qui est là dehors. Si çà continue ainsi, je vais faire venir les militaires pour vous arrêter et vous enfermer ! Il faisait peut-être allusion à l’UPC ?
Après les huit jours, nous sommes tous rentrés à l’école. Il nous a dit de demander pardon et on l’a fait. Or, il avait décidé de renvoyer cinq de nos camarades, les considérant comme des meneurs de troubles !
Lorsqu’il a prononcé sa sanction nous avons dit que personne ne devrait mettre pied en classe tant que nos cinq camardes ne seraient pas repris. Nous avons ainsi persisté quelques jours sans suite et quelques uns parmi nous ont commencé à reprendre les cours. Les autres ont suivi et, pour finir, ceux qui n’avaient pas été pas renvoyés ont tenu à leur parole. J’étais donc parmi ces derniers et ce directeur a demandé qu’on nous refuse de faire l’examen du BE ! (Brevet Elémentaire, note de T.N.). Mais finalement, on nous a laissé faire car nos dossiers étaient déjà partis, signés par lui. Seulement, n’oublions pas qu’il faisait partie des examinateurs… C’est à Foumban que se sont déroulés ces examens.
Après mes études je suis descendu à Douala où j’avais fait quelques mois et suis revenu vers le 20 ou le 21 décembre 59 au village où j’ai trouvé que quelques unités de l’ANLK arrivaient au village et incitaient les gens à prendre part à la lutte de libération du pays. Les grands devaient contribuer matériellement et financièrement ; les jeunes demeuraient dans la jeunesse mais contribuaient aussi un peu financièrement. Je suis donc resté parmi les jeunes. Choisissant parmi ceux-ci quelques uns, ils les envoyaient dans les villages un peu éloignés, soit pour appeler certains chefs du village à venir verser les sous que les populations ont contribué, soit à leur transmettre les nouvelles. Bref, les jeunes étaient pour différentes commissions et pour s’attendre à être enrôlés dans l’ANLK. Car, de temps en temps, on réunissait cette jeunesse et choisissait parmi elle ceux qui devaient désormais être dans l’ANLK. En les faisant entrer, on tenait compte de leur physique, donc de leur santé aussi, et on n’y prenait pas aussi les mariés. C’est par cette procédure que j’ai été aussi enrôlé, plus précisément le 27-03-1960.Une fois enrôlé, tu devais prêter « serment de fidélité » et pouvait dès lors prendre part aux opérations…
Au Collège
A Bafoussam, à l’école Elie Allégret, j’étais aussi partisan d’un groupe d’éclaireurs que dirigeait un de nos profs, le nommé M… Daniel, et je faisais aussi partie de l’UEB, Union des élèves Bamilékés. Avant, je n’avais jamais milité dans l’UPC. J’en entendais parler, mais en l’air, et j’admirais ceux qui avaient pensé à créer ce mouvement pour réclamer l’indépendance de notre pays des mains des dominateurs. Je nourrissais aussi le désir de les rencontrer un jour mais sans en avoir jamais eu l’occasion. Sauf celle que je viens d’évoquer plus haut et je l’ai donc saisie car j’avais bien l’espoir. Beaucoup de mes amis avaient fuit le village en ce temps et quelques personnes avaient voulu me faire rentrer à Douala. J’ai dit non. Exemple : le feu Njanu Pierre (paix à son âme), qui allait par la suite devenir le maire de Nkondjock. Comme je l’ai déjà dit, durant toute ma scolarité je ne connaissais l’UPC que de nom car n’y ayant pas milité. Cependant, je peux dire qu’à l’époque , la situation de ce mouvement était critique. Cela parce que après les évènements de 25 mai où Roland Pré avait massacré plusieurs centaines de kamerunais à cause de l’UPC, celle-ci est restée quasi clandestine, les représailles ayant été très fortes contre ceux qui se réclamaient upécistes et qui se voyaient trahis par des gens. Suspectés, ils disparaissaient en définitive : déportations arbitraires dans les régions les plus reculées du pays, Tcholliré, Yoko etc. Les têtes des combattants de l’ANLK et des militants au maquis coupées et exposées publiquement dans les carrefours, les marchés, et malheur à qui les voyant pouvaient faire triste mine ! Les parents, quand on leur présentait les têtes et demandait s’ils ne reconnaissaient pas ces têtes, c’était un attrape- nigaud pour les arrêter en cas de réponse affirmative. Les militants de l’UPC et les sympathisants étaient partout pourchassés, arrêtés, torturés, emprisonnés ou tués arbitrairement. Quoique cela, la grande majorité des populations était en faveur de l’UPC. Leur soutient lui était entier. Il est vrai que l’UPC à proprement parler n’a vu le jour en général dans le Nord Makombé ou en particulier dans mon village que par l’arrivée des combattants de l’ANLK en 1959. C’est donc dire que si la plupart de ces populations acceptaient de soutenir le mouvement, il y en avait qui le faisait par peur, sans doute, mais ils étaient très peu nombreux. Cela se démontre par le fait que l’ANLK vivait sans problème dans tous les villages environnants du département du Ndé et faisait le contrôle sur tous les grands axes qui pénétraient ces villages. On creusait des tranchées et coupait les arbres pour barrer toutes les voies, ce qui rendait très difficile la tâche aux militaires pour pénétrer dans ces zones où toutes les populations leur étaient hostiles. Et cela depuis le Ndé jusque dans le Mungo ! Malheureusement, les dirigeants se trouvant à l’intérieur n’étaient pas informés de la situation exacte du pays puisque ces zones étaient comme libérées.
L’UPC dans les années qui précédèrent l’indépendance était très implantée partout en pays Bassa et en Sanaga Maritime, à l’Ouest chez les Bamilékés. Dans le Mungo, c’était un mouvement très dynamique, bien organisé en comités de base, régional, centraux avec au sommet le Comité Directeur. Ses actions s’étendaient partout dans les villages et les villes. Ses organismes solidement liés.
Quand les combattants de l’ANLK avaient commencé à arriver chez nous à Moya particulièrement comme je venais de dire un plus haut, le régime en place avait accusé notre chef du village (Moya) d’être celui qui les a fait venir. Pour cela, les militaires sont venus de Nkondjock pour l’arrêter et l’amener à Yabassi où finalement il a été fusillé (paix à son âme), sans doute en 1962. Je l’ai seulement appris après ma sortie de prison (1985, note de T.N.). Mais lors de son arrestation en 1960 j’étais encore au village. Le nom de Nana Thomas le doux me revient : je précise qu’il avait travaillé à Bafoussam comme officier d’état-civil avant de rentrer au village en 1957 être chef après la mort de son père. C’est lui qui avait même établi ma carte d’identité officielle quand j’étais arrivé là-bas pour fréquenter en 1955. Il jouait dans l’équipe de football de Bafoussam comme capitaine, si j’ai bonne mémoire. Cette équipe s’appelait Hirondelle. C’est la seule victime dont je garde le souvenir de l’époque.
Celui qui m’avait pris au maquis s’appelait Tambou Lot.
Après que nous nous soyons rendus au camp où s’était basée l’ANLK situé à la mission protestante, presque déjà déserte à cause de la guerre, quel changement brusque ! Il faut maintenant faire la guerre ! Sans être entraîné, ni équipé ! Contre ces militaires entraînés et armés jusqu’aux dents, et ces hélicoptères qui volent en l’air et qui font verser sur nos têtes leurs plombs meurtriers. Vais-je m’en sortir ? Vivant ou cadavre ? Autant de questions qui me revenaient à l’esprit. Après tout, je me suis dit : mourir ! Mourir ! S’il faut défendre sa patrie, car les Français eux-mêmes nous ont appris qu’il faut mourir pour la patrie. C’est le sort le plus beau, le plus digne d’envie. Pourtant après, ils sont les premiers à nous tuer quand nous voulons défendre notre patrie. Non, je ne céderai pas !
Comment se faisaient alors les attaques ?
Je peux dire que dans les cinq premiers mois de 1960, c’est l’ANLK qui menait les offensives puisque c’est la nuit que les unités se déplaçaient et allaient opérer en ville. Je me souviens qu’en 1961 nous avions pendant trois jours successifs attaqué trois camps militaires : Batcha, Bakou et Badounga. Dans ce dernier cas, nous avons perdu un combattant, Debranchard (paix à son âme). C’était quand Ouandié n’était pas encore rentré au pays, alors que les militaires avaient de la peine pour la pénétration puisqu’ils ne pouvaient le faire pratiquement que le jour. Et les populations ne leur étaient pas favorables et toutes les principales routes qui conduisaient dans le village étaient contrôlées par l’ANLK. Les tranchées y étaient creusées partout, les arbres coupés et renversés sur les voies. Seule alternative pour eux : se servir d’hélicoptères. Mais que faire avec le bruit qui signalait de loin leur arrivée ?
Ne pouvant plus continuer ainsi, Ahidjo a alors fait appel aux Français. C’était le secours du 6e mois 1960. La France avait envoyé des troupes armées, environ 2000 hommes. Ils réussirent, avec l’armée locale, à déloger l’ANLK des villages, et ont contraint les populations à se regagner les villes dans des camps de concentration. Ces lieux sont devenus comme des zones rouges. Désormais, tous ceux que l’armée y trouvaient maintenant sont considérés comme maquisards et traités comme tels. Ce fut un nouveau virage de la vie au maquis. Pour trouver de quoi manger maintenant, il faut se préparer comme si on allait en guerre, au risque d’avoir des accrochages en route avec les militaires ou tomber dans les embuscades qu’ils ont tendus. La tactique de guerre a désormais changé. L’ANLK pouvait se rendre en ville pour attaquer au moment opportun ou tendre des embuscades et se défendre sur place lorsqu’elle est attaquée. Les militaires, même chose : fouiller les bases de l’ANLK le jour pour détruire et tendre les embuscades et attendre dans leur camp. Cette situation dura environ quatre ans de 60 à 64. Ces villages abandonnés n’avaient presque plus rien. Et les militaires multipliaient les attaques car ils pouvaient dés lors entrer partout dans les zones qu’ils jugeaient suspectes et encercler, surtout quand ils savaient que Ouandié était rentré au pays depuis 1961 et se trouvait sans doute dans ces zones ! Au fur et à mesure que le temps passait alors, la situation se compliquait. Nos moyens diminuaient, l’effectif aussi. On s’éloignait de plus en plus de la population, malgré qu’on ait des groupes d’organisateurs qui vivaient non très loin des villages. Le contact n’était plus régulier. C’est ainsi que vers 1967 on s’est retrouvé très loin dans la brousse, on ne pouvait se nourrir que des palmiers qu’on abattait afin d’enlever la mœlle et manger. Des fois, pendant toute une semaine, on ne pouvait vivre qu’avec des palmistes que l’on ramassait sous les palmiers et que l’on ne pouvait concasser que la nuit autour du feu. Le jour, l’insécurité régnait surtout lorsqu’il y avait des encerclements par les militaires. Et cela pendant des années, utilisant des moyens rudimentaires : vieilles machettes qu’on ne limait pas sinon sur des pierres. Nous avons mangé des herbes que nous ne connaissons pas comme légumes, et des fruits inconnus. Nous avons aussi bu l’eau des mares où pourrissaient des feuilles mortes de toutes sortes !
Abattre des palmiers non seulement était difficile, mais cela mettait notre sécurité en jeu. Car une fois que les militaires découvraient un palmier abattu, ils étaient sûrs que nous étions dans cette zone et ils se mettaient à fouiller. Des fois encore, ils se tenaient à distance et écoutaient les bruits des palmiers qui tombaient. Là alors, ils vous surprenaient…
Le camarade Ouandié Ernest est rentré de l’exil en 1961 (paix à son âme), plus précisément le 24 Juillet 1961. Il arrive d’abord dans le Mungo où il fait une escale d’un an avant de rejoindre le Ndé en 1962 où j’étais aussi. Il ne tarda pas à convoquer une assemblé générale la même année. But principal de cette assemblée : prendre contact avec les populations. Deuxième assemblée populaire 1963 : le 13-9- 63. Au cours de cette assemblée, il mit sur pied une direction provisoire : le comité révolutionnaire (CR) comprenant sept membres : Ouandié lui-même, président ; Kingué Abel ; Wougly Massaga ; Ndoh Michel ; Njawé Nicanor ; Ndongo Ndiyé ; Ossendé Afana. Le comité révolutionnaire suscita parmi les dirigeants upécistes à l’extérieur un grand mécontentement. Deux groupes se formèrent : d’un côté le groupe Ndé-Ntumazah, Kingué, Ossendé etc. contre l’autre, Woungly, Ndoh, Tchaptchet etc. Le premier groupe disait que ce n’était pas vrai, que le comité révolutionnaire n’a pas eu lieu sous maquis et que ce sont les Woungly, Ndoh et autres qui l’ont fomenté. Ce qui le poussa à sortir une petite brochure intitulée «La vérité sur le comité révolutionnaire » dont le but était de tenter de prouver que le CR n’a pas existé. Alors que le CR a été fait sous nos yeux par Ouandié au maquis. Ces dirigeants se trouvaient dans le temps au Ghana. Après le coup d’état contre Nkrumah par le général Ankrah, les Ndoh sont arrêtés et enfermés par ce dernier. C’est après leur libération que Ndoh Michel trouvera l’exil en Suisse, Woungly Massaga finalement partira pour l’Angola et regagnera le Cameroun plus tard ayant négocié avec Biya…
Ouandié continuera son travail avec la formation des cadres sous maquis[2]. Il demandait partout au sein de l’ANLK tous ceux qui avaient le niveau de suivre les cours pour les former. C’est ainsi que je me suis retrouvé au quartier général et devenu son secrétaire après la formation. Dès que je suis arrivé auprès de lui, il m’avait demandé quel était mon nom de lutte ? Je lui ai dit : Ben Bella. IL me questionna encore en disant pourquoi as-tu pris ce nom ? Je répondis que parce que j’avais appris l’histoire du président algérien Ben Bella, ce qu’il a fait pour l’Algérie et je voudrais comme lui autant faire pour le Kamerun. A cette réponse, il s’arrêta un instant me fixa d’un air d’admiration puis me tendit la main en ajoutant : « Du courage ! Fais pour le Kamerun ce que Ben Bella a fait pour l’Algérie ! »
Nous étions de la première promotion : Makembé Tonlo Adolphe dit Free Boy, son premier secrétaire venu avec lui du Moungo, Noumbissi David dit Nkrumah. Un autre secrétaire mort au maquis par suite de maladie (qu’il repose en paix) et moi… Donc, trois secrétaires retenus après ces cours. A la sortie de cette école, nous étions nommés commissaires politiques et Free Boy a été affecté dans un centre pour former les combattants. Nous restions deux au secrétariat : Nkrumah et moi. Les cours étaient centrés sur l’idéologie du parti. Entre temps il nous avait aussi donné, nous qui étions au secrétariat, quelques notions sur l’économie politique et le matérialisme dialectique. L’ANLK était aussi, entre temps, formé militairement par un camarade qui était venu de chine pour ce travail. Son nom Jean Chine ou Jean Bad Hat. Il entraînait donc militairement les
L’ALNK fut aussi réorganisée comme suit :
- Au poste, un chef de poste secondé par un chef de camp.
- Le district dirigé par trois responsables en tête. Le chef de district coordonnait toutes les activités. Le commissaire politique chargé de l’organisation. Le chef de régiment pour les opérations. Ce dernier avait avec lui une troupe appelée troupe régulière, constituée des braves et solides combattants. Le chef de régiment ne restait jamais sur place mais parcourait avec ses éléments tout le district, recueillait des renseignements et opérait. Dans le Ndé, c’était le célèbre Château dynamique, bien connu dans le temps par ses actions. Il fut finalement tué dans une embuscade (la date m’échappe). Son corps fut exposé à Bangangté-centre.
- Les zones : en tête de la zone, un commandant de zone. Sous sa direction, trois districts. Le camarade Makembé Tollo Adolphe dit Free Boy fut nommé comme commandant de zone. Son rayon d’activité : Ndé, Mifi, Menoua. Il finit par être blessé par les militaires. J’oublie s’il était sorti de lui-même du maquis pour se soigner ou arrêté après ce coup. Car quand nous étions arrêtés Ouandié et moi, il fut aussi interpellé pour le jugement. Mais lui, il a été jugé et condamné par le tribunal militaire permanent de Bafoussam et nous à Yaoundé. J’ignore le nombre d’années qu’il avait eues (si possible lui demander pour précision, même pour sa sortie : de lui-même ou arrêté ?). C’est le camarade Big Boy qui était nommé commandant de la zone de le Moungo. Il a été tué par les militaires (paix à son âme).
- Enfin, l’Etat-Major dont le chef était Singap Martin et son adjoint Kana David dit Malam Défense. C’est lui qui coiffait alors toute l’armée. Entre temps, après le retour du camarade Ouandié (Emile), il envoya Malam Défense auprès de lui. Mais, par derrière, il tomba dans une embuscade tendue par les militaires du régime néocolonial et y trouva la mort (paix à son âme), ceci quand Malam Défense n’avait même pas encore atteint Ouandié. Arrivé au quartier général, Malam Défense mit un peu long avec Ouandié avant de partir dans le Moungo où il finit par être tué aussi par l’armée du régime Ahidjo (paix à son âme). Il nous était difficile de dire exactement les pertes que subissait l’armée, mais je me souviens une fois, les populations nous avaient informé pour le cas d’une embuscade que certains de nos éléments avaient tendue entre Bazou et Mbam que l’armée y était tombé et avait perdu 28 des siens.
Une zone commandait trois districts. Il convient de noter aussi que l’ANLK était mixte, donc composée de filles et de garçons. Rôle des combattantes principalement, la cuisine. Mais je reconnais jusqu’ici une combattante qui était dans la troupe régulière. Il s’agit de la camarade Njila Emilienne alias Souvenir. Il se trouvait aussi les militants ne prenant pas part à la guerre active mais qui cependant jouaient un rôle très important. Il y en avait qui soignaient différentes maladies et les blessés de guerre. Je me souviens que le camarade Samuel a été blessé au cours d’une attaque dans notre base et a été soigné « indigènement » par les militants. D’autres faisaient des vérifications par les moyens qu’eux seuls connaissaient : voir quand il y a déplacement au jour le jour dans les campements, s’il y aura un quelconque danger…
Il y avait aussi quelques infirmiers, mais il leur manquait le matériel et les produits pour les soins de sorte que de fois quand un camarade était blessé et que la balle restait dans le corps, il n’était pas possible d’opérer pour retirer. Oon le faisait sans anesthésie même s’il faut amputer une main broyée par les balles. Un infirmier du QG apprenait aussi la médecine aux combattants. A la fin de l’apprentissage, il délivrait une attestation. Nom de cet infirmier : Luc Mon Pays. Il était ex-infirmier à l’hôpital de Bangwa dans le Ndé. Pour finir, il a été blessé et arrêté.
L’insécurité était donc totale ! La guerre faisant rage. Conséquences : la nutrition devenait rare, l’effectif des combattants diminuait, armes et munitions devenaient rares de même que la liaison avec les populations et l’extérieur. L’agent de liaison entre le maquis et l’extérieur ayant été arrêté, jugé et condamné à je ne sais combien d’année. Son nom : Fermeté Sa peine finie il a été libéré mais est mort dans un accident de circulation sur le pont du Wouri (paix à son âme). D’où la décision des dirigeants exilés de faire sortir Ouandié du pays afin qu’ensemble ils puissent étudier la situation avant de trouver les mesures appropriées pour lancer la lutte. C’est Mgr Ndongmo Albert qui le fera partir. Après l’arrestation de Fermeté, de temps à autre, quand Mgr Ndongmo faisait l’extérieur, il ne manquait pas des fois de voir des camarades de Ouandié qui s’y trouvaient et, de retour, s’il y avait des informations, les communiquer à Ouandié. On pouvait donc supposer qu’il était en ce temps bien posé pour pouvoir accomplir cette mission et sa qualité d’évêque l’épargnait des contrôles qui se multipliaient partout à travers le pays. Ceci étant, il prit rendez-vous avec Ouandié pour le départ au mois d’août 1970 à Melong. Je devais faire route avec lui. Quelques éléments du quartier général nous avaient conduits. Arrivés sur les lieux dans la journée, nous avions campé dans les champs. C’est la nuit que nous entendons le klaxon d’une 404 qui s’arrêta juste en face de nous. Un homme habillé en soutane y sortit : c’est Mgr Ndongmo. Notre élément en faction fit signe de sortir. Nous voilà sortis, Ouandié et moi à la rencontre du prélat. Tout juste quelques secondes pour nous serrer la main et nous voilà dans la voiture, lui-même au volant. C’est par signe de main que nous pouvons dire au revoir à nos camarades qui devaient rentrer à la base. Très vite, nous nous sommes retrouvés à l’évêché à Nkongsamba. C’est le matin qu’il nous amènera au petit séminaire de Melong chez un prêtre du nom de Tchuisseu, si je ne me trompe pas. Cette fois-ci, il accompagné de son chauffeur Tenkeu Laurent.
Nous sommes conduits dans une maison à un niveau. « Restez-là, nous dit-il, je reviens. » Et il repartit immédiatement avec Tenkeu, son chauffeur. Nous ne le reverrons que deux jours après, accompagné de son chauffeur, pour nous prendre et nous conduire cette fois à Mbanga, dans un quartier appelé Maléké, chez un catéchiste. Tous ces déplacements ne se faisaient que la nuit. Il se retira un peu à l’écart avec le catéchiste, murmura quelques mots avec lui puis nous voilà repartis (sans catéchiste), direction : plantation de caféiers ! où il nous abandonnera avec promesse de revenir bientôt. Il n’est jamais revenu ! Après quelques jours, sentant notre sécurité menacée, nous avons essayé de changer de position par mesure de prudence. C’est alors que nous avons découvert que nous étions encerclés par les militaires et les populations civiles armées. Nos efforts pour les esquiver furent vains. Nous sommes tombés entre les mains des populations civiles qui se mirent à nous pourchasser. Je fus arrêté le premier car souffrant d’une plaie au pied et portant nos deux sacs : celui d’Emile[3] et le mien. Ouandié réussit à s’échapper. L’on m’amena à la gendarmerie de Mbanga où je fus soumis à quelques interrogations avant d’être reconduit à la gendarmerie de Nkongsamba. Je passai une nuit assis, courbé sur le sol, les mains au niveau des chevilles liées ensemble. Le matin, j’avais le dos qui me faisait atrocement mal. Le lendemain je suis à Bafoussam où était dans le temps, si j’ai bonne mémoire, le colonel Noussi Joseph. Deux jours après, sur le chemin de la brousse sous le commandement de Noussi qui a l’intention d’attaquer la base où j’avais laissé mes camarades. Quelques jours plus tard, il me dira qu’on a arrêté le camarade Ouandié. Il l’avait appris par un émetteur-récepteur. Nous avons mis une semaine en brousse et sommes rentrés à Bafoussam, eux déçus parce que sans voir ni la base, ni une trace des camarades.
Le lendemain on me transféra à Yaoundé à la BMM en passant par Douala où un hélicoptère m’attendait à cette occasion. Je n’ai revu l’évêque Ndongmo qu’à la BMM. Lui-même étant, dit-on, rentré de Rome arrêté. Les autres s’y trouvaient déjà : Ouandié, Fotsing, Wambo le Courant, Takala Célestin. Les deux derniers étant de la « Sainte Croix ». Nous étions logés différemment dans les cellules.
Peut-être est-il important de souligner que durant tout le temps que nous avons passé avec l’évêque, nous n’avons mangé qu’à l’évêché la première nuit et au petit séminaire de Melong, le prêtre nous a offert une poignée d’arachides décortiquées à chacun c’est tout.
Njassep Matthieu
(Extrait d’un témoignage écrit en juillet 1998)
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[1] Secrétaire particulier du Président du Comité Révolutionnaire de l’UPC
[2] Pour une idée précise du type de formation dispensée par Ouandié sous maquis, contacter le « Collectif Mémoire 60 » (collectifmemoire60@yahoo.fr ) pour rentrer en possession d’un document électronique propriété de l’association « Remember Kamerun »
[3] Nom de lutte d’Ernest Ouandié : « camarade Emile »