Jacques Bonjawo: «Il est plus simple de laisser les camerounais de la diaspora investir librement chez eux»
Écrit par Idriss Linge | Yaoundé Mercredi, 25 Août 2010 20:22
Jacques Bonjawo, patron de Genesis Telecare dresse le bilan du premier forum économique et commercial des camerounais de la diaspora en terre camerounaise"En termes d’investissement d’abord je suis parti sur la base d’un plan d’investissement qui prévoyait de dépenser en 5 ans 2,5 milliards de FCFA. Après 15 mois d’opération, si ce plan reste encore pertinent, les chiffres doivent être révisés à la hausse, car les besoins sont de plus en plus énormes et nous avons déjà investi près de 700 millions de FCFA seulement en équipement et antennes satellites VSAT"
Monsieur Jacques Bonjawo, vous venez
de participer au tout premier forum organisé en terre camerounaise, et
portant sur l’économie et le commerce en association avec les
Camerounais de la diaspora, quel est votre sentiment au terme de cet
évènement?
Mon sentiment est double, d’une part, parce qu’au
départ, le forum a connu une organisation un peu chaotique, en tout cas
si je m’en tiens au fait qu’il a été retardé de 48 heures. En revanche,
je peux dire que pour l’essentiel, à mon avis c’est un forum que j’ai
jugé utile, en ce sens que pour la première fois, j’ai vu en tant que
participant, des Camerounais de la diaspora, échanger librement avec le
gouvernement de leur pays d’origine et les échanges portaient sur des
sujets importants. Ces échanges m’ont paru fructueux et je ne peux que
saluer pareille initiative, parce que pour une grande première le
gouvernement camerounais s’est décidé à entendre les membres de la
diaspora et d’écouter ce qu’ils avaient à dire sur le développement
économique et social de leur pays. D’aucuns se sont lancés dans la
critique systématique de ce forum. Pour ma part, je n’apprécie pas le
manichéisme en politique.
Vous êtes intervenu dans ce
forum en faisant notamment un discours, globalement quelle est la
contribution que vous avez tenu à apporter aux participants?
Je
dirais que j’ai été très honoré de pouvoir intervenir en qualité de
Keynote speaker de la diaspora, ce qui veut dire que l’on souhaitait que
je parle pour ainsi dire au nom de cette diaspora. Pour cela, j’ai
estimé qu’étant donné le nombre d’intervenants qui m’avaient précédé, au
moins une dizaine, il fallait que mon sujet porte sur l’essentiel. Par
exemple j’ai évité de donner un speech sur l’économie ou la technologie,
et même de parler de mes actions à l’international pour ne concentrer
mon propos que sur des initiatives que j’ai entreprises au Cameroun.
Cela m’a paru primordial. J’aurai pu m’étaler sur Genesis Futuristic
Technologies, le groupe que je gère aux Etats-Unis et qui mène
d’importantes actions en Inde, ou encore parlé de mon parcours
(Microsoft, UVA, etc…), comme le souhaitaient certains. Mais j’ai
délibérément évité de le faire, considérant qu’il n’y avait pas beaucoup
de temps et que ce qui serait vraiment utile c’est de donner l’exemple
d’un projet concret mis sur pied par un membre de la diaspora. C’est
ainsi que j’ai pris le parti de parler de Genesis Telecare, notre grande
aventure de télémédecine, démarrée récemment au Cameroun mais qui prend
pied bientôt en RCA, où le gouvernement l’a déjà approuvée, et dans les
autres pays d’Afrique centrale. J’ai choisi de parler de cette
expérience camerounaise et africaine parce que beaucoup ont estimé que
j’occupais une place assez singulière dans ce forum car ayant créé une
grande structure qui fonctionne plutôt bien dans un environnement
difficile, où nous connaissons les mêmes challenges quotidiens que tout
le monde : le fisc, les coupures d’eau, les coupures d’électricité, les
contraintes administratives, etc… Mais c'est le prix à payer par chacun
de nous si nous voulons faire bouger les choses.
Jacques Bonjawo
On estime à 1% du produit intérieur
brut l’apport des transferts de fond de la diaspora camerounaise vers le
Cameroun, ce n’est pas plus que d’autres pays mais c’est important;
alors à votre avis comment faire pour que toutes ces dynamiques puissent
réellement et effectivement contribuer au développement du pays?
Les
transferts de fond vers les familles c’est bien mais à mon humble avis,
ce n’est pas vraiment cela qui pourrait développer le Cameroun, ou
développer l’Afrique. Je pense en revanche que les actions importantes
doivent se focaliser sur les investissements directs de la diaspora au
Cameroun, et surtout sur son corollaire, à savoir le climat des
affaires. Je m’explique: Vous savez très bien que lorsqu’un investisseur
vient de l’étranger, qu’il soit camerounais ou non, et qu’il veut
monter une affaire au Cameroun, il affronte un certain nombre de
blocages. C’est vrai le gouvernement nous a dit être conscient de ce
problème et de vouloir y remédier efficacement. Je pense donc que les
investissements directs sont très importants, mais aussi les
investissements en ressources humaines. C’est-à-dire que les camerounais
de la diaspora qui ont une certaine expertise devraient être sollicités
par leur pays dans le cadre de grands projets de développement, et cela
fait cruellement défaut. je pense qu’il est temps qu’on se penche sur
cette question très importante, qui implique à terme, le transfert de
technologies du nord vers le sud comme on dit, vous savez très bien que
cela se passe dans de nombreux pays comme l’Inde, que je connais très
bien par ailleurs pour y avoir séjourné plusieurs fois et pour y avoir
développé mon business à moi, je pense donc que ce volet des compétences
de la diaspora est très important et ne doit pas être négligé. Alors
les transferts d’argent c’est bien, mais cela ne représente qu’une
fraction de ce potentiel de la diaspora. Du reste, souvenez-vous de ce
proverbe chinois qui dit qu’il vaut mieux apprendre à quelqu’un à pêcher
plutôt que de lui donner du poisson.
On revient sur Gensis Telecare, sur le bilan à ce jour de cette initiative, en termes d’investissement et d’efficacité.
En
termes d’investissement d’abord je suis parti sur la base d’un plan
d’investissement qui prévoyait de dépenser en 5 ans 2,5 milliards de
FCFA. Après 15 mois d’opération, si ce plan reste encore pertinent, les
chiffres doivent être révisés à la hausse, car les besoins sont de plus
en plus énormes et nous avons déjà investi près de 700 millions de FCFA
seulement en équipement et antennes satellites VSAT. Je vous communique
ces chiffres pour que vous compreniez que le domaine de la télémédecine
nécessite d’importants investissements en amont dans la mesure où, il
faut des équipements qui coutent très chers, il faut former le personnel
médical à leur utilisation, et c’est un volet qui lui aussi a des coûts
très élevés, parce que le Cameroun reste malgré tous ses efforts, en
arrière sur le plan du taux de formation en informatique. Maintenant, en
ce qui concerne le bilan en termes de visite, nous avons réalisé près
de 10 000 consultations en ligne à ce jour, principalement dans les
zones rurales, notamment à Abong-MBang, à Yagoua ou à Nkoteng. Nous
avons aussi un site ici à yaoundé et un autre à Douala, mais le plus
important est de comprendre que nous entendons avancer graduellement,
parce que déjà nous envisageons d’ouvrir des centres à Akonolinga, à
Nanga Eboko (dans le centre), et à Kousseri dans l’extrême nord du
Cameroun. Et je pense qu’au terme de cette démarche nous espérons
couvrir l’essentiel du Cameroun, et apporter des soins de qualité à un
coût moindre, 2000 FCFA en zone rurale et 5000 FCFA dans les grandes
villes pour se faire consulter par des spécialistes qui se trouvent à
distance. Lorsque les patients ruraux ont besoin d’examens spécifiques
comme l’électrocardiogramme ou l’échographie, le coût est seulement de 5
000 Francs CFA. Ce qui nous réjouit c’est que les populations
s’approprient de plus en plus la télémédecine, un pari qui semblait osé
au départ.
Avec ce bilan on ne peut que
se réjouir pour vous. Mais on voudrait bien que vous releviez les
difficultés que vous avez rencontrées
C’est une question
très importante, j’en conviens. Je dois dire pour commencer que je ne
m’attendais pas à ce que ce soit facile. Les difficultés, on les
rencontre partout ; aux Etats-Unis où je vis ou même dans d’autres pays
où je mène des actions ce n’est pas facile. En revanche je dois admettre
qu’en ce qui concerne l’obtention d’une autorisation d’exercer la
télémédecine au Cameroun, ça a été relativement facile. Je crois que
c’est dû en partie au fait que nous avons pris le temps de monter le
dossier correctement avant de le soumettre au ministère de la santé
publique. J’ai vraiment apprécié la diligence avec laquelle ce ministère
technique a traité notre dossier. Il y a eu beaucoup d’échanges avec
les responsables de ce ministère avant la signature finale du ministre
Mama Fouda que je ne connaissais pas et n’avais jamais rencontré
auparavant. La télémédecine c’est un nouveau concept pour le Cameroun et
que le ministère autorise son exercice sans vraiment trainer outre
mesure a été une chance pour Genesis comme pour les populations qui en
bénéficient. Nous avons aussi eu le soutien du MINEPAT, puisqu’il s’agit
d’un projet ayant un lien avec la réduction de la pauvreté et le
développement. Tout cela nous a un peu facilité les formalités
administratives. Pour le reste, il faut se battre comme toute structure
du secteur privé.
Bill Gates et Jacques Bonjawo
Il y a beaucoup d’autres Camerounais
de la diaspora qui comme vous ont acquis et développé une expertise
internationalement reconnue, je pense à Severin Keuzeu avec la
technologie anticollision, je pense à Ernest Simo qui a développé la
technologie qui sert aujourd’hui à développer le CT Phone (CDMA), mais
qu’est-ce qui explique selon vous, que malgré ces compétences, le
Cameroun soit encore obligé de payer cher dans des partenariats pour
assurer le développement des secteurs, où plusieurs de ses
ressortissants possèdent un savoir-faire reconnu?
D’abord,
je crois que le Dr. Ernest Simo que vous citez a aussi déployé ses dons à
la NASA. C’est dire que le savoir faire de nombreux Camerounais n’est
plus à démontrer. Pour revenir à votre question, il est évident que nos
autorités n’ont pas toujours cherché à employer les compétences des
filles et fils du pays. J’estime néanmoins qu’un tel forum vise à
remédier à cet état de choses. Comme je vous l’ai dit, ce forum à mes
yeux a été, un succès. Un bémol toutefois que je partage : beaucoup ont
regretté que la plupart des membres de la diaspora qui sont intervenus,
se soient focalisés sur leurs réalisations à l’étranger ou dans leur
pays d’accueil, mais sans vraiment dire concrètement en quoi cela peut
aider ou ce qu’ils peuvent apporter à leur pays d’origine et à son
développement. L’essentiel des débats aurait dû se porter sur cette
problématique. Les gens de la diaspora auraient dû plutôt faire des
propositions concrètes de manière à indiquer aussi leurs attentes
vis-à-vis des autorités ou des autres partie prenantes pour la
matérialisation de ces propositions.
Le Cameroun se lance dans un
vaste programme de développement des nouvelles technologies de
l’information et de la communication, il y a l’arrimage au réseau
panafricain des TIC, il y a aussi le projet de développement de la fibre
optique en Afrique centrale et au Cameroun, mais on ne vous a pas trop
vu, pourtant c’est votre domaine d’expertise
Je n’ai été
sollicité pour aucun des projets que vous évoquez, notamment celui du
réseau panafricain et la fibre optique, d’ailleurs j’ai rencontré le
directeur régional de l’UIT, Monsieur Jean-Jacques Massima, qui venait
de participer au lancement de ce projet à l’hôtel Hilton de Yaoundé et
il est venu me rendre immédiatement visite à Genesis Telecare. Il a posé
la même question que vous, surtout après avoir vu les réalisations que
nous avons faites. Sachez du reste que nous avons connu le même
désintérêt pour ne pas dire indifférence lors de l’implantation de
l’Université virtuelle africaine, nous y sommes parvenus difficilement
au Cameroun. Dans plusieurs pays d’Afrique de l’ouest la question s’est
traité au plus haut niveau et aujourd’hui le Sénégal par exemple possède
plusieurs centres d’université virtuelles, le Kenya possède trois
centres, donc vous voyez le Cameroun aurait pu en bénéficier largement,
surtout qu’à ce moment-là j’étais président de l’UVA et j’avais une
grande latitude pour l’implantation des centres en Afrique. Cela dit il
n’est pas trop tard et les autorités commencent à comprendre et semblent
plus disposées à exploiter ces compétences de la diaspora ou même
nationales.
On termine avec le forum, il
s’est achevé sur des déclarations non chiffrées. Comment faire pour que
l’ensemble des travaux réalisés au cours de ce forum, constitue le point
de départ de quelque chose de vraiment important. Le point de départ
pour une véritable implication des Camerounais de l’étranger au
développement de leur pays, par-delà les débats sur la double
nationalité ou sur le droit de vote?
D’abord je dirai une
fois de plus que ce forum m’a paru globalement positif et il n’est qu’un
début, mais un pas important. Je tiens d’ailleurs à remercier ici les
organisateurs, y compris les agents d’administration dont on ne parle
pas toujours, mais qui ont travaillé durement pour que le forum se
tienne. Je pense à un certain Emmanuel Mbarga qui a été très diligent et
réactif à mes mails pendant la préparation du forum. Je voudrais
toutefois relever un point qui me semble important. J’ai entendu au
cours de ce forum, qu’il y avait des Camerounais qui voulaient être
présents mais qui n’ont pas pu faire le voyage faute de visa d’entrée au
Cameroun ; ce problème de visa, on ne le dira jamais assez, constitue
un obstacle majeur à l’investissement chez nous. Sans être un expert du
droit, je pense que c’est un problème qui peut se résoudre facilement
s’il y a une véritable volonté de la part des autorités. A mon avis
lever cet obstacle reste primordial pour l’avenir du Cameroun en matière
d’investissements de la diaspora ou des étrangers.
Source: Journalducameroun.com