Jacques Bonjawo: «Il est plus simple de laisser les camerounais de la diaspora investir librement chez eux»

Jacques Bonjawo, patron de Genesis Telecare  dresse le bilan du premier forum économique et commercial des camerounais de la diaspora en terre camerounaise"En termes d’investissement d’abord je suis parti sur la base d’un plan d’investissement qui prévoyait de dépenser en 5 ans 2,5 milliards de FCFA. Après 15 mois d’opération, si ce plan reste encore pertinent, les chiffres doivent être révisés à la hausse, car les besoins sont de plus en plus énormes et nous avons déjà investi près de 700 millions de FCFA seulement en équipement et antennes satellites VSAT"

 

 

Monsieur Jacques Bonjawo, vous venez de participer au tout premier forum organisé en terre camerounaise, et portant sur l’économie et le commerce en association avec les Camerounais de la diaspora, quel est votre sentiment au terme de cet évènement?
Mon sentiment est double, d’une part, parce qu’au départ, le forum a connu une organisation un peu chaotique, en tout cas si je m’en tiens au fait qu’il a été retardé de 48 heures. En revanche, je peux dire que pour l’essentiel, à mon avis c’est un forum que j’ai jugé utile, en ce sens que pour la première fois, j’ai vu en tant que participant, des Camerounais de la diaspora, échanger librement avec le gouvernement de leur pays d’origine et les échanges portaient sur des sujets importants. Ces échanges m’ont paru fructueux et je ne peux que saluer pareille initiative, parce que pour une grande première le gouvernement camerounais s’est décidé à entendre les membres de la diaspora et d’écouter ce qu’ils avaient à dire sur le développement économique et social de leur pays. D’aucuns se sont lancés dans la critique systématique de ce forum. Pour ma part, je n’apprécie pas le manichéisme en politique.



Vous êtes intervenu dans ce forum en faisant notamment un discours, globalement quelle est la contribution que vous avez tenu à apporter aux participants?
Je dirais que j’ai été très honoré de pouvoir intervenir en qualité de Keynote speaker de la diaspora, ce qui veut dire que l’on souhaitait que je parle pour ainsi dire au nom de cette diaspora. Pour cela, j’ai estimé qu’étant donné le nombre d’intervenants qui m’avaient précédé, au moins une dizaine, il fallait que mon sujet porte sur l’essentiel. Par exemple j’ai évité de donner un speech sur l’économie ou la technologie, et même de parler de mes actions à l’international pour ne concentrer mon propos que sur des initiatives que j’ai entreprises au Cameroun. Cela m’a paru primordial. J’aurai pu m’étaler sur Genesis Futuristic Technologies, le groupe que je gère aux Etats-Unis et qui mène d’importantes actions en Inde, ou encore parlé de mon parcours (Microsoft, UVA, etc…), comme le souhaitaient certains. Mais j’ai délibérément évité de le faire, considérant qu’il n’y avait pas beaucoup de temps et que ce qui serait vraiment utile c’est de donner l’exemple d’un projet concret mis sur pied par un membre de la diaspora. C’est ainsi que j’ai pris le parti de parler de Genesis Telecare, notre grande aventure de télémédecine, démarrée récemment au Cameroun mais qui prend pied bientôt en RCA, où le gouvernement l’a déjà approuvée, et dans les autres pays d’Afrique centrale. J’ai choisi de parler de cette expérience camerounaise et africaine parce que beaucoup ont estimé que j’occupais une place assez singulière dans ce forum car ayant créé une grande structure qui fonctionne plutôt bien dans un environnement difficile, où nous connaissons les mêmes challenges quotidiens que tout le monde : le fisc, les coupures d’eau, les coupures d’électricité, les contraintes administratives, etc… Mais c'est le prix à payer par chacun de nous si nous voulons faire bouger les choses.

 

© Journalducameroun.com
Jacques Bonjawo

On estime à 1% du produit intérieur brut l’apport des transferts de fond de la diaspora camerounaise vers le Cameroun, ce n’est pas plus que d’autres pays mais c’est important; alors à votre avis comment faire pour que toutes ces dynamiques puissent réellement et effectivement contribuer au développement du pays?
Les transferts de fond vers les familles c’est bien mais à mon humble avis, ce n’est pas vraiment cela qui pourrait développer le Cameroun, ou développer l’Afrique. Je pense en revanche que les actions importantes doivent se focaliser sur les investissements directs de la diaspora au Cameroun, et surtout sur son corollaire, à savoir le climat des affaires. Je m’explique: Vous savez très bien que lorsqu’un investisseur vient de l’étranger, qu’il soit camerounais ou non, et qu’il veut monter une affaire au Cameroun, il affronte un certain nombre de blocages. C’est vrai le gouvernement nous a dit être conscient de ce problème et de vouloir y remédier efficacement. Je pense donc que les investissements directs sont très importants, mais aussi les investissements en ressources humaines. C’est-à-dire que les camerounais de la diaspora qui ont une certaine expertise devraient être sollicités par leur pays dans le cadre de grands projets de développement, et cela fait cruellement défaut. je pense qu’il est temps qu’on se penche sur cette question très importante, qui implique à terme, le transfert de technologies du nord vers le sud comme on dit, vous savez très bien que cela se passe dans de nombreux pays comme l’Inde, que je connais très bien par ailleurs pour y avoir séjourné plusieurs fois et pour y avoir développé mon business à moi, je pense donc que ce volet des compétences de la diaspora est très important et ne doit pas être négligé. Alors les transferts d’argent c’est bien, mais cela ne représente qu’une fraction de ce potentiel de la diaspora. Du reste, souvenez-vous de ce proverbe chinois qui dit qu’il vaut mieux apprendre à quelqu’un à pêcher plutôt que de lui donner du poisson.



On revient sur Gensis Telecare, sur le bilan à ce jour de cette initiative, en termes d’investissement et d’efficacité.
En termes d’investissement d’abord je suis parti sur la base d’un plan d’investissement qui prévoyait de dépenser en 5 ans 2,5 milliards de FCFA. Après 15 mois d’opération, si ce plan reste encore pertinent, les chiffres doivent être révisés à la hausse, car les besoins sont de plus en plus énormes et nous avons déjà investi près de 700 millions de FCFA seulement en équipement et antennes satellites VSAT. Je vous communique ces chiffres pour que vous compreniez que le domaine de la télémédecine nécessite d’importants investissements en amont dans la mesure où, il faut des équipements qui coutent très chers, il faut former le personnel médical à leur utilisation, et c’est un volet qui lui aussi a des coûts très élevés, parce que le Cameroun reste malgré tous ses efforts, en arrière sur le plan du taux de formation en informatique. Maintenant, en ce qui concerne le bilan en termes de visite, nous avons réalisé près de 10 000 consultations en ligne à ce jour, principalement dans les zones rurales, notamment à Abong-MBang, à Yagoua ou à Nkoteng. Nous avons aussi un site ici à yaoundé et un autre à Douala, mais le plus important est de comprendre que nous entendons avancer graduellement, parce que déjà nous envisageons d’ouvrir des centres à Akonolinga, à Nanga Eboko (dans le centre), et à Kousseri dans l’extrême nord du Cameroun. Et je pense qu’au terme de cette démarche nous espérons couvrir l’essentiel du Cameroun, et apporter des soins de qualité à un coût moindre, 2000 FCFA en zone rurale et 5000 FCFA dans les grandes villes pour se faire consulter par des spécialistes qui se trouvent à distance. Lorsque les patients ruraux ont besoin d’examens spécifiques comme l’électrocardiogramme ou l’échographie, le coût est seulement de 5 000 Francs CFA. Ce qui nous réjouit c’est que les populations s’approprient de plus en plus la télémédecine, un pari qui semblait osé au départ.



Avec ce bilan on ne peut que se réjouir pour vous. Mais on voudrait bien que vous releviez les difficultés que vous avez rencontrées
C’est une question très importante, j’en conviens. Je dois dire pour commencer que je ne m’attendais pas à ce que ce soit facile. Les difficultés, on les rencontre partout ; aux Etats-Unis où je vis ou même dans d’autres pays où je mène des actions ce n’est pas facile. En revanche je dois admettre qu’en ce qui concerne l’obtention d’une autorisation d’exercer la télémédecine au Cameroun, ça a été relativement facile. Je crois que c’est dû en partie au fait que nous avons pris le temps de monter le dossier correctement avant de le soumettre au ministère de la santé publique. J’ai vraiment apprécié la diligence avec laquelle ce ministère technique a traité notre dossier. Il y a eu beaucoup d’échanges avec les responsables de ce ministère avant la signature finale du ministre Mama Fouda que je ne connaissais pas et n’avais jamais rencontré auparavant. La télémédecine c’est un nouveau concept pour le Cameroun et que le ministère autorise son exercice sans vraiment trainer outre mesure a été une chance pour Genesis comme pour les populations qui en bénéficient. Nous avons aussi eu le soutien du MINEPAT, puisqu’il s’agit d’un projet ayant un lien avec la réduction de la pauvreté et le développement. Tout cela nous a un peu facilité les formalités administratives. Pour le reste, il faut se battre comme toute structure du secteur privé.

 

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Bill Gates et Jacques Bonjawo

Il y a beaucoup d’autres Camerounais de la diaspora qui comme vous ont acquis et développé une expertise internationalement reconnue, je pense à Severin Keuzeu avec la technologie anticollision, je pense à Ernest Simo qui a développé la technologie qui sert aujourd’hui à développer le CT Phone (CDMA), mais qu’est-ce qui explique selon vous, que malgré ces compétences, le Cameroun soit encore obligé de payer cher dans des partenariats pour assurer le développement des secteurs, où plusieurs de ses ressortissants possèdent un savoir-faire reconnu?
D’abord, je crois que le Dr. Ernest Simo que vous citez a aussi déployé ses dons à la NASA. C’est dire que le savoir faire de nombreux Camerounais n’est plus à démontrer. Pour revenir à votre question, il est évident que nos autorités n’ont pas toujours cherché à employer les compétences des filles et fils du pays. J’estime néanmoins qu’un tel forum vise à remédier à cet état de choses. Comme je vous l’ai dit, ce forum à mes yeux a été, un succès. Un bémol toutefois que je partage : beaucoup ont regretté que la plupart des membres de la diaspora qui sont intervenus, se soient focalisés sur leurs réalisations à l’étranger ou dans leur pays d’accueil, mais sans vraiment dire concrètement en quoi cela peut aider ou ce qu’ils peuvent apporter à leur pays d’origine et à son développement. L’essentiel des débats aurait dû se porter sur cette problématique. Les gens de la diaspora auraient dû plutôt faire des propositions concrètes de manière à indiquer aussi leurs attentes vis-à-vis des autorités ou des autres partie prenantes pour la matérialisation de ces propositions.



Le Cameroun se lance dans un vaste programme de développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication, il y a l’arrimage au réseau panafricain des TIC, il y a aussi le projet de développement de la fibre optique en Afrique centrale et au Cameroun, mais on ne vous a pas trop vu, pourtant c’est votre domaine d’expertise
Je n’ai été sollicité pour aucun des projets que vous évoquez, notamment celui du réseau panafricain et la fibre optique, d’ailleurs j’ai rencontré le directeur régional de l’UIT, Monsieur Jean-Jacques Massima, qui venait de participer au lancement de ce projet à l’hôtel Hilton de Yaoundé et il est venu me rendre immédiatement visite à Genesis Telecare. Il a posé la même question que vous, surtout après avoir vu les réalisations que nous avons faites. Sachez du reste que nous avons connu le même désintérêt pour ne pas dire indifférence lors de l’implantation de l’Université virtuelle africaine, nous y sommes parvenus difficilement au Cameroun. Dans plusieurs pays d’Afrique de l’ouest la question s’est traité au plus haut niveau et aujourd’hui le Sénégal par exemple possède plusieurs centres d’université virtuelles, le Kenya possède trois centres, donc vous voyez le Cameroun aurait pu en bénéficier largement, surtout qu’à ce moment-là j’étais président de l’UVA et j’avais une grande latitude pour l’implantation des centres en Afrique. Cela dit il n’est pas trop tard et les autorités commencent à comprendre et semblent plus disposées à exploiter ces compétences de la diaspora ou même nationales.


On termine avec le forum, il s’est achevé sur des déclarations non chiffrées. Comment faire pour que l’ensemble des travaux réalisés au cours de ce forum, constitue le point de départ de quelque chose de vraiment important. Le point de départ pour une véritable implication des Camerounais de l’étranger au développement de leur pays, par-delà les débats sur la double nationalité ou sur le droit de vote?
D’abord je dirai une fois de plus que ce forum m’a paru globalement positif et il n’est qu’un début, mais un pas important. Je tiens d’ailleurs à remercier ici les organisateurs, y compris les agents d’administration dont on ne parle pas toujours, mais qui ont travaillé durement pour que le forum se tienne. Je pense à un certain Emmanuel Mbarga qui a été très diligent et réactif à mes mails pendant la préparation du forum. Je voudrais toutefois relever un point qui me semble important. J’ai entendu au cours de ce forum, qu’il y avait des Camerounais qui voulaient être présents mais qui n’ont pas pu faire le voyage faute de visa d’entrée au Cameroun ; ce problème de visa, on ne le dira jamais assez, constitue un obstacle majeur à l’investissement chez nous. Sans être un expert du droit, je pense que c’est un problème qui peut se résoudre facilement s’il y a une véritable volonté de la part des autorités. A mon avis lever cet obstacle reste primordial pour l’avenir du Cameroun en matière d’investissements de la diaspora ou des étrangers.

 

Source: Journalducameroun.com


29/08/2010
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