À l’occasion de la 23e édition de La Grande Palabre, le groupe Samory, éditeur de Germinal et ses partenaires (Harmattan Cameroon, La Fondation Gabriel Péri, Dynamique citoyenne, Le quotidien Le Messager, Radio Cheikh Anta Diop, l’Addec et Human Rights Initiatives (HRI)), vous invitent personnellement à prendre part à la réflexion qu'ils organisent à Yaoundé, le jeudi 25 octobre 2012, au Djeuga Palace hôtel à 14h sur le thème: Politiques et usages de l’homosexualité au Cameroun
Contexte
La question homosexuelle suscite des prises de
position plus ou moins véhémentes. Ceux qui développent des arguments en
faveur de cette orientation sexuelle sont accablés de reproches
caustiques. Au contraire, leurs adversaires ou pourfendeurs sont l’objet
d’éloges enflammés, parfois jusqu'à l’emphase. Le plus souvent, le
malentendu est bien entendu et entretenu.
Si l’existence en Afrique, depuis de longues dates, des pratiques
homosexuelles semble indéniable aujourd’hui, c’est récemment que, dans
différents pays du continent, l’homosexualité a émergé dans l’espace
public (Habermas, 2006) comme fait de discussion publique (Christophe
Broca, 2012 : 5). Pendant longtemps, en effet, l’idée pourtant fausse,
d’une Afrique purement hétérosexuelle a été entretenue (M. Epprecht,
2008).
Jusqu'à présent, dans la littérature francophone, aucun volume collectif n’avait spécifiquement traité la question homosexuelle ou transgenre en Afrique, à l’exception de deux revues : (1) la revue camerounaise Terroirs qui a consacré à cette question, au premier semestre de l’année 2007, un dossier de 252 pages et (2) la revue Politique africaine (n°126, Juin 2012), qui vient de lui consacrer un dossier de 142 pages.
Sans doute, comme le souligne Christophe Broca, on
peut voir dans les évènements politiques survenus en Afrique du Sud
pendant les années 1990 « l’un des déclencheurs de cette séquence
historique récente de publicisation de l’homosexualité et des minorités
sexuelles, marquée par l’émergence de controverses médiatiques ou
politiques et de mobilisations collectives. Dans ce pays, les premières
organisations homosexuelles apparaissent dès le début des années 1980 ».
Les pressions exercées sur l’ANC, par les militants homosexuels, au
début des années 1990 ont conduit en 1996 à l’interdiction, dans la
constitution de l’Afrique Sud, « de toute discrimination liée à
l’orientation sexuelle » (S. Croucher , 2002, 2011 cité par Broca).
Au Cameroun, l’homosexualité est restée depuis longtemps une question
taboue. En 1972, le Président Ahmadou Ahidjo promulgue, par décret,
l’article 347 bis du code pénal, en prenant soin d’éluder tout débat
devant l’Assemblée nationale et rendant les « rapports sexuels avec une
personne de son sexe » passibles d’une peine d’emprisonnement de six
mois à cinq ans et d’une amende de 20 000 à 200 000 francs CFA. Nul ne
sait véritablement quelles ont été les conséquences de l’introduction de
cet article dans le Code pénal entre les années 1972 et 2005. Il reste
cependant indiscutable que le sens historique et sociologique de cette
loi était « de satisfaire à la moralité populaire et le conformisme
bien-pensant d’un régime autoritaire et non de faire face à un problème
massif grave de mœurs et d’ordre public » (Eboussi, 2007 :5)
Le 21 mai 2005, à Yaoundé, se fondant sur ce fameux article 347 bis, la
police lance une opération coup de poing dans une boîte de nuit et
arrête trente-deux personnes. Ces arrestations déclenchent un torrent de
réactions de la classe politique, de la presse et de membres du clergé,
hostiles aux personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres
(LGBT).
Au lendemain de ces arrestations, le vice-premier ministre du Cameroun,
ministre de la Justice, M. Amadou Ali, prône la poursuite de la
répression en ajoutant qu’« il faut préserver les valeurs culturelles
africaines […] [et qu’en] vertu de la culture africaine, l’homosexualité
n’est pas une valeur acceptée par la société camerounaise».
Le 5 décembre 2005, un collégien, Franck Abega, tue son camarade de classe au motif, avait-on laissé entendre, que celui-ci le « draguait ». Ce meurtre déclenche un débat national passionné.
Dans son homélie de Noël, l’archevêque métropolitain de Yaoundé, Monseigneur Victor Tonyé Bakot, dénonce avec véhémence l’homosexualité : « Les puissances de l’argent et les forces du mal veulent imposer au peuple de Dieu que vous êtes d’approuver l’homosexualité. Or, l’homosexualité est une perversion, orientation de la sexualité humaine vers l’érotisme qui ne sait que flatter les sens et se rebeller contre la droite raison. [...] La pseudo-modernité, autrement dit libéralisme ne doit pas amener l’Africain à se renier jusqu'à l’infamie ».
Peu de temps après cette homélie, des journaux comme Nouvelle Afrique (n° 189, 12 janvier 2006), La Météo (n° 67, 4 janvier 2006) et L’Anecdote (n° 254, 24 janvier 2006, p. 3-6) publient une série d’articles « révélant » l’orientation sexuelle de personnes qu'ils qualifient de « pédés de la République ». Deux « articles » attirent particulièrement l’attention des Camerounais : « La galaxie du Cameroun » publié par La Météo et «le Top 50 des homosexuels présumés du Cameroun », publié par le journal L’Anecdote, qui donnent les noms de personnalités que ces journaux traitent de corrompues, et dont les fautes sont étrangement associées à leur présumée homosexualité. Le lendemain, L’Anecdote enrichit sa galaxie de 27 autres noms : « La liste complète des homosexuels du Cameroun » (n° 255, 25 janvier 2006).
Pour ce journal, qui porte des accusations d’homosexualité à l’encontre de certains membres du gouvernement, le régime politique au Cameroun est une « anusocratie » ou une « homocratie » infesté d’« homosexuels » riches et corrompus qui tentent de s’emparer de l’État et du pouvoir. Pour François Bikoro, alors rédacteur en chef de L’Anecdote « Ils [les gays, Ndlr] doivent être poursuivis et condamnés s’ils sont coupables. Par ailleurs, leur richesse indue doit être confisquée et remise au Trésor public ». Ces propos corroborent ceux du journaliste Célestin Lingo, qui, au cours d’un débat public, déclarait que les homosexuels sont «une race humanoïdes à classer en dessous des bêtes » et que leurs pratiques relevaient du « magico-politique ». Des récits similaires parus dans d’autres journaux stigmatisent les homosexuels et les transgenres et décrivent les lesbiennes comme des « maîtresses », des « madames » et des « brouteuses de culs de jeunes filles », qui se livrent à des « femmes sexuellement dominantes».
Face à cette tempête médiatique, le président de la République, M. Paul Biya qui, lui-même n’échappe pas à de telles attaques, s’indigne dans son discours à la jeunesse, le 10 février 2006, et exhorte les médias au respect de l’honneur, de la vie privée et des « règles de déontologie propres à leur noble métier et qu’ils tiennent compte dorénavant des principes de convenances inhérents à toute société civilisée».
Malgré cette sortie du chef de l’État, la stigmatisation et les arrestations des présumé(e)s homosexuel(le)s se poursuivent, surtout des gens ordinaires - hommes, femmes, garçons et filles, étudiant(e)s, artisans, ouvriers qualifiés, chômeurs, hôteliers ou aubergistes, employés d’hôtel et de restaurant - qui sont arrêtés sur la base de l’article 347 bis.
Paradoxalement, certains promoteurs des « listes des homosexuels » n’hésitent pas à faire amende honorables. Dieudonné Mveng, directeur de la publication de La Météo fait son mea culpa dans les colonnes du magazine Situations (n°010 du 7 avril 2006) en déclarant: « je fais amende honorable à tous ceux dont les noms figurent dans cette " galaxie du Cameroun" pour lever toute équivoque ». Cette contrition publique du « père des listes » n’empêche pas ses confrères de La Nouvelle et de L’Anecdote de continuer à pointer, à tort ou à raison, leurs doigts accusateurs sur des personnalités publiques.
Pour les responsables des organes de presse sus-cités, la publication des « listes des homosexuel[le]s » est moins une simple manipulation politique ou une volonté de nuire qu'un désir ardent de contribuer à l’assainissement des mœurs publiques. Toujours est-il que M. Parfait Mbappou, qui a « été utilisé comme témoin principal de la prétendue homosexualité de certaines hautes personnalités de ce pays, souvent avec force photos et détails, dans un rocambolesque montage ignominieux et honteux » (dixit Mbappou), dénonce, dans une lettre adressée à Germinal et publiée sur le site de ce journal, ses commanditaires et leurs manœuvres. Dans ses écrits, le néo-repenti confesse : « Je reconnais que j’ai été utilisé pour inventer des histoires sur les pratiques homosexuelles supposées des hommes politiques et des milieux d’affaires dans le seul but de les faire chanter ou de régler des comptes politiques. »
Ces cas de figure - et bien d’autres - sont légion et révélateurs de la nature polémique d’une discussion sur la question homosexuelle et transgenre au Cameroun.
S’il est vrai que l’on peut percevoir la
publication de la «liste des homosexuel[le]s » sous l’angle d’un
affrontement entre presse privée historique (Le Messager, La Nouvelle
Expression et Mutations) et les « journaux de listes » (Patrick Awondo,
2012, 74-78), il n’en demeure pas moins vrai que cette sortie inattendue
de M. Parfait Mbappou et le statut des personnalités indexées sont
révélatrices de la dimension politique liée à la publication desdites
"listes". Cette pratique a aussi constitué « une occasion favorable pour
poser de graves et décisifs problèmes politiques concernant la
légitimité de ceux qui sont au pouvoir par la manifestation au "peuple
camerounais" de leur indignité morale » (Eboussi, 2007 :6).
C’est dire aussi s’il est impossible d’évacuer la dimension politique
dans une discussion publique sur l’homosexualité au Cameroun.
On comprend pourquoi Achille Mbembe prend une posture critique contre le pouvoir et pense que «tout discours crédible sur l’homosexualité africaine doit commencer par la critique d’une culture du pouvoir et d’un régime des plaisirs qu'il nous faut appeler, provisoirement, potentat sexuel. Le potentat sexuel est une structure du pouvoir et un imaginaire de la vie, du corps et des plaisirs qui accordent une place prépondérante à un signifiant unique : le phallus [...] Ce que l’on n’a pas suffisamment souligné, c’est le fait que les traditions patriarcales du pouvoir en Afrique sont fondées sur un refoulement originaire : celui de la relation homosexuelle » (Mbembe, 2006 :2). Cette démarche est également celle adoptée par le pasteur Jean-Blaise Kenmogne, défenseur acharné des droits des homosexuel(le)s, qui estime que « l’Afrique doit se battre contre l’homosexualité imposée par les forces du mal » (Kenmogne, 2012 :34), dont notamment les forces mystiques et ésotériques qui infiltrent les milieux politiques, économiques, intellectuels et socioculturels
Que faire donc face à un fait social qui suscite
tant de controverses ? C’est dans ce magma confus que d’éminents
panélistes éclaireront l’auditoire et l’opinion publique sur une
banalité bonne à penser.
Les axes de la discussion
1- Homosexualité: Nature et culture, Pr. Fabien Eboussi Boulaga, Philosophe, Coordonnateur de Grande Palabre.
2- Idéologies et économie politique de l'homosexualité, Mathias Eric
Owona Nguini, sociopolitiste, Coordonnateur de La Grande Palabre
3- Homosexualité et christianisme: unanimisme ou conflits
d'interprétation?, Pr Marcus Ndongmo, directeur de la formation
doctorale à l'Ucac
4- Orientations sexuelles, homophobie et droit de l'homme au Cameroun, Me Alice Nkom, avocate, défenseur des droits humains
5- Sociologie et anthropologie de l'homosexualité, Pr Claude Abé, sociologue coordonnateur de La Grande Palabre
Modérateur Jean-Bosco Talla, point focal de la Grande Palabre