A
l’occasion de la 24e édition de La Grande Palabre, le groupe Samory,
éditeur de Germinal et ses partenaires (Harmattan Cameroon, La Fondation
Gabriel Péri, Dynamique citoyenne, le quotidien Le Messager, Radio
Cheikh Anta Diop, Addec et Human Rights Initiatives (HRI)), vous
invitent à prendre personnellement part à la réflexion
(conférence-débat) qu’ils organisent à Yaoundé, le jeudi 29 novembre
2012, au Djeuga Palace hôtel à 14h sur le thème:
Conditions sociales et réformes institutionnelles pour une transition pacifique au Cameroun
Contexte
Le 06 novembre 2012 le président de la République
du Cameroun qui a déjà 80 ans sonnés, a fêté ses 30 années passées à la
magistrature suprême. À cela, si on ajoute six années passées à la
présidence de la République comme Secrétaire général cumulativement avec
ses fonctions de directeur du cabinet civil, ministre d’État Secrétaire
général et sept années de séjour à la primature comme premier ministre
depuis 1975, le chef de l’État, Paul Biya occupe les hautes cimes de la
souveraineté nationale depuis…45 ans. Mais quelle longévité aux
affaires!
Que dire des retombées ? La moisson n’est pas abondante. La longévité de
M. Paul Biya à la tête de l’État, ne fait pas bon ménage avec les
ressources générées. Les provisions ne sont pas en adéquation avec les
efforts et les sacrifices consentis par les Camerounais. À longueur de
journée, la rhétorique de la paix est scandée, alors que le panier de la
ménagère est vide ; les injustices et les inégalités sociales sont
nombreuses ; le drame de la misère noire est perpétuel et indescriptible
dans les foyers. Les riches et les gueux (qui s’amoncellent tous les
jours), se côtoient à distance ; le taux de chômage connaît un
accroissement exponentiel; les syndicats du crime et les gangs de
malfrats sèment à tout vent et dans l’impunité, l’insécurité et la peur
dans les villes…Pour tout dire, entre Paul Biya et les miséreux des
quartiers malfamés, la romance a viré au roman noir.
Dans ce contexte, ouvertement et potentiellement conflictogène, le Cameroun est devenu un sujet d’inquiétude. Les Camerounais ont pour la plupart, du mal à imaginer un passage de témoin dans la paix et la sérénité, quand bien même les dispositions constitutionnelles en la matière seraient mises en branle. Il suffit de les côtoyer pour sentir comme une vive appréhension quant aux lendemains d’une éventuelle vacance du pouvoir ou de passage de témoin à la tête des institutions républicaines. Des observateurs avertis et/ou plus ou moins intéressés n’hésitent pas à qualifier le contexte camerounais de « potentiellement explosif » et de taxer le pays dirigé par M. Paul Biya de «pays à fort potentiel d’instabilité». De sorte que cette Afrique en miniature est devenue « un champ d’observation prisé et un objet d’analyses fouillées des politistes, juristes, économistes et des géostratèges ». — (Paul Ango Ela, La Prévention des conflits en Afrique centrale)
Des scénarii calqués soit sur le «génocide rwandais», soit sur la «crise ivoirienne», soit sur la «guerre des Balkans» ou simplement sur un coup d’État, sont envisageables et envisagés
Alarmisme ? Peut-être. Mais, «cela n’est pas à exclure, la paix tant vantée au Cameroun peut basculer dans l’horreur pendant les moments de flottement s’il y en a. La Loi fondamentale se retrouverait ainsi à l’épreuve des ambitions personnelles, des batailles de clans ou des calculs mesquins », commente un observateur de la scène politique camerounaise dans les colonnes du journal La Météo. Surtout qu’au Cameroun, précise un autre observateur, on assiste à une instabilité chronique des normes, voire des institutions.
À l’observation, ce n’est pas la première fois que le devenir du système mis en place par M. Biya, donc celui du Cameroun, fait l’objet de spéculations et d’inquiétude. Seulement, tel un roseau qui se tord sans rompre, M. Paul Biya est toujours parvenu, par des moyens contestables et/ou contestés, c’est selon, à surmonter toutes les crises qui ont émaillé son magistère.
Faut-il le rappeler, depuis le 6 novembre 1982, date de la transmission néo-patrimoniale du pouvoir à M. Paul Biya par le président Ahmadou Ahidjo, la transition néoconservatrice avait débouché sur une crise aiguë entre le nouveau président et l’ancien ; laquelle crise avait connu son point critique le 6 avril 1984 avec la tentative de coup d’État orchestrée par l’ex-garde républicaine, sournoisement souhaitée et encouragée par ceux-là mêmes qui voulaient contrôler les leviers du pouvoir politique, si l’on se réfère aux déclarations du Général Benoît Asso’o Emanè, alors colonel (Les Cahiers de Mutations n° 018, janvier 2004).
Six ans plus tard, on assistait à l’avènement du
pluralisme politique au Cameroun, résultante des mobilisations
multisectorielles au début des années 1990, du discours de M. François
Mitterrand, tenu en 1990 à la Baule où, à l’occasion d’un sommet
international de francophonie, le président français avait sommé les
chefs d’État africains d’aller vers la démocratie et le libéralisme.
C’est dire si la libéralisation du jeu politique et le pluralisme
politique se sont faits contre la volonté de l’hégémon gouvernant
actuel. Il va sans dire que s’il n’y avait pas eu les morts de Bamenda,
les mobilisations multisectorielles de 1990 et le discours de la Baule
(dans un contexte caractérisé par la chute du mur de Berlin), le
Cameroun en serait encore au parti unique.
Toutefois, le président avait réussi à obtenir une Tripartite noyautée à
la place de la conférence nationale souveraine réclamée (et obtenue
dans de nombreux pays africains). Par la ruse, le mensonge et divers
subterfuges, M. Paul Biya avait réussi à se maintenir au pouvoir. Entre
autres manoeuvres : non respect du consensus dégagé lors de la
Tripartite, élaboration de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996
sans tenir compte des recommandations de la Tripartite, manœuvres pour
discréditer des figures de proue de la contestation sociale à l’instar
de Lapiro de Mbanga, assignation à résidence surveillée de M. John Fru
Ndi qui, selon toute vraisemblance, avait remporté l'élection
présidentielle de 1992, administration d’une « fessée nationale
souveraine » à certains leaders politiques, tripatouillage ou violation
éhontée de la loi constitutionnelle.
Un élément déterminant, les forces de défense et de sécurité et la police, manifestement privatisées, ont joué un rôle majeur dans la conservation du pouvoir par le président Paul Biya pendant cette période.
Depuis lors, le coup de génie du président Biya réside dans le fait qu’il a réussi à disqualifier des leaders de l’opposition qui aujourd’hui apparaissent aux yeux de nombreux Camerounais comme corrompus, incompétents, égocentriques, antidémocrates. Bref, il a réussi à faire croire à une frange de la population qu’il est le moins médiocre des hommes politiques camerounais. De plus, après 1992, 1997, 2004 et puis 2011, les leaders de l’opposition, au-delà que quelques gesticulations sordides, semblent définitivement résignés à l’idée qu’ils ne pourraient jamais gagner des élections au Cameroun, étant donné la prévalence de mécanismes divers de fraudes et de corruption électorales. À cela s’ajoute un déficit de stratégie gagnante, des querelles de leadership et de personnes inopportunes pour l’édification d’une démocratie au Cameroun.
En fin d’année 2007, Paul Biya annonce sur France 24 que la question de sa candidature en 2011 est lointaine. Le président camerounais en poste depuis 1982 se débine ainsi devant une question cruciale : faut-il faire sauter le verrou de la limitation des mandats présidentiels ? Pendant que de nombreux commentateurs politiques pérorent sur cette feinte magistrale de l’Homme-Lion, quelques élites de la Lekié (Essimi Menye, Henri Eyébé Ayissi, Ndongo Essomba etc.) profitent de la célébration des 25 ans de règne sans partage de Paul Biya pour lancer ce que le quotidien gouvernemental Cameroon Tribune baptisera « l’appel de la Lékié », lequel implore le chef de l’État de se présenter à la présidentielle de 2011 malgré la limitation du mandat. Quelques relais du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), avatar de l’Union nationale camerounaise (Unc), ex-parti unique, amplifient l’appel de la Lékié. Des personnalités de la monarchie républicaine de Yaoundé forcissent le message. Françoise Foning, Jacques Fame Ndongo, Grégoire Owona… montent au créneau pour demander la levée du verrou constitutionnel qui exclut de jure leur « créateur ». Chacun y va de sa verve.
Le débat enfle. Mais quelques candides croient, comme l’a affirmé Paul Biya, que le sujet de la présidentielle de 2011 est lointain. Et puis coup de tonnerre… Au cours du discours de fin d’année prononcé le 31 décembre 2007, le président de la République manifeste sa volonté de procéder à une modification constitutionnelle. Dans la ligne de mire, l’article 6.2 qui dispose que le président de la République est élu pour 7 ans renouvelables une seule fois. Il est le seul Camerounais que cette disposition constitutionnelle élimine de la course de 2011. Mais le Prince de Mvomeka’a semble frappé d’amnésie. Cet arrangement de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 est le fruit d’un modus vivendi passé avec la société civile et les leaders des partis de l’opposition en novembre 1991 au cours des assises de la Tripartite. M. Paul Biya n’en a cure. Il n’attendra pas longtemps pour préparer un avant-projet de loi qui attend dans les tiroirs, l’ouverture de la session parlementaire la plus proche. Celle de mars 2008. Nonobstant les émeutes de février 2008, les hurlements de la société civile, les protestations de l’opposition, le nnom nguii procède à la révision constitutionnelle redoutée. La loi fondamentale qui ne se met encore que « progressivement » en place est réécrite. Le « Créateur et maître » de Jacques Fame Ndongo et autres Grégoire Owona est rééligible. Le Roi du Cameroun vient de remettre à plat un accord historique passé avec son peuple au plus fort des villes mortes. Les Camerounais découvrent une autre facette de celui qui ne sait pas ce que donner sa parole veut dire.
Somme toute, le pouvoir de M. Paul Biya repose sur deux éléments essentiels : la corruption et la force.
D’une part, par la corruption, le président de la
République a caporalisé l’ensemble des élites politiques camerounaises ;
surtout celles de son camp. Ce qui fait qu’il les tient toutes. Tout
cela a fini par émasculer le corps social. Le système gouvernant au
Cameroun vit et se nourrit de la corruption. Il ne se reproduit et ne se
pérennise que par les pratiques d’essence corruptives. Au regard du
nombre de dignitaires du régime incarcérés, la Corruption est la case
vide du régime Biya. C’est la raison pour laquelle l émergence de ce
qu’Antonio Gramsci appelait les contre-élites est devenue un impératif
catégorique.
D’autre part, le collectif bureaucratico-présidentiel (constitué de la
formation dirigeante et du boss system) s’appuie sur la machine de
répression que constituent les forces de défense et de sécurité, la
police et les services de renseignement. En fait, le système a engendré
l’Etat-traumatisme, avec tout ce que cela comporte comme violences,
dépeçages, écoutes téléphoniques illégales et tonton-macoutisation. La
recette est constituée d’un subtil mélange de patrimonialisme et
d’autocratie.
Dans ce contexte, Paul Biya, visiblement hanté par le complexe d’Ahidjo commettra-t-il la même « erreur » que son prédécesseur en cédant le pouvoir à un dauphin par le jeu des institutions ? Si oui, comment cette transmission sera-t-elle accueillie par les forces sociales et politiques ? Sinon, à quoi les Camerounais devraient-ils s’attendre ? Quels sont les scénarii possibles ? Comment faire l’économie des troubles sociaux ou d’une guerre civile à la suite des mutations sociales et politiques majeures au Cameroun ?
Les axes de la discussion
1- Comment construire une société et non un État ? (Pr Célestin Tagou, Doyen de la FSSRI de l’Upac)
2- Dialogue, compromis et consensus : est-ce possible ? Avec qui et comment ? (Mathias Eric Owona Nguini, sociopolitiste)
3- Au-delà de l’hyper-présidentialisme, quel type de présidence au Cameroun ? (Pr Fabien Eboussi Boulaga, Philosophe)°
5- Structures de médiation sociale
(médias, églises, société civile) et espace public, tensions
socio-politiques et transition politique (Pr Claude Abé, Sociologue)
Modérateur : Jean-Bosco Talla et Francis Mbagna
En direct sur les ondes de Radio Cheikh Anta Diop, 101,1 FM