Interview Kah Walla

Dimanche, 10 Octobre 2010 14:13 Entretien avec Lazare Kolyang

Une candidature autre que celle de Fru Ndi est possible au Sdf

Militante du Social democratic front (Sdf), présidente de Cameroon Ô’Bosso et directeur général du cabinet Stratégies, elle passe pour être aujourd’hui l’une des femmes politiques les plus en vue du Cameroun. Rentrée au pays dans les années chaudes du retour au multipartisme, Kah Walla s’est mise immédiatement du côté de ceux qui oeuvrent pour le changement. Membre d’un groupe de la société civile qui décide de soutenir la candidature de John Fru Ndi à la présidence à cette époque, elle devient très rapidement l’une des personnes qui conseillent et forment les leaders du Sdf. Entrée dans le Social democratic front, Kah Walla a apporté au plus grand parti de l’opposition camerounaise, une bouffée d’énergie nouvelle.

Une approche stratégique et méthodique de la politique ; nouvelles technologies, stratégies marketing, communication professionnelle, analyse systématique des enjeux et facteurs politiques, etc. toute une mini révolution en somme dans les méthodes et les approches. Le comité exécutif national du Sdf l’a bien compris en lui confiant le porte feuille sensible de présidente de la Commission de stratégie du parti. Après la dernière rencontre du Nec du parti tenue à Bamenda le 4 septembre, elle a accepté d’aller à l’opposé de la position de ce parti quant aux inscriptions sur les listes électorales et, en même temps, elle ouvre le débat sur certaines questions sensibles qui ont cours dans son parti, celle d’une candidature, autre que celle du Chairman John Fru Ndi, à la prochaine élection présidentielle.

Vous avez pris part au dernier Nec qui était très attendu par les militants du Sdf. Mais ces assises n'ont pas finalement répondu aux attentes des militants. Comment expliquez-vous cette situation?
Deux décisions importantes ont été prises pendant ce Nec. La première concerne l’affirmation des 11 conditions et la deuxième concerne le report du congrès du Sdf pour février 2011. Vous avez raison, à mon avis, aucune de ces décisions n’est satisfaisante pour les militants. La première parce que la position du parti concernant l’inscription sur les listes électorales n’est pas suffisamment claire et la deuxième parce que ce report est embêtant pour un parti qui compte réellement gagner des élections en moins d’un an.

Vous êtes, avec certains militants du Sdf, à l'opposé de la position jusqu'ici officielle du parti sur les inscriptions sur les listes électorales. Vous êtes plutôt partisane pour des inscriptions massives. Est-ce qu'on peut parler d'une "dissidence"?
Je crois qu’on peut parler d’un frontline du Sdf. Des personnes, et il y en a beaucoup, qui sont quelque part en avance sur le parti, et à mon humble avis, plus en phase avec la population en général. Les Camerounais et les Camerounaises en ont marre de ce système qui dure depuis 50 ans. Nous n’en voulons plus. Du moment où nous avons opté pour une alternance par les urnes, il est important et urgent que nous nous inscrivons sur les listes électorales. Nous entendons obtenir ce changement en 2011et l’asseoir en 2011. Le premier pas, la première arme pour ce combat est la carte électorale. Il faut alors être explicite : chaque femme camerounaise, chaque homme camerounais, jeunes et vieux, nous devons tous nous inscrire dès maintenant.

Comment comptez-vous mettre en mouvement, sur le terrain, votre démarche politique?
Je le ferai comme je l’ai toujours fait à travers mon engagement partisan, c'est-à-dire le Sdf et à travers le mouvement citoyen dont je suis la présidente, Cameroon Ô’Bosso. Cameroon Ô’Bosso prend une position très claire, nous demandons à tous les Camerounais de s’inscrire et nous menons actuellement une campagne de mobilisation intense sur le terrain à cet effet.

Quels sont les risques aujourd'hui pour notre pays de se retrouver avec une population maintenue à distance de la chose politique?
Les risques sont énormes. Bien avant que les étrangers nous le disent, nous savons en tant que Camerounais que notre pays vit des tensions importantes sur les plans économique et social, mais surtout sur le plan politique qui définit les deux autres. Nous avons tous intérêt à faire la transition qu’il faut en 2011. Il y a risque d’implosion pour le pays. Les violences que nous encaissons tous les jours risquent de s’extérioriser et là, personne ne contrôlera plus la situation. Pour obtenir une vraie paix pour notre pays, nous devons : 1- nous inscrire, 2-mener une bataille sans merci pour obtenir un système électoral plus équitable, 3--voter et sécuriser nos voix, 4-nous assurer que la transition se fait effectivement comme il se doit. C’est dans notre intérêt et c’est notre responsabilité. C’est notre troisième rendez-vous historique dans la vie politique de notre pays, notre rendez-vous du cinquantenaire, nous ne pouvons pas le rater. Après la lutte pour notre indépendance, celle pour la démocratie, voici venue l’heure pour le transfert définitif du pouvoir au peuple camerounais.

Pensez-vous que l'opinion internationale peut avoir une certaine influence sur le processus électoral enclenché au Cameroun, notamment la question de la réforme d'Elecam?
Nous devons faire très attention avec la communauté internationale. Elle agit essentiellement pour sauvegarder ses propres intérêts. C’est à nous Camerounais de démontrer à cette communauté que c’est dans son intérêt d’être du côté du peuple camerounais cette fois ci. Au niveau de Cameroon Ô’Bosso nous avons rendu visite aux représentations diplomatiques clés. Nous sollicitons actuellement une réunion avec le Pnud. Nous avons des questions clés : pourquoi Elecam fait-il des inscriptions manuelles alors que le Pnud a annoncé qu’ils ont financé un système informatisé et décentralisé pour ce même Elecam? Et pourquoi après avoir admis dans plusieurs rapports et sur plusieurs élections camerounaises que le système électoral camerounais est non consensuel, pourquoi cette communauté internationale est-elle en train de financer Elecam sans s’assurer d’un minimum de consensus de la part de tous les acteurs ne serait-ce que sur la gestion technique de ces élections ?
Ce que nous avons à faire en tant que Camerounais est de reprendre le contrôle de nos élections. Elles nous appartiennent. Nous ne devons permettre à personne de les confisquer, ni Elecam, ni la communauté internationale, ni un parti politique quelconque. Pour reprendre ce contrôle, nous avons besoin de nous inscrire, de nous impliquer dans le processus électoral et d’assurer les élections transparentes et justes que nous méritons. Personne ne viendra le faire à notre place.

On parle de plus en plus d'une possible candidature autre que celle du chairman. Des noms sont d'ailleurs avancés dans la presse. En même temps, des informations font état d'une rencontre que vous aurez eue avec Ni John Fru Ndi sur l'ouverture au sein du parti de ce débat. Qu'en est-il exactement ?
Oui, j’ai eu une rencontre avec le Chairman. Oui, nous avons parlé de possibles candidatures à l’élection présidentielle.

Quelles sont vos relations avec le Chairman?
Nous nous connaissons depuis 20 ans. J’ai soutenu le Sdf très fortement dans les années 90. Je crois que malgré le fait que nous avons souvent des opinions divergentes, nous avons un respect et une affection mutuels l’un pour l’autre. Je crois être parmi les rares personnes qui osent dire la vérité au Chairman. Ça le met parfois dans une position peu confortable, mais je dois aussi dire qu’il m’a toujours écouté, même quand je dis des choses qui lui plaisent peu. Ce qui ne veut pas du tout dire qu’il suit toujours mes conseils ou ma stratégie.

Que pensez-vous d’une candidature féminine ?
Excellente idée. Le Cameroun a besoin d’une vraie rupture avec le système opprimant que nous avons actuellement. Mais le sexe de la candidate ne garantit rien. Les Camerounaises et Camerounais doivent choisir cette fois-ci non pas sur la base des apparences et des belles paroles, mais sur les actes et le bilan du candidat ou de la candidate. Quels sont ses principes et valeurs ? Comment cela s’exprime t-il au quotidien ? Quels sont les actes posés en tant qu’acteur politique, en tant qu’acteur de développement ? Quel est son vécu ? Ses compétences techniques, son expertise ? Comment cet individu met en œuvre déjà dans l’espace qu’elle ou il occupe les valeurs et projets qu’elle nous propose pour la nation ? Voilà les questions que les Camerounais doivent se poser en choisissant leur prochaine présidente ou président. Il est l’heure, no make erreur.

Reconnue en 2008 par la Banque mondiale comme l’une des 7 femmes chefs d’entreprises en Afrique, Kah Walla est depuis 15 ans directeur général du cabinet conseils Stratégies spécialisé en leadership et management. Qu’est ce qu’on peut de plus ajouter?
Il est évident que je ne pourrai tout dire sur ma personne. Ceux qui me côtoient sont mieux indiqués pour en parler. Mais je dois avouer que depuis près de 20 ans, je travaille avec les actrices et acteurs de la société civile camerounaise et africaine. Sous ma coordination, les consultant/es de Stratégies font 75% du chiffres d’affaires dans les villes comme Washington, Istanbul, Johannesburg, Bujumbura, Addis Abeba, Berlin et Sharm El Sheik en conseillant aussi bien des multinationales comme Shell, Standard Chartered Bank et Exxon Mobil que des organismes de développement que sont la Banque mondiale, les Nations Unies, le Parlement panafricain, la Coopération allemande et le Nepad. Spécialiste en genre, je milite pour la création d’un espace pour les femmes et les jeunes en vue de leur participation à la prise de décision et à toute action de développement. Nous avons mené des projets pour former plus de 1.000 femmes candidates aux élections législatives et municipales 2007. Membre du Conseil africain de Vital Voices, une Ong internationale spécialisée dans la promotion des femmes, je mène des projets sur l’ensemble du continent pour la promotion de l’équité en genre. En Septembre 2009, j’ai été récompensée par le Clinton Global Initiative pour le travail de renforcement économique des femmes africaines.
J’accorde autant d’importance à un entretien avec Ngozi Okonjo-Iweala et Robert Zoellick, respectivement Directeur Général et Président de la Banque Mondiale, qu’à celui avec Mahamat Adramane, président du marché des pêcheurs d’Essengue, quartier de Douala. Autant d’écoute à Melanne Verveer, ambassadrice de Hilary Clinton qu’à Margaret Lukong, Adjointe au Maire de Kumbo dans le Nord Ouest du Cameroun. Aussi à l’aise avec les dirigeants d’EM Lyon et les professeurs d’Harvard, qu’avec les bendskinneurs, les agricultrices et les bayam sellam.


02/12/2010
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