Interview : Albert Léopold Ebéné ancien commissaire de police camerounais « Paul Biya est en train d’instaurer un régime de terreur au Cameroun»
« Paul Biya est en train d’instaurer un régime de terreur au Cameroun»
Agé de 36 ans, Albert Léopold Ebéné a vu sa carrière de commissaire au sein de la police camerounaise être précocement interrompue en 2006. Alors qu’il enquêtait sur des détournements de fonds publics et des délits à caractère sexuel, il a en effet été suspendu, puis révoqué de la police, sans procès, son travail ayant privé de sommeil de nombreux caciques de la pègre installée au plus haut sommet de l’Etat camerounais. Il a dû quitter son pays, et vit désormais en exil en France. Président du Front National pour le Salut du Cameroun (FNSC), le parti qu’il a créé, il ambitionne de se présenter à la prochaine élection présidentielle au Cameroun. Il revient sur son parcours et présente ses ambitions dans son livre Voici pourquoi !, Nous devons changer le Cameroun, paru aux éditions Ccinia Communication.
Surnommé par la presse indépendante camerounaise « l’homme qui démantèle les réseaux », l’ancien commissaire de police, Albert Léopold Ebéné affirme, dans son livre, s’être attaqué à la corruption galopante, qui telle un cancer généralisé régnant sur un pays tuméfié, ronge le Cameroun. Des manufacturiers de timbres fiscaux aux barons des détournements de fonds publics, en passant par ceux-là qui pour monter en grade dans la haute administration s’achètent des diplômes universitaires, l’homme qui ne jure désormais que par l’éjection de Paul Biya du fauteuil présidentiel qu’il occupe depuis bientôt trois décennies aura tenté, pistolet de commissaire au poing, de couper les tentacules de la pieuvre corruptrice. Révoqué de la police camerounaise par sa hiérarchie gênée par son travail, il a dû quitter le Cameroun, pour sauver sa vie, et vit désormais en exil en France. Dans cette interview, il revient sur les grandes affaires qu’il a enquêtées, et confirme ses ambitions présidentielles.
Afrik.com : Les bruits de forte
corruption qui courent au sein de la police camerounaise ne vous
échappent pas au moment où vous décidez d’intégrer ce corps. Etait-ce,
pour le jeune diplômé en droit que vous étiez, un moyen comme un autre
d’accéder à la hiérarchie du pouvoir ?
Albert Léopold Ebéné :
Non. Mon choix était guidé par la volonté de rendre justice. Très tôt
orphelin de père, j’ai subi injustice et humiliation, lorsque
j’accompagnais ma mère en justice pour protéger l’héritage de mon père.
C’est pour cela qu’une fois arrivé à l’université, je décide de faire
du droit. Je souhaitais devenir magistrat ou policier, pour pouvoir
rendre justice aux autres. Par amour pour mon pays, je voulais
insuffler une nouvelle façon de faire.
Afrik.com : Dans votre livre, vous
racontez que votre combat contre la corruption rencontre rapidement de
gros obstacle. Que s’est-il passé ?
Albert Léopold Ebéné :
Mes ennuis ont commencé quand j’ai démantelé un réseau des faux timbres
fiscaux dans la ville de Douala. C’était en novembre 2005. Il
s’agissait d’une véritable fabrique parallèle de timbres fiscaux
installée dans la capitale économique du Cameroun. Mes prédécesseurs
sur cette affaire avaient suivi sans succès les pistes chinoise,
thaïlandaise et indonésienne. Fin 2005 donc, le manque à gagner au
trésor public dû à ce trafic était évalué à 13 milliards de francs CFA.
C’est vu mon sérieux qu’on me confie l’enquête. J’interpelle alors une
quinzaine de revendeurs de ces timbres à Yaoundé. Ce sont eux qui me
mettent sur la piste de Douala. Au bout de deux semaines d’enquête dans
cette ville, mon équipe et moi démantelons l’usine des faux timbres
dans le quartier d’Akwa. Les faussaires y travaillaient seulement à
partir de trois heures du matin. L’interrogatoire des 18 suspects
arrêtés sur place me permet de constater que beaucoup de hauts
dignitaires de l’Etat, des hauts gradés de la police sont impliqués
dans le réseau. C’est sans doute pour cela qu’aucune enquête n’avait
jusque-là abouti. Les médias ont fait un grand tapage autour du succès
de mon opération. Mais certains supérieurs dans la police m’ont prévenu
que je connaîtrais des problèmes. Le 15 janvier 2006, j’ai ainsi
échappé à une tentative d’assassinat : un groupe de personnes armées et
masquées ont investi mon domicile à 3 heures du matin, mais j’ai pu
m’en sortir sain et sauf grâce à la vigilance de mes neveux qui
vivaient chez moi. Cela ne m’a pas pour autant découragé. Je me suis
attaqué à un autre réseau, celui des faux diplômes de l’université de
Yaoundé II Soa. Ici aussi, des personnalités étaient impliquées. Elles
achetaient des faux diplômes pour progresser dans leur carrière.
Toutefois, le résultat de mon enquête a été purement et simplement
enterré.
Afrik.com : On va également faire appel à vous pour l’opération "Épervier"...
Albert Léopold Ebéné :Vous
évoquez là le dossier des grandes arrestations. Je suis chef du service
de la recherche, des études et du suivi au moment du déclenchement d’
« Epervier 1 ». Mes états de services antérieurs emmènent ma hiérarchie
à m’impliquer dans cette opération. C’est le Délégué général à la
sureté nationale (DGSN), le patron de la police, Edgar Alain Mebe Ngo,
qui n’est autre que le fils adoptif de Paul Biya, qui est alors le
grand chef de cette opération. Malheureusement, bien qu’il ait occupé
de très hautes fonctions, c’est quelqu’un d’incompétent. Il ne connait
pas les dossiers. Mon travail en tout cas consiste à rassembler des
éléments à charges, des preuves contre les personnes ciblées. Mes
rapports sont adressés au DGSN qui doit ensuite les transmettre au
directeur de la police judiciaire. Nous commençons les arrestations le
21 février 2006, par deux grands directeurs d’organismes d’Etat. Il est
ensuite question d’interpeller deux ministres encore en fonction,
l’ancien ministre de l’Economie et des finances, Polycarpe Abah Abah,
et le ministre de l’Eau et de l’énergie, Alphonse Siyam Siwé. Mes
hommes et moi les filions au quotidien, à leurs cabinets comme à leur
domicile. Mais les informateurs d’Abah Abah vont sans doute réussir à
le prévenir. J’ai appris qu’il est allé solliciter l’intervention de
Ferdinand Oyono proche ami de Paul Biya et de Franck Biya, le fils du
président. C’est ce qui va retarder son arrestation. Le 25 février vers
11 heures, on me téléphone pour m’informer que je dois décamper du
ministère des finances avec mon équipe. C’est longtemps après qu’on
l’interpellera. Ma dernière opération se passe le 28 février 2006, à la
Caisse de stabilisation des prix des hydrocarbures (CSPH) dirigée par
Ibrahim Talba Mala. Celui-ci devait être arrêté. Son nom était sur la
longue liste en notre possession. Il a réussi à manigancer avec les
magistrats de la Chambre des comptes, qui ont tripatouillé l’audit de
sa gestion pour le sauver. J’étais là quand ils sont arrivés. J’avais
déjà eu toutes les informations compromettantes à son égard. Il y a eu
une vraie mascarade pour le tirer d’affaires.
Afrik.com : Vous partez de la CSPH pour vous attaquez à une histoire de pornographie homosexuelle...
Albert Léopold Ebéné :J’étais
encore à la CSPH quand mes informateurs m’ont mis au courant d’une
affaire de tournage de films sur l’homosexualité. Il s’agissait de
femmes arrivées au Cameroun sur invitation d’un lobby d’homosexuels. Je
rappelle que la presse venait de publier une liste de personnalités
homosexuelles. Ce qui avait provoqué un scandale national. Mais, en
réalité, il s’agissait d’une machination pour pouvoir mettre en exergue
cette orientation sexuelle, créer un débat et pousser l’Assemblée
nationale à la légaliser. J’ai donc constaté, au lit dit « Titi
Garage », un bar réputé comme étant le point de rencontre entre
homosexuels, que deux dames blanches tournaient un film pornographique
homosexuel, les acteurs étant un couple de filles et un couple de
garçons. Nous avons interpellé les mis en cause, y compris les deux
expatriées. Ceux-ci sont passés aux aveux et nous avons saisi les
bandes. Il y avait en tout 29 cassettes de 45 minutes. Outre le film
pornographique, on y voyait de nombreuses personnes, dont de hauts
dignitaires du régime, qui témoignaient sur la misère que vivent les
homosexuels au Cameroun. Les deux femmes blanches avaient même filmé
dans la prison de Yaoundé, sans autorisation.
Afrik.com : C’est à partir de cette affaire que vous allez subir des menaces…
Albert Léopold Ebéné :
Tout à fait. Ayant interrogé les deux dames, je les laisse en liberté,
et leur demande de revenir le lendemain pour la suite de l’enquête.
Alors que je me trouve à la Caisse de stabilisation des prix des
hydrocarbures (CSPH), mes supérieurs m’intiment l’ordre de revenir au
bureau sans délai. A mon arrivée, je suis reçu avec les armes et mis
aux arrêts. On me demande si j’ai dupliqué les bandes saisies ; avec
qui je les ai visionnées ; on m’intime l’ordre de remettre les bandes ;
on me demande si j’ai fait des copies. Ce sont les radios et journaux
privés, qui en prenant faits et causes pour moi, révèlent ma situation.
Personne ne comprend comment le commissaire qui « démantèle les
réseaux », comme on m’avait surnommé, se retrouve aux arrêts. C’est
cette pression qui les oblige à me relâcher. Mais même libre de mes
mouvements, je ne suis pas en sécurité. Je suis toujours suivi. On
installe autour de moi un climat de psychose. Je dois fuir mon domicile
pour me réfugier chez une personne de bonne volonté. J’apprends ensuite
que mes collègues et moi sommes suspendus de nos fonctions. Une
procédure disciplinaire est ouverte contre nous, en violation de toute
loi. Même nos avocats sont interdits de nous défendre. Les choses vont
alors très vite. Nous apprenons ensuite que nous sommes relevés de nos
fonctions. S’en suivent des affectations disciplinaires. Je suis envoyé
à Maroua dans l’extrême nord, avec pour consigne d’être affecté dans la
zone où sévissent les coupeurs de route. Le commissaire Zogo, un de mes
amis d’infortune est quand à lui affecté à Bamenda. Le 4 septembre,
nous apprenons par la radio que nous sommes révoqués de la police. Sans
aucune procédure judiciaire. Ils ont sans doute craint le déballage
d’une audience publique, préférant la lâcheté de l’usage des moyens
d’Etat. Je sais qu’il y avait en arrière-plan de tout cela, un plan
pour nous assassiner. Des journalistes que nous connaissions ont ainsi
été envoyés, pour nous suggérer de tenir une conférence de presse.
C’était une manigance pour nous arrêter, et nous accuser d’atteinte à
la sureté de l’Etat. Mais nous avons réussi à éviter ce piège.
Afrik.com : Vous partez alors pour la Guinée Equatoriale. Comment réussissez-vous à traverser la frontière ?
Albert Léopold Ebéné :
Les agents ne nous connaissaient pas physiquement. Je signale
d’ailleurs que tous ceux qui étaient au poste frontière ont été relevés
de leur fonction après notre fuite. J’avais pris les dispositions
nécessaires, grâce à ma popularité dans les forces armées. Je suis
parti ce jour-là très tôt, mon collègue, ma femme et mes enfants, dans
un véhicule d’emprunt. C’est un de mes cousins qui nous a conduits
jusqu’à Campo, à la frontière avec la Guinée Equatoriale. Nous avons
pris une des pirogues qui font la navette entre les deux pays. Arrivés
en Guinée, nous nous sommes signalés aux forces de l’ordre, comme étant
des commissaires de la police camerounaise en fuite. Les agents ont
contacté leur hiérarchie qui nous a fait escorter. Trois jours après,
les agents guinéens nous ont dit que la garde présidentielle
camerounaise était à nos trousses. Ils nous avaient raté de peu. Je
présume qu’ils nous auraient abattus, s’ils avaient mis la main sur
nous avant notre entrée en Guinée. Le président Obiang Nguema nous a
par la suite proposé de travailler dans sa garde rapprochée. Mais les
autorités camerounaises, étant informées, vont faire échouer cette
offre. Elles vont même demander notre rapatriement au Cameroun. Mais le
président Obiang Nguema ne va pas céder. Par respect pour son homologue
camerounais, il va nous suggérer de chercher des pays qui pourraient
nous accueillir. Nous allons donc demander l’asile à la fois à la
France, aux Etats-Unis et au Canada, à travers leurs ambassades. Les
trois pays vont nous l’accorder au bout de cinq jours. Mais pour des
raisons stratégiques, j’ai préféré venir en France, car j’avais déjà
des ambitions politiques.
Afrik.com : Est-ce vrai qu’au
Cameroun, pour être admis dans certaines administrations, il faut
accepter de se soumettre à des pratiques homosexuelles comme le
soutiennent des rumeurs persistantes ?
Albert Léopold Ebéné :
Je dirais que c’est vrai, car compte tenu des fonctions que j’ai
exercées, j’en sais un peu plus. L’homosexualité existe dans la haute
administration camerounaise depuis les années 50. Mais cela n’a jamais
atteint le niveau de ces dernières années. Ceux qui nous gouvernent ne
sont pas sans reproche dans ce qui se passe. Dans les administrations,
par exemple dans la police, pour avoir un poste, on vous demande de
baisser le pantalon. On me l’a demandé à moi, sans succès. On me
proposait un poste à la présidence de la république, à condition que
j’accepte de baisser la culotte. C’était quelqu’un dans ma haute
hiérarchie qui faisait cette proposition. Mais, en réponse, j’ai plutôt
démantelé un réseau de pornographie homosexuelle. C’est un malaise réel
au Cameroun. Cela est vrai dans l’administration comme dans les
entreprises privées. Sous d’autres cieux, les homosexuels cohabitent
avec les hétéros sans problème. Mais chez nous, cela se passe par
contrainte, dans les rapports sociaux.
Afrik.com : Quel but recherchent
ces grands responsables, en obligeant leurs collaborateurs à avoir des
rapports sexuels avec eux ?
Albert Léopold Ebéné :
L’humiliation, la soumission. D’autres estiment que cela est lié à des
pratiques de sorcellerie, pour prendre la chance, du moins tirer le
pouvoir de leurs collaborateurs. Si vous refusez, soit on vous
persécute, soit vous perdez votre emploi, soit on vous pousse au
suicide. Au moment où j’ai démantelé le réseau, un projet de loi était
déjà à l’Assemblée nationale, pour la légalisation de l’homosexualité
au Cameroun. C’est quand mon affaire a éclaté, et que beaucoup de gens
ont commencé à parler, qu’ils ont mis la loi de côté, du moins pour
l’instant.
Afrik.com : Un jeune homme est
mort défenestré d’un grand hôtel à Yaoundé, le 21 Août 2006. Les
enquêtes ont montré qu’il avait été brutalement sodomisé peu avant sa
mort. On a signalé également la présence de plusieurs personnalités
dans la chambre d’où il avait été précipité dans le vide, au moment des
faits. Pourquoi personne n’a finalement été inquiété ?
Albert Léopold Ebéné :Il
n’y a qu’au Cameroun pour voir de telles choses. Comment pouvez-vous
imaginer qu’une vie humaine soit ainsi arrachée, et que avec toute la
compétence de nos services, les mis en cause ne soient pas inquiétés ?
Une affaire qui se passe dans un grand hôtel, en pleine journée, au vu
et au su de tous, et qu’il n’y ait pas de coupable ! C’est scandaleux !
Afrik.com : Dans votre livre, vous
affirmez que les policiers qui rançonnent les usagers rendent compte à
leurs chefs. Voulez-vous par là entendre qu’il leur donne une part du
butin ?
Albert Léopold Ebéné : La police camerounaise est
l’une des mieux formée. Mais il y a un réel malaise à cause de ce
problème de rançonnement des usages. C’est une chaine. Pour avoir un
poste, il faut l’acheter, quand on n’est pas membre d’une famille
aisée, si on n’est pas parrainé, il faut acheter le poste. Une fois le
poste acheté, vous devez continuer à « entretenir » celui qui vous l’a
vendu, pour qu’il continue de vous garder à votre poste. Et dites-vous
bien que ce n’est pas sur votre salaire que vous prendrez pour payer.
Il faut trouver de l’argent ailleurs. Pour cela, il faut envoyer les
policiers prendre chez les usagers. La chaîne monte jusqu’au grand
patron, le Délégué général. Chacun apporte une enveloppe à son chef.
Tout le monde le sait. Cela existe depuis longtemps. On appelle cela
« rendre compte ».
Afrik.com : Dans votre livre, vous parlez également de trafics d’organes humains. Que fait-on de ces organes ?
Albert Léopold Ebéné :
Je ne peux pas le dire avec exactitude. Toutefois, j’avais ouvert une
enquête. Mon investigation m’avait permis de constater que de jeunes
Camerounais, des enfants étaient enlevés. On les tuait pour leur
prélever leurs organes. Ces organes étaient préservés avec du matériel
adapté : des glacières, des produits dont j’ignore le nom. Ces organes
étaient ensuite transportés par avion à l’étranger, avec la complicité
des personnels aéronautique. Je regrette de n’avoir pas terminé mon
enquête. Mes problèmes ont commencé quand j’étais prêt à interpeller
des suspects.
Afrik.com : Certains prétendent
que l’opération Epervier sert en réalité à éliminer les adversaires
politiques de Paul Biya. Confirmez-vous cette information ?
Albert Léopold Ebéné :
Au départ, je pensais que c’était une opération sincère. Mais de plus
en plus, je suis convaincu que sa vraie vocation est de détruire et
d’éliminer des adversaires politiques. Le simple fait qu’on cite une
personne comme étant « épervéable » le détruit politiquement.
Afrik.com : Que veut faire Paul Biya par ce biais ?
Albert Léopold Ebéné :
Paul Biya est en train d’instaurer un régime de terreur. Il veut créer,
susciter une peur bleue chez tous ceux qui voudraient s’opposer à lui.
Et le moment venu, il imposera un successeur. Je sais à ce jour qu’il a
plusieurs dauphins. Il utilisera l’un ou l’autre en fonction de
l’opportunité.
Afrik.com : L’article 64 du code
de procédure pénal qui fait actuellement polémique au Cameroun prévoit,
par exemple, qu’un administrateur accusé de détournement de fonds
publics puisse payer pour que les poursuites pénales engagées à son
encontre s’arrêtent. Qu’en pensez-vous ?
Albert Léopold Ebéné :
Il y a lieu de noter pour le regretter que notre pays n’avait pas
besoin d’une telle loi en ce moment précis, car au-delà du caractère
punitif de la sanction pénale, celle-ci doit aussi être dissuasive.
Comment ne pas penser que cette loi vienne plutôt encourager les
détournements des deniers publics ? Désormais, au Cameroun, on peut
tenter sa chance à tout moment en mettant les mains dans les caisses de
l’Etat. Quitte à garder le butin définitivement si on n’est pas
inquiété, ou alors à le rembourser à la première convocation tout en
gardant les bénéfices qu’on a pu engranger. Avec tout le recul
possible, il ne s’agit là que d’un moyen déguisé et insidieux pour Biya
de soustraire des griffes de la justice un certain nombre de ses
protégés.
Afrik.com : Pour le ministre de la
Communication Issa Tchiroma Bakary, la diaspora camerounaise provoque
la fuite des investisseurs potentiels, en dénigrant leur pays. Qu’en
pensez-vous ?
Albert Léopold Ebéné : Comment voulez-vous
qu’un investisseurs vienne se risquer à placer ses fonds dans un pays
où il est non seulement sûr qu’il perdra son capital, mais aussi et
surtout qu’il en repartira criblé de dettes du fait de la cupidité
morbide et exacerbée de la longue chaîne de prédateurs tapis dans
l’ombre que sont : les ministres et assimilés qui exigent des pots de
vins pour délivrer les agréments et autorisations diverses ; une
justice corrompue jusqu’à la moelle ; des inspecteurs des impôts et de
douanes qui se comportent en véritables prédateurs. Monsieur Tchiroma a
intérêt, s’il aime le Cameroun comme il le prétend, à faire d’abord le
ménage au sein du système qu’il sert, avant de s’en prendre à cette
diaspora qui se bat au quotidien pour le bien-être du Cameroun.
Afrik.com : Vous voulez être
candidat à la prochaine présidentielle. Comment allez-vous battre
campagne depuis votre lieu d’exil ?
Albert Léopold Ebéné : Je souhaite rentrer au Cameroun pour cette échéance. Si Paul Biya veut bien l’accepter...
Afrik.com : Mais vous comprenez que ce n’est pas à son avantage que vous reveniez pour le combattre.
Albert Léopold Ebéné :
Nous prendrons la communauté internationale à témoin et nous n’allons
pas rester les bras croisés. Si Biya est démocrate comme il le prétend,
il ne pourra qu’accepter la contradiction. Nous sommes une opposition
radicale à sa politique. S’il a eu jusqu’ici des oppositions tendres
vis-à-vis de sa politique, qu’il accepte maintenant d’affronter des
oppositions radicales.
Afrik.com : Paul Biya a fait modifier la loi pour se représenter. Qu’en dites-vous ?
Albert Léopold Ebéné :
La grande intelligence qu’il aurait pu faire prévaloir aurait été de
s’écarter, de se mettre au dessus des querelles politiques, d’organiser
une élection libre et transparente. Si quelqu’un comme lui quitte le
pouvoir de cette manière, le peuple pourra lui pardonner ses erreurs.
S’il s’abstient et que je suis élu, il aura la protection digne d’un
ancien chez d’Etat. C’est le conseil que je lui donne pour la prochaine
présidentielle.
Commander Voici pourquoi !, Nous devons changer le Cameroun, éditions Ccinia Communication, 2009.