Internet Danger: Méfions-nous de nos publications sur les réseaux sociaux

08 AOUT 2013
© CHUEKOU Valentin | Correspondance

La reliance que joue les réseaux sociaux de nos jours dans le rapprochement des camerounais de la diaspora et ceux restés au pays est indéniable.

La reliance que joue les réseaux sociaux de nos jours dans le rapprochement des camerounais de la diaspora et ceux restés au pays est indéniable. Qu’ils résident soit à Washington, Hanoï, Montpellier, Wellington, Ndjamena, Bamenda, Yaoundé ou partout ailleurs, ils sont tous au même niveau d’informations et aucune actualité n’a plus de secret pour eux. Espace virtuel, Internet a profondément changé l'appréhension de l'espace public ou privé. Certes il offre une vitrine publicitaire, un nouvel espace marchand aux entreprises, mais il est aussi le lieu d'expression d'activités informatives, scientifiques, associatives et militantes, voire un lieu de socialisation. Une parole prononcée à Yaoundé, émet des échos dans les cinq continents. Très prolixes par excellence, les camerounais ne se sont pas fait prier pour s’approprier cet outil et ne maquent pas de s’exposer aux poursuites judiciaires, tant certaines interventions sont passibles de sanctions judiciaires.


RUSH DE LA DIAPOARA SUR LES RESEAUX SOCIAUX

Grâce aux nombreux réseaux sociaux, blogs et sites internet, notamment Facebook, Dailymotion, Twitter et Youtube, google+, cameroon-info.net, camer.be, chuekouvalentin.blog-over.com pour ne citer que ceux-là, les camerounais du monde entier « restent ensembles ». Consultés à la date du 05 août 2013 entre 12h 38mn et 13h 15mn, les différents sites internet d’informations et groupes/pages Facebook destinés à un public camerounais et/ou consultables à partir du Cameroun, dévoilaient respectivement les chiffres suivants :

«CAMEROON-INFO.NET» = 39 082 J’aime et 1 177 personnes en parlent ,
«Le CAMEROUN c’est le CAMEROUN » = 9 825 membres dont 195 nouveaux ajoutés le même jour,
«Je WANDA » = 34 109 J’aime et 6 522 personnes en parlent,
«RUMEURS DU K’MER » = 24 053 J’aime et 13 271 personnes en parlent;
«En CUISINE AVEC COCO » = 22 806 J’aime et 18 852 personnes en parlent,

«RASSEMBLEMENT DE LA JEUNESSE CAMEROUNAISE » = 795 membres,

pour ne citer que ceux-là.

Mais seulement, la tonalité parfois outrageante des différents posts, publications et commentaires publiés sur ces différents canaux, doivent nous interpeller d’une part sur le caractère public de ce nouvel espace, et d’autre part sur ce que l’on risque pour des propos outrageant au vue de la loi camerounaise.


LA CONFUSION ENTRE ESPACE PRIVÉ ET ESPACE PUBLIC

S’inscrire en ligne dans un groupe fermé ou sur un forum laisse à penser que l’on est dans un domaine privé. « Or, sur Internet, tout ce qui est écrit est public et consultable par tous. Une simple recherche par mot clé peut conduire à un espace web destiné simplement à un groupe de personnes précis ». Malgré l’impression que l’on peut en avoir, l’incognito n’existe pas sur Internet. Il est toujours possible de retrouver des traces de celui qui laisse un message sur le web même s’il n’a pas signé ou l’a supprimé. Les publications attribués à « Mlle Marlène Emvoutou sur sa page Facebook » et relayées par de nombreux sites internet le témoignent à souhait. Il serait donc trop simple de penser que l’on peut tout écrire, et ne rien craindre des conséquences de ses écrits. Toute navigation sur le net laisse des traces que les spécialistes peuvent interpréter en cas de problème. En outre, il existe des sites internet d’archivage tels www.archive.org qui permettent de remonter les publications d’un site internet depuis la date de sa création et retrouver tous les articles et pages même ceux supprimés.

Vu sous la loi camerounaise, quel est le statut donné à internet notamment aux réseaux sociaux tels Facebook, twitter et autres ? Autrement dit Facebook est-il un lieu public ? Sachant que le « caractère public » en droit de la presse est l’un des éléments essentiels pour caractériser une infraction d’atteinte à l’honneur et à la vie privée des tiers.

Sous réserves et sauf erreur de ma part, les juridictions du Cameroun n’ont pas encore rendues une décision forte sur le « caractère public ou privé d’un réseau social » relative à une infraction sur Internet, Facebook ou tout autre réseau social. Il serait donc important d’examiner cette question en analysant sous l’angle du droit comparé, ce qui se passe ailleurs notamment en France, dont la production juridique a souvent inspiré le législateur camerounais.

En France, dans une affaire ou une employée avait été licenciée pour avoir appelé sur sa page Facebook ou MSN à « l'extermination des directrices comme la (sienne) » et des « patronnes (...) qui nous pourrissent la vie », la Cour de cassation française a trancher en sa faveur sur le caractère « non public » de Facebook (implicitement d’autres réseaux sociaux) et a estimé que celle-ci ne pouvait pas se voir reprocher d'avoir tenu ces propos publiquement puisqu'ils n'étaient accessibles qu'à ses « amis » ou « contacts ». Ces contacts étant « peu nombreux » et « agréés entre eux », « auteur et lecteurs » se trouvaient liés par une « communauté d'intérêt », selon l'expression juridique.

Selon cette décision, si les membres d’un site, d’un blog ou d’un groupe/page Facebook appelés « communautés d’intérêts » sont peu nombreux, dans ce cas, les échanges ne sont pas publics. S’ils sont plus nombreux alors, les échanges sont publics. Quel est donc la proportion d'amis ou de contacts raisonnables constituant une « communauté d'intérêts »? Sur cette question, un autre arrêt de la Cour de cassation dans ce sens reste vivement attendu.

Revenons au Cameroun. Qu’en est-il de la communauté d’intérêts des sites, blogs, pages et groupes Facebook du Cameroun, consultables à partir du Cameroun et/ou destiné à un public Camerounais ? Les statistiques susmentionnées sont assez évocatrices. Un bref aperçu des différents sites internet, pages et groupes Facebook camerounais les plus fréquentés de l’heure, laisse entrevoir que la proportion d’amis et /ou contacts est au-delà du raisonnable. On est en présence d’une surpopulation virtuelle, voire un ghetto numérique. Par raisonnement a contrario, toutes publications, posts, commentaires et échanges sur ces plateformes sont publics et peuvent par conséquent être sanctionnés par la loi s’ils viendraient à porter atteinte aux droits d’un tiers. Méfions-nous donc de tout ce que nous pouvons publier sur internet en l’occurrence sur Facebook.


LE REGIME JURIDIQUE DES INFRACTIONS SUR INTERNET

Certes à l’origine, la loi n° 90/052 du 19 décembre 1990 portant liberté de communication sociale au Cameroun, ne dressait pas un catalogue autonome des délits de presse et ne prévoyait pas un régime juridique spécifique pour les infractions commises sur internet. En vertu du principe de neutralité technologique selon lequel la loi s’applique quelque soit le média et le support qui véhicule le message litigieux, c’étaient les dispositions du Code pénal du Cameroun qui étaient transposables en matière de délit de presse fussent-ils commis par voie de presse papier ou sur internet. C’est 20 ans plus tard que le législateur camerounais s’est rattrapé en votant la loi n°2010/012 du 21 décembre 2010 relative a la cybersecurité et la cybercriminalité (LCC) qui codifie l’utilisation d’internet et réprime toutes les infractions commises par ou à l’aide de cet outil au Cameroun.
La procédure

En vertu de ces lois, toute personne dont l’honneur serait atteint sur l’un de ces groupes, sites ou pages, dispose dans un premier temps, «d’un droit de réponse et peut en exiger la rectification » comme le veut l’article 39 alinéa 1 de LCC. Par simple courriel ou tout moyen laissant trace valant mise en demeure, elle peut écrire pour ce qui est de Facebook, à l’administrateur du groupe ou de la page ou au rédacteur en chef (titulaire/propriétaire) pour ce qui est du blog ou d’un site internet. Si les mis en cause ne s’exécutent pas, la victime peut de manière informelle procéder à une impression écran ou de manière formelle, (ce qui est recommandé), faire établir un constat spécifique appelé « constat sur internet », soit par un Huissier de justice ou par « les officiers de police judiciaire et les agents habilités de l’Agence (ANTIC) », tel que l’exige l’article 52 alinéa 3 de la LCC.

En possession de ces éléments de preuve, elle peut donc saisir la justice pour entendre soit condamner l’auteur de la publication ou l’administrateur du site internet, page ou groupe Facebook comme le dispose l’article 78 de la LCC qui « puni d’un emprisonnement de 06 mois à 02 ans et d’une amende de 5.000.000 (cinq millions) à 10.000.000 (dix millions) fcfa ou de l’une de ces deux peines seulement, celui qui publie ou propage par voie de communications électroniques ou d’un système d’information, une nouvelle sans pouvoir en rapporter la preuve de véracité ou justifier qu’il avait de bonnes raisons de croire à la vérité de ladite nouvelle ». Par application du principe de neutralité technologique sus-évoqué, les dispositions des articles 304, 305 et 307 du Code pénal applicable au Cameroun et punissant respectivement la « dénonciation calomnieuse », la « diffamation » et « l’injure » peuvent également être évoquées. Ces peines « sont doublées lorsque l’infraction est commise dans le but de porter atteinte à la paix publique ». A bon entendeur salut !

Si par extraordinaire, le contrevenant a utilisé des moyens sophistiqués de cryptage ou de chiffrement pour commettre son forfait sous anonymat comme c’est souvent le cas, le procureur peut, conformément à l’article 55 de la LCC « réquisitionner toute personne physique ou morale qualifiée, en vue d’effectuer les opérations techniques permettant d’obtenir la version en clair desdites données ». Il n’est pas superflu de savoir que sur internet, à défaut de ne pouvoir punir directement l’auteur d’une publication ou d’un commentaire outrageant, l’article 43 de la LCC précise que « le fournisseur de contenus est responsable des contenus véhiculés par son système d’information, notamment lorsque ces contenus portent atteinte à la dignité humaine, à l’honneur et à la vie privée ».

Bon à savoir, peuvent être responsables des faits d’autrui, les administrateurs de pages/groupes Facebook d’une part et les propriétaires et/ou gérant de cybercafé d’autre part. Les administrateurs Facebook, doivent donc veiller à modérer les débats, effectuer des contrôles a priori et supprimer s’il le faut tous les commentaires outrageant et désobligeant portant atteinte à la vie privée des tiers. Les gérants de cybercafé quant à eux, doivent définir et afficher une charte d’utilisation des connexions achetés, les exonérant de toute responsabilité. De même, si un particulier devrait prêter son ordinateur à un tiers, il doit prendre des mesures à ce que son utilisation soit saine. Comme quoi, les contentieux de demain seront ceux relatifs aux infractions sur Internet.

La légèreté spectaculaire des affirmations gratuites et autres déclarations haineuses avec laquelle les camerounais s’expriment sur ces nouveaux média est à plaindre et sont susceptibles de poursuites judiciaires. Pour exemple, « Brenda Ngomsi » et « Alice Zomo » qui se sont amèrement distinguées sur « Youtube » auraient pu être sanctionnées en vertu de l’article 77 de la loi LCC qui puni de 02 à 05 ans « celui qui, par la voie de communications électroniques ou d’un système d’information, commet un outrage à l’encontre d’une race ou d’une religion » ou encore, en vertu du principe de neutralité technologique, par l’article 241 du Code pénal qui puni l’« outrage aux races et aux religions ». Ces peines sont doublées si la publication a pour but de « susciter la haine ou le mépris entre les citoyens ». Les différents « Tags » injurieux à l’encontre du Cameroun sont également passibles de sanctions si la justice venait à être saisie par toute personne intéressée. Nul n’est donc censé ignorer la loi !


L’ « immunité » proclamée de la diaspora

Pour se défendre et se convaincre de leur impunité supposée, certains camerounais de la diaspora, adeptes des déclarations haineuses, tribalistes, mensongères et diffamantes sous anonymat, arguent qu’« ils sont situés hors du territoire camerounais » et par conséquent « sont hors d’atteinte des juridictions et des lois de la république du Cameroun » et d’autre part, qu’ils « interviennent et publient sous anonymat ». Selon eux, ils croient être non-identifiables. Erreur ! Étant donné son caractère immatériel, Internet est un territoire "virtuel" accessible en tout lieu géographique déterminé. Les ordinateurs du réseau internet communiquent entre eux, grâce au protocole IP (Internet Protocol), qui utilise des adresses numériques comparables à une carte nationale d’identité, appelées adresses IP unique à chaque ordinateur que les spécialistes peuvent détecter et interpréter en cas de problème fussent-ils brouillé grâce aux logiciels tels « Ultrasurf ».

Sur le plan juridique, les dispositions du Titre IV de la loi LCC définit les modalités de la coopération et de l’entraide judiciaire internationales en matière d’infraction sur Internet. Si l’infraction est suffisamment grave et porte par exemple « atteinte à la paix publique , les autorités judiciaires et diplomatiques du Cameroun pourraient légitimement s'estimer compétentes, pour connaître des infractions commises sur des sites internet, consultables au Cameroun et « spécialisés » sur le Cameroun, destinés à un public situé au Cameroun ou à un public camerounais tout court, en actionnant sur ces deux mécanismes judiciaires. Résider aux USA, en France, Suisse ou Japon n’est pas une « immunité » et n’exonère pas de toute responsabilité pour des propos désobligeant et malveillant postés sur internet et portant atteinte à l’honneur et à l’intégrité de toute personne. Car comme le précise avec force l’article 41 de la LCC, « toute personne a droit au respect de sa vie privée ».



CHUEKOU Valentin
Spécialiste droit de la propriété intellectuelle et des nouveaux médias



11/08/2013
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