MARAFA HAMIDOU YAYA
MON DERNIER MOT
Monsieur le Président, Honorables membres de la collégialité.
J’attendais ce moment avec impatience. Impatience comblée, puisque j’ai pu m’expliquer devant la justice de mon pays, et puisque l’accusation n’a pu produire aucune preuve de ses allégations.
Monsieur le Président, Honorables membres de la collégialité.
Que puis-je dire pour conclure ma défense que n’aient pas dit mes avocats, au cours d’une démonstration qui n’a pu vous laisser aucun doute sur ma pleine innocence ?
Que puis je dire que je n’aie pas moi-même déjà dis dans mes lettres ouvertes écrites depuis ma prison ?
Où que je me tourne dans cette affaire, je ne rencontre que des éléments inventés ou détournés par mes accusateurs, et ils en sont les premiers conscients.
Ou peut-être devrais-je revenir sur les aspects les plus grossiers de cette machination, qui ne vise qu’à me punir pour avoir toujours refusé, au cours d’une carrière de plus de trente ans, au service de mon pays, de mettre les intérêts particuliers d’un petit groupe avant les intérêts de la nation.
Je pourrai ainsi, avec ironie, demander de quoi m’accusent exactement mes adversaires : est-ce d’être malhonnête ou d’être idiot ? Car à moins d’être un parfait imbécile, comment aurais-je pu envisager que passerait inaperçue une opération consistant à passer une fausse commande pour un avion présidentiel, et à détourner 29 millions de dollars sur les 31 devant financer l’achat.
Comment aurais-je pu croire que personne ne se rendrait compte que l’avion, bien que payé, n’était jamais arrivé ?
Mais ce n’est pas de cela que je vais vous parler, car l’enjeu de mon procès n’est pas là. Je veux parler de notre pays, de la situation actuelle et à venir ! Car c’est de cela qu’il est réellement question ici !
Notre pays, vous me laisserez vous dire que je le connais bien et que je l’aime.
Je le connais du Nord où je suis né, au Sud où j’ai fais mes études et ma carrière, du littoral d’où vient mon épouse, Née Djanga Jeannette, à l’Ouest francophone et anglophone où je compte tant d’amis !
Je l’ai parcouru de part en part, en tant que Ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation.
Non seulement je le connais, mais je lui dois tout, et j’ai essayé sans relâche de lui payer ma dette de gratitude.
Je suis né dans une famille modeste comptant douze frères et sœurs, et fortement imprégnée de nos traditions et de nos valeurs. Mon père commerçant modeste, m’a inculqué le sens de l’effort, de la valeur du travail et le sens de l’économie.
Après mes études supérieures à l’université de Yaoundé, et grâce à une bourse, j’ai pu faire des études aux États-Unis. A mon retour, alors que j’avais des offres d’emplois plus lucratives dans le privé, j’ai choisi de servir l’état qui m’avait tant donné, et qui allait encore me combler de ses bienfaits.
C’est pourquoi j’ai été profondément meurtri lorsque j’ai été accusé d’avoir spolié l’état, et par delà lui, mon pays.
J’ai immédiatement demandé au président Paul Biya la possibilité de venir m’expliquer devant la justice. On a préféré m’emprisonner, me condamner par avance aux yeux de l’opinion publique, avant de me faire comparaître devant vous.
Monsieur le Président, Honorables membres de la collégialité,
- Jugez-moi, si tel est la loi, condamnez-moi, pour avoir obéi aux instructions du président de la république concernant l’achat de l’avion présidentiel.
- Jugez-moi, et si tel est la loi, condamnez-moi, parce que je représente une menace pour un petit groupe qui a pour seul objectif, son propre enrichissement, et l’accaparement du pouvoir, serait-ce au détriment du grand nombre, serait-ce au prix des divisions tribales, et sociales exacerbées, serait-ce au prix d’un développement et d’un progrès retardés.
- Jugez-moi, et tel est la loi, condamnez-moi, parce que fort du soutien de mes compatriotes, je suis désormais porteur parmi d’autres, d’une espérance pour notre pays.
Votre jugement quel qu’il soit, marquera l’histoire de notre pays. Vous ne vous laisserez ni impressionner, ni manœuvrer.
Monsieur le Président, Honorables membres de la collégialité,
Mes conseils ont répondu aux accusations avec précision, et démontré je l’espère, mon innocence. En effet, il est normal, que responsable politique, responsable public ou privé, on puisse rendre des comptes devant la justice.
Votre jugement dira à tous ceux qui pensent que l’on peut instrumentaliser la justice, que l’état de droit ne saurait s’accommoder des méthodes qui accréditent dans l’esprit de nos compatriotes l’idée qu’en dehors de l’action régulière de l’autorité judiciaire, il existe des groupes d’individus formant des tribunaux occultes et établissant une justice parallèle que seule la justice républicaine, est normalement en droit de rendre, et ce, dans le seul dessein, de satisfaire des ambitions et des intérêts privés.
Autrement le citoyen Camerounais finira par s’accoutumer à ce poison qui met en péril notre pacte social, et la société de confiance que nous devons bâtir.
En effet, comment ce citoyen pourra-t-il conserver une totale confiance aux responsables publics, qui exigent de lui de respecter la loi, s’il pense que l’état encourage le recours à ces accusations calomnieuses ?
Comment pourrait-il assurer à ses enfants que l’observation de la loi et le respect des droits de l’homme sont l’ultime rempart contre l’arbitraire, et l’abus de pouvoir, si la république se double d’un microcosme régi par des normes dictées par la seule ambition personnelle de quelques-uns ?
Monsieur le Président, Honorables membres de la collégialité,
Reconnaître mon innocence, et la reconnaître publiquement, sera votre manière de marquer que le temps est venu d’arrêter cette marche vers la dissolution de notre Nation, et de retrouver le chemin qui nous mène vers l’avènement d’une société de confiance.
Au moment où s’approche la fin de mon procès, me vient à l’esprit la plus célèbre épitaphe, celle des guerriers spartiates tombés aux Thermopyles, dans la Grèce Antique, qui dit :
« Passant, va dire à Sparte que nous sommes morts ici pour obéir à ses saintes lois » ; Aujourd’hui je serai tenté de dire ici ; « Passant, va dire à Etoudi que je suis prisonnier ici pour avoir obéis à ses hautes instructions »
Une transcription Fidèle de
Sismondi Barlev BIDJOCKA