Inondations dans le Nord-Cameroun, regard sur un nouvel épisode du drame camerounais

15 OCT. 2012
© Badiadji Horrétowdo, Ecrivain/romancier | Correspondance

Après le choléra en 2010, revoilà le Nord-Cameroun au devant de la scène médiatique, dans une dramaturgie nationale où les épisodes qui s’égrènent comme par fatalité, ne constituent guère surprise pour les observateurs épris d’un certain minimum d’objectivité morale.

Inondations dans le Nord-Cameroun, regard sur un nouvel épisode du drame camerounais

[NB : Dans cet article, l’auteur entend par Nord-Cameroun, Grand Nord-Cameroun]

Après le choléra en 2010, revoilà le Nord-Cameroun au devant de la scène médiatique, dans une dramaturgie nationale où les épisodes qui s’égrènent comme par fatalité, ne constituent guère surprise pour les observateurs épris d’un certain minimum d’objectivité morale. Pendant près d’un mois, le pays aura vibré au rythme de ses nouvelles vedettes du moment, ces sinistrés qui, pour le coup, semblaient focaliser un élan de compassion tout azimut, digne d’un sens de patriotisme et d’une solidarité nationale que l’on sait évanouis. Et dans ce registre de surenchères compassionnelles, la palme d’or pourrait tout logiquement revenir à la Crtv dont le génie aura su rester fécond, au service d’une doctrine à laquelle elle voue comme toujours loyauté inconditionnelle. La chaîne gouvernementale désormais en prise avec la concurrence acharnée de certaines chaînes privées dites indépendantes, devra toujours redoubler de talent pour garder sa notoriété tropicale. Et elle le fait à merveille ! Dans l’une de ses missions régaliennes, elle n’a pas manqué l’outrecuidance d’afficher sur ses écrans : « Nous sommes tous Nordistes ». Allez savoir ce qu’ils entendent là-bas par « Nordistes » !

Quoi qu’il en soit, à en juger par l’apparent élan de compassion qu’elles ont suscité, les inondations dans le Nord-Cameroun semblent avoir réussi là où, deux années plus tôt, le choléra malgré de prouesses pourtant remarquables, avait piteusement échoué. Revenons toutefois à l’essentiel, c’est-à-dire le drame qui en lui-même, cache un mal bien plus profond. Le mal camerounais !

Les inondations dans le Nord-Cameroun sont une catastrophe naturelle ! Si cela sous-entend l’idée d’une catastrophe imprévisible et que rien ne pouvait être anticipé, alors cette catastrophe qui a englouti plusieurs villages, exploitations agricoles et bétail, endeuillé centaines de familles et précipité au gouffre du désespoir milliers d’âmes désormais réduites au statut de refugiés dans leur propre pays, n’a rien de « naturelle ». Elle avait été déjà annoncée. Les zones à risque identifiées depuis 2004, et les solutions de prévention connues dans le même temps. Mais qu’attendre d’un régime qui se moque éperdument de ses devoirs républicains, même les plus fondamentaux ? Abandonné à son triste sort au gré des périls évidents, le peuple camerounais dans son écrasante majorité s’enlise désormais dans un sous-développement structurel des plus sidérants, bridant des vies complètement minées par des aléas et précipices d’un autre âge. Dans cette dynamique de végétation de masse, il semble établi que la « lointaine » région nord-camerounaise occupe ce statut de damnée dans un pays déliquescent où, insidieusement, elle prend allure de Far West. Raison pour laquelle le Choléra, hier, les inondations, aujourd’hui, avec ses crises dérivées à venir, n’ont pu mériter quelconque action préventive pourtant triviale. Ces catastrophes devaient arriver, eh bien elles n’ont qu’à arriver, elles seront naturelles après tout à l’instar du Tsunami au Japon ou de l’ouragan Katrina aux États-Unis! De toutes les façons, ils seront toujours nombreux, ces citoyens de bonnes intelligences républicaines qui porteront nos écharpes et casquettes, nos t-shirts et robes, et qui défileront et danseront pour montrer toujours au monde entier que nous sommes au pouvoir par la seule expression de la démocratie !

Et la catastrophe « naturelle » est arrivée, et désormais elle fut ! En marge d’une tragédie qui, immanquablement, aurait scellé bien des destins politiques sous des cieux normalisés, l’on aura encore assisté à la traditionnelle sarabande nationale. Ici, rien ne semble pouvoir en être autrement ! Le sinistre devait être célébré, et tout aura été célébration. Pas l’ombre d’un chagrin et d’un recueillement, et rien ne valait une mise en berne des couleurs nationales ! Sans vergogne, les tares sociales désormais quasi-endémiques ont été mises à profit au service d’une idéologique rédhibitoire. Le sinistre est affaire de politique avant tout ! Et c’est ainsi que l’exposition médiatique du drame des victimes se sera vite confondue à une foire à la flamme ardente, sous les airs de motion de soutien et de confiance renouvelée. Dans cette dialectique d’indolence outrancière, mention spéciale au Septentrion lui-même, qui semble désormais si bien se plaire dans un jeu de masochisme l’élevant au rang des plus dindons de la farce. Bravant les épreuves de conscience qu’imposaient regards et mémoires de ses sinistrés, le Nord-Cameroun aura su une fois de plus vibrer aux couleurs du parti-État, célébrant un régime dont l’incurie et l’irresponsabilité restent pourtant coupables d’avoir enfoncé les siens par milliers, encore plus dans l’abîme du désespoir. Et il en paie un lourd tribut, l’homme dit « Nordiste » !

Paradoxalement, c’est probablement du côté de cet homme « Nordiste » qu’il faudrait chercher les causes de cette aliénation si caractérisée. Qu’il subisse la furie du choléra ou celle des eaux, il puisera toujours dans la culture qui est la sienne, courage et bon sens nécessaires pour chanter et danser aux couleurs de la flamme ardente sur la tombe de ses disparus ou au nez et à la barbe de ses réfugiés délaissés dans la pagaille à ciel ouvert. En lieu et place de l’évidence et des vraies questions qui interpellent oppressivement l’esprit, une polémique au sujet de la nouvelle capitale du Nord-Cameroun a curieusement fait irruption sur la scène nationale au nom de je-ne-sais-quelle entreprise de diversion ! A croire que le Nord-Cameroun est un pays ! La naïve et stérile rivalité sociopolitique qui prévaut entre Garoua, Maroua, et Ngaoundéré a toujours inspiré le machiavélisme central. Un fond de commerce entretenu notamment avec la complicité de pseudo-élites d’une région littéralement sous éteignoir. Pourquoi s’en priver, bon sang ? Et le temps qu’on y est, c’est quoi donc la capitale du Grand Sud-Cameroun ? Qui s’en intéresse ?

Si la catastrophe a causé de lourdes pertes dans le Septentrion camerounais, n’allez surtout pas croire que le régime est resté tête gelée face aux mauvaises langues qui oseraient le taxer de coupable désigné. Loin s’en faut. Il s’en est évidemment défendu bec et ongles, et s’est même montré éloquent sur les causes d’une catastrophe qui « n’engage bien entendu en rien » sa responsabilité. Faisant fi d’un éventuel incident diplomatique, l’un de ses idéologues non moins connu a ainsi poussé le ridicule jusqu’à expliquer que le Tchad voisin avait une part de responsabilité dans le drame des sinistrés. En effet, motivait-il ses accusations, la construction d’une digue plus haute par ce pays sur la rive droite du fleuve Logone a pu engendrer d’énormes dégâts dans cette partie de notre territoire. Soit. Le Tchad voisin a effectivement décidé ces dernières années d’élever ses digues et de les entretenir régulièrement en prévision des fortes pluies. Ce pays le fait pour le seul et unique souci de protéger les siens. Mais de cela, notre idéologue national ne peut en dire mot !

Mais l’histoire retiendra surtout que le drame des sinistrés ne s’arrêtera pas là. C’est bien connu, le malheur des uns fait le bonheur des autres. Les inondations dans le Nord-Cameroun n’ont pas dérogé à ce qui semble irrépressiblement partie intégrante de l’éthique nationale. Certains esprits n’ont pas manqué de s’organiser eux aussi, en vue de tirer bien entendu leur épingle du jeu. Ici, on ne recule plus devant rien. Alors que l’inquiétude grandissait au sujet de la crise humanitaire à venir adjacent à la catastrophe, un parfum de scandale de détournement des aides assombrissait encore plus le sort réservé aux sinistrés. Le cas des nuisances bestiales à l’actif de cette autorité administrative dont le génie aura agrémenté les colonnes de la presse en dirait long sur le cynisme et la permissivité qui gangrènent les institutions étatiques de ce pays. Dans un pays où un cadavre n’impressionne guère, même pas les enfants, où les accidentés de la route gisant à même le carreau se font détrousser de leurs biens, rien de surprenant en somme ! Autant dire que pour certains, la catastrophe des inondations dans le Nord-Cameroun n’est rien d’autre qu’une nouvelle opportunité au même titre que le projet de barrage hydroélectrique à Lom Pangar !

Pour le reste, s’offrant une escapade dans le Septentrion bien des semaines après le sinistre, Son Excellence a pu étonnamment retrouver ses envolées lyriques qui rappellent à s’y méprendre l’aube du Renouveau précédant la vertigineuse dégringolade du pays qui obtiendra haut la main, avec mention et félicitations du Jury, son diplôme de pays Ppte*. En plus de tout reconstruire et de dédommager intégralement les sinistrés, Son Excellence a pu également promettre les travaux devant prévenir la résurgence des inondations dans cette région. Voila qui fait enfin partie des ambitions des grandes réalisations. Pour les victimes littéralement passées à la moulinette au compte de Pertes&Profits, il me reste tout juste à espérer que leurs souffrances et leurs sacrifices ne resteront pas vains sous le ciel assombri de leur patrie en prise avec la cupidité et le cynisme humains.

Badiadji Horrétowdo
Ecrivain/romancier
© BH/octobre 2012
Email : contact@horretowdo.com
Site web: www.horretowdo.com


*Pays pauvre et très endetté.



16/10/2012
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