INONDATIONS DANS LE GRAND-NORD: Les mensonges du gouvernement sur les appuis du chef de l'Etat

Yaoundé, 06 février 2013
© Dominique Mbassi | Repères

Le Ministre de l'Administration Territoriale et de la Décentralisation soutient que les dons destinés aux sinistrés ont été bien gérés. Les rapports des commissions d'enquête mettent au contraire en lumière des malversations et irrégularités dans l'opération.

Le communiqué rendu public à l'issue du Conseil de cabinet tenu le 31 janvier à l’immeuble Etoile a fait tiquer plus d'une personne au fait de la gestion des inondations dans le Grand-Nord. «Les appuis en espèce et en nature mis à la disposition des populations par le Chef de I'Etat, d’une valeur respective de 300 millions et 500 millions Fcfa, dans les régions du Nord et de l'Extrême-Nord, ont fait l'objet d'une distribution effective, équitable et transparente dans le cadre d'une approche participative impliquant les forces vives des localités concernées», écrit le Directeur de cabinet du Premier Ministre.

Le communiqué du gouvernement, qui s'inspire de l'exposé du Ministre délégué auprès du Minatd, est aux antipodes de la réalité. Car la distribution des dons du Chef de l'Etat a bel et bien fait l'objet de malversations. Toute chose qui décide le Gouverneur de l'Extrême-Nord à instituer deux commissions régionales d'enquête les 15 et 23 novembre 2012 avec ampliations au Secrétaire général de la Présidence de la République, au Secrétariat des services du Premier Ministre, au Minatd, au Mindef/SED, etc.

Ces commissions d'enquête reçoivent mission de faire la lumière sur la distribution des dons aux sinistrés dans les arrondissements de Darak dans le département du Logone-et-Chari, et de Yagoua dans le département du Mayo Danay. Les résultats de leurs investigations sont sans équivoque.


PAS DE RECENSEMENT DES SINISTRES

D'entrée de rapport, la seconde commission constate, «pour le déplorer, une profonde légèreté tant en matière de gestion du sinistre et du recensement des sinistrés, que de la distribution de ces importants dons en espèces sonnantes et trébuchantes». De manière précise, le rapport note que le Sous-préfet de Yagoua «a plutôt abandonné ses responsabilités au profit des chefs traditionnels qui ont procédé, à leur guise, au recensement des potentiels sinistrés de leur territoire de compétence». Ce que M. Jules Ze Bissa, qui reconnait face aux enquêteurs avoir reçu 100.000 FCFA du Maire de Yagoua, justifie par une absence de moyens financiers et logistiques.


LES ELITES ET AUTORITÉS POLITIQUES INCRIMINÉES

La commission d'enquête incrimine aussi les élites et autorités politiques de l'arrondissement qui ont exercé d'intenses pressions sur les autorités administratives.

Conséquences de cette incurie: le nombre de sinistrés oscille entre 3500 et 43000, des listes fictives sont validées, «certains habitants des villages périphériques et des quartiers de la ville de Yagoua, pourtant étrangers aux inondations, ont reçu leur part de "gâteau"».

Pour la suite, le Sous-préfet lance seul dans son bureau la distribution des dons, avant que des plaintes et des tensions n’obligent le Préfet à instituer cinq équipes de distribution. Mais le mal est déjà fait. Sur les 80 671 000 FCFA mis à disposition du Sous-Préfet, la commission d'enquête retrouve un reliquat de 9 millions dans son compte personnel domicilié à l'agence du Crédit du Sahel.

Tout en établissant la responsabilité du Sous-préfet dans «la gestion opaque des dons alloués à son unité de commandement par le Chef de l'Etat aux sinistrés», la commission se convainc que «la somme de 80 671 000 FCFA allouée à l'arrondissement de Yagoua n'a pas exclusivement servi les intérêts des ayant-droits». Aussi, à l'unanimité, la commission suggère «que le Sous-préfet de l'arrondissement de Yagoua soit sévèrement sanctionné pour inconscience professionnelle notoire, insubordination manifeste et abandon de poste surtout en situation de crise grave».

A Darak, la situation est plus préoccupante. La commission a enregistré témoignages, dénonciations et plaintes de divers acteurs. Il y a la plainte de la communauté haoussa adressée au Préfet du Logone-et-Chari contre le Sous-Préfet. M. Nsangou Mama est accusé d'«incompétence administrative et de détournement de biens publics, injustice, marginalisation et tribalisme».

D'après le responsable de cette communauté, sur les 54 millions affectés à l'arrondissement, seuls 11 millions ont été distribués. Huit millions sont allés aux non-sinistrés, et trois millions aux sinistrés après intervention d'une commission d'enquête. La plainte dénonce aussi la distraction des dons en nature remis aux seuls Mousgoum.

Ces accusations sont corroborées par le Commandant de la brigade de gendarmerie. D'abord dans un message radio-porté au Commandant de la légion de l'Extrême-Nord et puis devant la commission. Dans les deux cas l'Adjudant-Chef Djibrilla Tchantouang reste formel : «Personne, ni aucun comité n'est descendu sur le terrain pour constater et saluer les dégâts et encore moins pour identifier les véritables victimes. Le Sous-préfet a décidé de convoquer une commission parallèle dans son bureau le vendredi 2 novembre 2012 avec le Maire et quelques Blama (…), a acheté leur silence. Quelques temps après, convoque le Commandant par coup de fil de son particulier Atim Ouda à son bureau (...), me remet une somme de 200.000 frs en billets de 2000 frs pour acheter mon silence, disant ni vu ni connu».


TÉMOIGNAGES ACCABLANTS

Les témoignages recueillis au cours des descentes sur le terrain attestent que dans les villages qu'il a sillonnés, le particulier du Sous-préfet, unique distributeur des dons, a remis aux populations selon son humeur des montants variant entre 2000 et 15 000 FCFA. En découvrant la vérité des chiffres, les populations vont exprimer leur colère. A ce sujet, écrit l'hebdomadaire L'Oeil du Sahel qui a révélé l'affaire dans une de ses éditions de janvier 2013, le Sous-préfet a failli être lynché et n'aura la vie sauve que grâce à l'intervention du Préfet. Pour apaiser leur ire, il va accéder à leur demande de perquisitionner le domicile du Sous-préfet où on retrouve nattes, cartons d'huile, etc. redistribués sur le champ aux populations.

En plus d'admettre toutes ces dénonciations, le Maire de Darak apprend à la commission que le Sous-préfet a essayé de lui graisser la patte avec un million de FCFA. Au regard du rôle trouble joué par M. Atim Ouda qui sera gardé à vue sur ordre de la commission et face au refus du Sous-préfet de mettre à disposition le procès verbal de décharge des bénéficiaires, la commission d'enquête tire sa conclusion : «la distribution des dons du Chef de l'Etat à Darak n'a obéi à aucune logique. Toutes ces irrégularités démontrent à suffisance qu'il pèse sur l'autorité administrative une forte présomption d'atteinte aux dons du Chef de l'Etat». Tout au plus, 12,5 millions sur les 54 millions reçus ont été effectivement distribués.

Logiquement, la proposition de la commission d'enquête ne surprend personne : «Compte tenu de la spécificité de la localité en tant que zone nouvellement rétrocédée (...), il nous a paru indiqué de proposer que le Sous-préfet soit relevé purement et simplement de ses fonctions et que l'intéressé fasse l'objet sinon d'une poursuite judiciaire, soit traduit au moins devant un tribunal compétent en cette matière. Il ne serait pas superfétatoire de demander à l'intéressé de rembourser les sommes ainsi distraites». Comme suite à ces suggestions, le gouvernement clame que les dons du Chef de l'Etat ont été gérés dans la transparence et l'équité.


07/02/2013
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