Industrie pornographique : un marché en pleine expansion en Afrique
le secteur africain de la pornographie «amateur» est en croissance constante. Et même plus que cela: selon Koh Bela, trois grandes villes de son pays natal (Douala, Yaoundé et Kribi) se sont transformées en pôles de production pornographique. Là-bas, certains acteurs s'enorgueillissent désormais de leur profession. à Douala et à Abidjan, révèle Koh Bela, des jeunes femmes se rendent dans des appartements prévus à cet effet et regardent des films pour apprendre tous les types de caresses, de positions sexuelles et de techniques pornographiques à l'occidentale.
La tentation du porno
En Afrique, des centaines de jeunes
tentent d'échapper à la pauvreté en cherchant à entrer dans l'industrie
pornographique. Un métier difficile et parfois dangereux
«Je
rêve de devenir acteur de X depuis que je suis tout jeune. Je vis en
Côte d'Ivoire et je suis à la recherche d'un producteur ou d'un
réalisateur pour by Text-Enhance">signer un contrat et jouer dans un film... Je compte sur vous pour réaliser mon rêve.»
C'est
l'annonce publiée sur Internet par André (ce n'est pas son vrai
prénom), 21 ans. Y figurent son adresse email et son numéro de téléphone
portable. Cet étudiant en informatique à Grand-Bassam (ville située à
40 kilomètres d'Abidjan, la capitale) ressemble à beaucoup d'Africains.
Des centaines de jeunes hommes et femmes originaires du Cameroun, de
Côte d'Ivoire, du by Text-Enhance">Maroc,
du Nigeria, d'Afrique du Sud et d'ailleurs tentent aujourd'hui de
trouver du travail dans l'industrie du film pornographique —en Afrique
ou à l'étranger.
Le marché mondial de la pornographie (les
réseaux de vidéos pour adultes, les films en pay-per-view sur le câble
et le satellite, les sites Web, les films proposés dans les chambres
d'hôtel, le téléphone rose, les sextoys, les magazines et les DVD)
représente des dizaines de milliards de dollars, selon Dan Miller,
rédacteur en chef de XBIZ Premiere, publication spécialisée de
l'industrie du divertissement pour adultes.
Miller précise
toutefois qu'il est difficile d'avoir les chiffres exacts: une grande
majorité des entreprises appartient en effet au secteur privé.
«Le marché américain est le plus important du monde, et de loin; il
dépasse largement celui de l'Europe, explique-t-il. Selon les
informations auxquelles nous avons accès, le marché américain tourne
autour des 7 milliards de dollars [4,8 milliards d’euros].»
En Afrique, une industrie de taille réduite
Le
marché africain —principalement axé sur Internet— est quant à lui de
petite taille, mais il est en train de prendre son essor. Le leader du
continent est sans doute l'Afrique du Sud, qui a accueilli durant le
second semestre 2010 la Sexpo, exposition publique consacrée aux
multiples aspects de la sexualité.
«En Afrique du Sud,
l'industrie du sexe représenterait environ 60 millions de rands [6,1
millions d‘euros], mais aucun organisme indépendant n'a pu by Text-Enhance">vérifier
ces chiffres. C'est probablement la plus importante d'Afrique; elle
doit être environ deux fois plus importante qu’au Nigeria», explique Tau
Morena, co-fondateur de Sondeza (Rapprocher, en isiZulu), un réseau
pour adultes disposant de plus de 39.000 membres, dont près de la moitié
sont Sud-Africains, et compte en moyenne 7.000 visiteurs uniques par
jour.
Pourquoi le secteur de la pornographie n'a-t-il pas décollé
en Afrique? Morena accuse le piratage vidéo, qui, selon lui,
n'intéresse guère le gouvernement:
«Dans les années 1990, en
Afrique du Sud, on vendait environ un million d'unités par an; mais
aujourd'hui, les pirates sont partout. On ne vend plus que 150.000 films
par an en moyenne —et les chiffres ne cessent de baisser.»
Autre
frein: la législation. La production —et, dans certains cas, la
possession— de contenus pornographiques est illégale dans plusieurs pays
d'Afrique. La pornographie est pourtant de plus en plus présente sur le
continent; de plus en plus d'Africains ont accès à Internet et aux
chaînes étrangères diffusant des films pour adultes.
Un marché en pleine expansion
Par ailleurs, ce contenu est de plus en plus recherché.
«La demande est forte chez les classes moyennes supérieures et
inférieures qui se sont équipées en matériel vidéo et en matériel de
communication (PC, modems, webcams). Il existe également une demande
internationale: le Nigeria, qui abrite l'une des plus importantes
industries cinématographiques de la planète, exporte des vidéos et
élabore différents types de contenus, qui sont diffusés en ligne sur
divers portails Web», explique Philippe Di Folco, auteur français du
Dictionnaire de la Pornographie.
La demande étrangère permet
d'expliquer pourquoi «les actrices africaines se spécialisent dans
différents types de pornographie en Europe», explique Amély-James Koh
Bela, une militante camerounaise qui étudie ce secteur. Selon elle, deux
sociétés de production pornographiques, Concorde et Maeva, produisent
l'essentiel des films «spécial noires» qui envahissent Internet.
Dans
le même temps, le secteur africain de la pornographie «amateur» est en
croissance constante. Et même plus que cela: selon Koh Bela, trois
grandes villes de son pays natal (Douala, Yaoundé et Kribi) se sont
transformées en pôles de production pornographique. Là-bas, certains
acteurs s'enorgueillissent désormais de leur profession.
Voilà
bien longtemps qu'Alex (le prénom a été modifié) est fier de son
travail. Ce jeune Camerounais à la coiffure afro a déjà réalisé une
poignée de films et fondé sa propre société, «Sexe Images Nature
Africaine», pour «créer des emplois et lutter contre la prostitution
locale —qui est moins profitable que la pornographie». Il a également
tourné dans deux courts métrages produits par une société française, et
pour lesquels il a touché deux cachets de 1.500 euros. Il a mis un terme
à sa carrière d'acteur lorsqu'il a «trouvé la foi».
«Star du X africaine mignonne et super sexy»
La
Sud-Africaine Palesa Mbau ne risque pas d'arrêter de sitôt. Il y a un
an, l'actrice de 23 ans a auditionné pour un film via Sondeza.com.
«L'idée de réaliser un film local nous a été soufflée par nos membres,
qui nous demandaient d'élaborer une production 100% locale, en phase
avec notre marché, explique Tau Morena, qui a produit le film. Nous
avons fait un appel à candidatures auprès des membres du site pour
qu'ils puissent prendre part au projet, car il n'existe pas d'acteurs X
professionnels en Afrique du Sud.»
Mille candidats se sont
manifestés; des hommes, pour la plupart issus de tous les milieux. Mbau a
été sélectionnée (ainsi que quatre amateurs; deux hommes et deux
femmes) pour tourner dans Mapona, Volume 1 («Nu», en sesotho). 5.000
copies ont été écoulées depuis septembre 2010.
«Je suis de
plus en plus fière, parce que c'est un [film pornographique] noir,
déclare-t-elle. Il favorise l'émancipation de la communauté noire, parce
que la [majorité] des films pornographiques sud-africains ne mettent en
scène que des blancs.»
Mapona marque-t-il un tournant dans sa
carrière d'actrice X, entamée il y a trois ans pour «raisons
personnelles»? Une chose est sûre: l'actrice à la peau claire —et qui a
rencontré des professionnels du X très en vue lors de la Sexpo— compte
bien se faire un nom dans l'industrie du sexe. «J'ai un travail à temps
plein dans un centre d'appel, mais je pense que mon avenir est ici.
[...] Je n'ai pas honte de le dire.»
Mbau se décrit comme une
«star du X africaine mignonne et super sexy» sur sa fanpage Facebook,
créée en 2010, et qui compte quelques 2.200 fans. La jeune femme
originaire de Midrand (dans la province septentrionale de Gauteng), qui a
gardé sa voix d'adolescente, se sert de cette page pour se faire
connaître, échanger sur le sexe et plaisanter avec ses admirateurs.
Elle
compte également sur son site, où elle publie des photos suggestives et
propose des live shows privés pour les «clients de premier ordre». Pour
les «photos et vidéos personnelles supplémentaires», il faudra par
exemple débourser entre 500 et 1.000 rands (entre 50 et 100 euros), en
fonction de la présence ou non d'un caméraman engagé par ses soins.
Exploitation, trafic d'êtres humains et risques sanitaires
Rien
d'étonnant, selon Amély-James Koh Bela, à ce que les jeunes Africains
voient les acteurs de X comme des exemples de réussite. Certains
touchent en effet plus d'argent en un film que la majorité des Africains
n'en gagnent en un mois. Ce que les jeunes ignorent, en revanche, c'est
qu'il est difficile de s'enrichir dans ce secteur. Par ailleurs, le
trafic d'être humains —la troisième activité criminelle au monde, selon
les Nations unies— est une menace sérieuse dans certains pays.
On
estime qu'environ 5% des victimes du trafic d'êtres humains identifiées
en Europe Centrale et en Europe de l'Ouest sont d'origine africaine;
elles viennent pour la plupart «de communautés d'Afrique de l'Ouest,
notamment des femmes et des jeunes filles nigérianes», selon «The
Globalization of Crime - A Transnational Organized Crime Threat
Assessment», un rapport de l’ONU contre la drogue et le crime.
«Selon les études menées sur des victimes nigérianes, il semble que les
connaissances, les amis proches ou les membres de la famille des
victimes jouent un rôle central dans leur recrutement. [...] Une grande
majorité de femmes et de jeunes filles originaires d'Afrique de l'Ouest
sont victimes de prostitution forcée.»
Ces victimes sont-elles
également exploitées dans le secteur de la pornographie? «Lorsqu'un
enfant se retrouve prisonnier d'un réseau, le trafiquant l'exploite de
toutes les façons possibles, explique Anne-Sophie Faysse, chef de projet
au sein de l'antenne française de l'Ecpat , un réseau international de
lutte contre la pornographie enfantine. On trouve des cas de viols, de
prostitution (activité beaucoup plus visible), et de pornographie. Dans
ce dernier cas, il s'agit presque toujours de cyberpornographie [photos,
films].» Les adultes (pour la plupart de sexe féminin) peuvent
eux-aussi être victimes des trafiquants.
Koh Bella préside
Mayina, une association qui lutte contre le trafic d'êtres humains; elle
explique que les trafiquants n'hésitent pas à forcer certaines victimes
à pratiquer des formes extrêmes de pornographie, comme la bestialité.
«Certaines jeunes femmes et des mères de victimes nous ont dit que des
touristes occidentaux louent des villas, où ils organisent des soirées
privées, explique-t-elle. Ils font boire les jeunes filles, ils les
droguent, et les livrent aux chiens; les rapports sexuels durent des
heures. A la fin de la soirée, les filles peuvent toucher jusqu'à
150.000 francs CFA [220 euros].»
Les acteurs X africains
s'exposent à de sérieux risques sanitaires, tout comme leurs collègues
occidentaux. Le port du préservatif est souvent interdit pendant les
tournages, et les tests VIH ne sont pas toujours obligatoires. De telles
pratiques pourraient alourdir le fardeau du sida en Afrique; selon un
rapport mondial du Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida,
22,5 millions de personnes sont déjà infectées dans les pays
subsahariens. Tau Morena a insisté pour que les préservatifs soient
visibles dans chaque scène de sexe de Mapona et de ses futurs films (y
compris Mapona, Volume 2, qui devrait sortir dans quelques mois).
Plus de chance hors d'Afrique?
André,
le jeune Ivoirien, ne pense pas vraiment aux risques. Il ne songe qu'à
sa carrière; une carrière qui pourrait, selon lui, sortir sa famille de
la misère. Fela entretient le même espoir. Cette Béninoise, mère d'une
petite fille de 5 ans, dit gagner entre 200 et 300 dollars par mois
(entre 138 et 206 euros) lorsque les affaires vont bien (elle organise
des évènements spéciaux dans les boîtes de nuit); 100 dollars seulement
les mois difficiles. Elle a donc décidé d'allier travail et plaisir.
«J'aime tout ce qui touche à l'érotisme, au sexe et à la séduction,
explique Fela, qui vit à Lomé, capitale du Togo, pays voisin du Bénin.
C'est comme une seconde nature. Mes amis font circuler des vidéos X
amateurs de moi, gratuitement, et j'espère qu'un jour quelqu'un me
remarquera et m'appellera pour faire un film.»
Ce n'est peut-être
pas la meilleure méthode. «J'ai échangé par email avec plusieurs
(prétendus) réalisateurs qui avaient vu mon annonce, m'explique André.
Ils m'ont demandé des photos de mon pénis. Je les ai envoyées, et je
n'ai plus jamais eu de leurs nouvelles...»
Diana, jeune femme de
28 ans, ne s'est jamais fait piéger de la sorte. Elle est mère
célibataire, comme Fela; elle aussi a bien du mal à subvenir aux besoins
de son enfant de 11 ans. Et comme Fela, elle souhaite travailler dans
le milieu du X pour «le plaisir et pour l'argent». Mais la Camerounaise,
qui vit aujourd'hui à Bata (deuxième ville de Guinée-équatoriale),
préfère attendre d'avoir des propositions sérieuses —et ce ne sera pas
forcément en Afrique. «Je me souviens d'un film ivoirien tourné dans le
bush. Tout était sale; il y avait des mouches partout... Je trouve que
les films occidentaux ont plus de classe.»
Koh Bela (par ailleurs
auteure d'un ouvrage, Mon combat contre la prostitution), confirme
cette observation. Elle a étudié des centaines de films pornographiques
africains —certains d'entre eux sont en vente dans le quartier parisien
de Château Rouge, qui abrite une importante communauté africaine.
«Les rares films de bonne qualité qui mettent en scène des acteurs
africains sont réalisés par des producteurs européens: ils sont souvent
français, hollandais ou allemands. Après avoir envahi Internet, ces
films trouvent leur place dans le marché des DVD. Les films produits en
Afrique sont en général si médiocres —à tout point de vue— qu'aucun
producteur d'envergure n'accepte de les distribuer.»
Voilà peut-être pourquoi certains jeunes assistent à des cours de pornographie informels.
«Il existe des cercles d'apprentissage à Douala et à Abidjan, révèle
Koh Bela. Des jeunes femmes se rendent dans des appartements prévus à
cet effet et regardent des films pour apprendre tous les types de
caresses, de positions sexuelles et de techniques pornographiques à
l'occidentale. Les "instructeurs" n'hésitent pas à donner des cours
pratiques aux jeunes filles. [...] Ils évaluent également les capacités
des hommes et des femmes.»
Est-ce là le meilleur moyen de percer
dans ce secteur? Pas forcément, selon Philippe Di Folco. «Les clients
recherchent le côté amateur. Aujourd'hui, les consommateurs apprécient
l'illusion du réalisme, parce que cela leur donne l'impression d'épier
la vie privée des gens; c'est comme s'ils étaient dans la chambre et
qu'ils assistaient aux ébats en direct.»
André, lui, s'appuie sur
l'expérience qu'il a acquise en visionnant des films et en lisant des
magazines. Il compte également sur la chance. Lorsqu'il discute de ses
rêves d'avenir avec ses amis —qui veulent eux aussi devenir acteurs X—,
les jeunes gens gardent espoir en songeant aux acteurs africains qui
sont parvenus à jouer, en France, dans des films pour adultes.
Habibou Bangré
Traduit par Jean-Clément Nau
http://www.slateafrique.com/1879/pornographie-afrique-la-possibilite-du-x
Copyright © Habibou Bangré, Kribi - Cameroun | 07-04-2013