Indépendance du Cameroun : Un petit rappel historique
Indépendance du Cameroun : Un petit rappel historique
Après la première guerre mondiale, le Cameroun -qui depuis 1884 était une colonie allemande- est mis par la jeune Société Des Nations sous mandat français et britannique. La charte des Nations Unies définit en son article 73 la colonie comme étant un territoire dont les peuples n´ont pas encore atteint l'autonomie complète. Ce qui laisse sous-entendre qu'il y a une puissance étrangère qui administre ce territoire. Formellement, une colonie se diffère d´un territoire sous mandat. Ce dernier est une institution créée par le pacte de la Société des Nations, conférant à certains États mandataires la mission d‘administrer et de protéger les colonies et les territoires appartenant aux empires centraux vaincus, afin de les amener progressivement à pouvoir se gouverner eux-mêmes.
Cette institution connaîtra (avec la création des Nations Unies en 1945) à nouveau un changement de nom après la seconde guerre mondiale pour devenir territoire sous tutelle. Le Cameroun aura donc fait l'expérience du régime de colonie, de mandat français et britannique, de tutelle française et britannique avant de devenir enfin indépendant le 1er janvier 1960.
L´indépendance peut être comprise comme une situation d´un pays ou d´un État qui n´est soumis à aucun pouvoir extérieur, autrement dit, qui jouit de sa souveraineté, de son autonomie. Voila pour ce qui est de la définition formelle ou juridique. Dans les faits cependant, l'indépendance semble un peu plus complexe compte tenu par exemple des différentes imbrications économiques entre les États ou du système économique mondial.
Le terme indépendance renvoie comme nous venons de le voir à un état. En d´autre terme, il serait plus judicieux pour mieux la comprendre à se référer à un processus à savoir celui de la décolonisation. Le régime colonial allemand bien que sollicité au départ par des dignitaires Douala -après leur échec chez la Reine Victoria d´Angleterre- ne connait pas une implantation pacifique lorsque les allemands cherchent à étendre leur contrôle direct à l’intérieur du pays. Malgré les résistances farouches, les allemands réussissent avec l'aide de certains chefs traditionnels -à l'instar du Sultan Bamoun Ibrahim Njoya, du chef supérieur des Ewondo Charles Atangana ou du Fon Galega Ier de Bali- à s´imposer et étendre leur hégémonie jusqu‘à la première guerre mondiale.
Cameroun après la première guerre mondiale
À partir de 1922, le Cameroun est soumis à deux systèmes de domination différents: d´un côté le système anglais qui s´étend sur une superficie de 88 036 km² avec 560 834 habitants divisée en deux régions administratives dont le Nord et le Sud. Le Cameroun du sud s’étendait de la côte jusqu‘à Nkambe et le nord commençait à la frontière de Nkambe jusqu’au lac Tchad. Cette Partie du Pays connaîtra une double administration indirecte (jusqu‘en 1954) dans la mesure où il est dirigé depuis le Nigeria et celui-ci est à son tour dirigé depuis Londres (indirect rule).
De l‘autre côté, on a un le système français qui domine la grande partie du Cameroun avec 431 845 km² de superficie pour 2 millions d’habitants. À la différence de la Grande-Bretagne, la France pratique une politique d’assimilation, c’est-à-dire une politique qui a pour but de mettre sur place un mode de pensée et un comportement propre à la culture française et de faire oublier la culture locale. Cette politique fait évidement face des réticences et refus ce qui amène la France à adopter d´autres modèles comme celui de l´association par exemple. Elle vise à se servir d’une partie de la culture, des lois et des coutumes camerounaises pour gouverner le pays. Il faut aussi noter que ces politiques sont parfois appliquées avec une brutalité inhumaine (cf. Code de l´indigénat).
Indépendance du Cameroun français
Le passage du Cameroun de la colonie à un État indépendant s´est opéré progressivement ce qui est plus ou moins en opposition avec la politique de l‘Union des Populations du Cameroun (UPC) créée en 1948 par le syndicaliste Ruben Um Nyobé. La remise progressive du pouvoir politique au Camerounais commence effectivement en 1945 lorsque Louis-Paul Aujoulat (1945-1955) et Douala Manga Bell (1945-1957) sont élus comme députés au parlement français. En même temps Soppo Priso devient membre de l‘Union française. Un an plus tard se constitue la première représentation des élus du peuple: l‘ Assemblée représentative du Cameroun (ARCAM).
Cette institution change de nomination en 1952 pour devenir l'ATCAM (Assemblée Territoriale du Cameroun). Quatre ans après, la France accorde au Cameroun son autonomie interne et cela conduit à un nouveau changement de la dénomination de la chambre des représentants qui devient l’Assemblée Législative du Cameroun (ALCM ). Entre temps, à savoir en 1955, le parti de Um Nyobe a été interdit après qu'il fut obligé d´utiliser la violence pour faire entendre son exigence de l‘unification du Cameroun Britannique et du Cameroun Français ainsi que l’indépendance immédiate. Il convient aussi de préciser que la violence comme stratégie de lutte pour l'indépendance n'est mise en œuvre que comme deuxième rempart alors que le combat intellectuel et pacifique fut au départ l'option la plus prisée. Par ailleurs, il semble aussi important de noter que contrairement à l'imaginaire collectif camerounais qui lie l'UPC -au regard son image actuelle- au peuple „Basaa“, l'UPC à l'origine est un parti transtribal. La résonance du mouvement dans l'ouest du Cameroun par exemple et ses grandes personnalités emblématiques le montrent très bien. Le soulèvement dans l'ouest du pays n'est pas considéré par tous comme mouvement indépendantiste.
Bouopda Pierre Kamé dans son récent ouvrage parle plutôt de rébellion de jeunes peu scolarisés et désœuvrés, que l'armée française a su mater. Au moins deux arguments parlent contre cette thèse. Ce serait une grande première dans l'histoire de l'humanité qu'une masse de personnes se mobilise juste par ennui, sans revendication quelconque. L'autre argument est comment expliquer par exemple les chants d'indépendance que les parents „Bamiléké“ (jeunes à l'époque) maitrisent parfaitement, si ce n'est qu'il y avait un enjeu politique dans leur soulèvement.
En 1957, André Marie Mbida est choisi pour devenir premier ministre avec Ahmadou Ahidjo comme adjoint. Ruben Um Nyobé écrit au premier ministre pour demander la levée de l’interdiction de son parti mais la demande est rejetée. L'UPC résolue à combattre est contrainte de ne agir que dans l´illégalité. Par conséquent, ses activités sont qualifiées comme terroristes par l‘équipe dirigeante sur place et en France. Cette situation conduit à ce que l´on appelle aujourd‘hui à juste titre „La Guerre oubliée du Cameroun“1. Cette guerre conduit à l‘assassinat de Um Nyobe et plus tard aussi de son remplaçant le Dr. Felix Moumié et à la mort des milliers de Camerounais. En 1958, Mbida démissionne et Ahidjo le remplace et devient ainsi le premier président de la République du Cameroun le 1er janvier 1960 date de son accession à l'indépendance.
Indépendance du Cameroun britanique
L'indépendance du Cameroun britannique s'opère différemment. Ce n'est à partir de 1954 qu'il se voit doté de sa propre administration dont la capitale est Buéa. Des partis politiques sont cependant crées depuis 1944 avec le National Council for Nigeria and Cameroon (NCNC), le Kamerun National Council (KNC) dirigé par le Dr. Endeley voit le jour en 1951. À cause sans doute du caractère étroit du Cameroun britannique se pose à l'indépendance le problème de son intégration soit au Nigeria, soit au Cameroun français. Le Dr. Endeley et son parti prônent pour une intégration au Nigeria ce qui pousse John Ngu Foncha à quitter le parti pour créer le Kamerun National Democratic Party (KNDP) en 1958. Ceci le conduit en 1959 au poste de second premier ministre du Cameroun Sud. Sous la proposition de l'Organisation des Nations Unies (ONU), un référendum est organisé et c'est ainsi que le Kamerun Nord se voit intégré au Nigeria (1er juin 1961) et le Cameroun Sud au Cameroun français déjà devenu République du Cameroun (1er octobre 1961).
Unification
La conséquence de ce dénouement se fait naturellement ressentir sur les institutions de la jeune République du Cameroun. Elle devient une République fédérale avec à sa tête Ahidjo comme président et Foncha comme Vice président. Les couleurs du drapeau reste inchangées, mais deux étoiles y sont ajoutées pour symboliser le fédéralisme. Le Franc CFA devient en 1962 monnaie officielle dans la fédération. Le président Ahidjo interdit le multipartisme et réunit ainsi tous les partis au sein de l´unique parti Union Camerounaise (UC) qui devient en 1966 Union Nationale Camerounaise (UNC). En 1965, Augustin Ngomjua succède à Foncha puis il cédera sa place 5 ans plus tard à Salomon T. Muna qui sera ensuite élu comme vice président de la république fédérale. Ce système fédéral trouvera sa fin le 20 mai 1972 suite à un référendum organisé par le président Ahidjo. Cette date fut retenue date de la fête nationale du Cameroun qui s'appelle dès lors «République Unie du Cameroun». Cette appellation va encore connaître un dernier petit changement le 4 février 1984 pour devenir jusqu'à nos jours „la République du Cameroun“. Il convient pour conclure de noter que l'unification du Cameroun est aujourd'hui contestée ou remise en cause par le Southern Cameroon National Council (SCNC), un „parti“ politique qui milite pour la sécession du Cameroun anglophone et la création de l'État indépendant d'Ambazonie. À cet égard, il a soumis une plainte qui suit son cours auprès des institutions internationales.
Comme il a été mentionné plus haut, l'indépendance est certes comprise comme un état, un moment qui marque une césure nette entre une période de colonisation et une période de souveraineté, mais il serait plus judicieux d'aller au-delà du caractère formel et juridique de l'indépendance. Les mécanismes coloniaux qui avaient été mis en place depuis plusieurs générations ne sauraient s'être évaporés avec l'accession à l'indépendance. Ces mécanismes sont politiques, économiques, juridiques, sociaux et même culturels. 50 ans après l'indépendance, la question que nous devrions nous poser est de savoir: Où en sommes nous avec l'éradication ou mieux avec la mise au tombeau des mécanismes coloniaux?
Sources
- Bouopda, Pierre Kamé (2008): De La Rébellion Dans Le Bamiléké, L'Harmattan.
- Michel, Marc (2007): La Guerre oubliée du Cameroun, in: L’Histoire n° 318, mars 2007, p. 50-53.
- Voir aussi le documentaire: Cameroun : "Autopsie d'une indépendance" sur France 5 du 23 juin 2008.