In memoriam: Il y a 20 ans disparaissait Mgr Albert Ndongmo
DOUALA - 30 Mai 2012
© Jean François CHANNON | Le Messager
Hier mardi 29 mai 2012, a été commémoré le 20è anniversaire du décès de celui qui avait été surnommé à cause de son engagement social aux côtés des plus faibles, «l'évêque du tonnerre». Aujourd'hui encore, son itinéraire continue d'inspirer foi et respect.
Le 26 mai dernier, le Saint Père a nommé deux nouveaux évêques au Cameroun. Il s'agit des Seigneurs Abraham Kome pour le tout nouveau diocèse de Bafang, et Dieudonné Espoir Atangana, qui va succéder à Mgr Dieudonné Watio à la tête du diocèse de Nkongsamba. Les deux hommes d'Eglise ont ceci de particulier qu'ils auront à jamais un lien fort avec le diocèse de Nkongsamba. Mgr Abraham Kome qui devient le tout premier évêque de Bafang, est l'ancien administrateur diocésain de Nkongsamba, qui est ailleurs son diocèse d'origine. Alors que Mgr Dieudonné Espoir Atangana, qui vient du diocèse d'Obala, sera le quatrième évêque de Nkongsamba, après leurs Seigneurs Bouque, Ndongmo et Kuissi, tous aujourd'hui, de regrettées mémoires.
Il y a en tout cas, une coïncidence de taille avec la nomination en ce mois de mai, de Mgr Dieudonné Espoir Atangana comme nouvel évêque de Nkongsamba. Car le mois de mai marque la commémoration de la mort de Mgr Albert Ndongmo. C'est en effet le 29 mai 1992, que l'un des plus charismatiques prélats que l'Eglise catholique ait connu au Cameroun, est décédé au Canada. Celui qui restera le deuxième évêque de Nkongsamba y vivait en exil depuis sa sortie de prison en 1975. Pour ceux qui ne le savent peut-être pas, ou à ceux à qui l'histoire contemporaine du Cameroun, grossièrement tronquée, refuse de le faire savoir, Mgr Ndongmo a été condamné à mort par le régime de Ahmadou Ahidjo, suite à ce qui a été appelé le procès de la Sainte de la Croix. Le régime suffisamment rude et barbare du président Ahidjo, dont l'actuel président du Cameroun était le fidèle collaborateur, reprochait alors à l'évêque de Nkongsamba des connivences réelles ou supposées avec les nationalistes camerounais qui luttaient pour une véritable indépendance du Cameroun, et l’émancipation dynamique du peuple camerounais. Condamné à mort en 1970, à l'issue d'un procès resté historique, Mgr Ndongmo a été incarcéré dans la très difficile prison politique de Tcholliré, dans le septentrion du pays, après un séjour dans la très tristement célèbre prison de la Brigade mixte mobile (Bmm) de Kondengui à Yaoundé, alors piloté par un certain Fochivé. Libéré sous la pression du Saint siège, Mgr Ndongmo a été contraint à l'exil, dans le froid canadien où il mourra en 1992.
Prélat Prophète
Entre temps, son premier retour en terre camerounaise s'est fait en août 1985, à l'occasion de la première visite au Cameroun du Bienheureux Pape Jean-Paul II. Mgr Albert Ndongmo avait précédé de quelques jours au Cameroun le Saint Père qui, dès sa descente d'avion à Yaoundé avait déclaré qu'il était venu au Cameroun entre autres pour réconcilier ses frères dans l'épiscopat. Il faut dire que l'arrestation, puis la condamnation suivie de l'emprisonnement et le départ forcé en exil de celui que l'on avait surnommé «L'évêque de tonnerre» avait profondément divisé l'épiscopat camerounais dont la figure de proue à l'époque était Mgr Jean Zoa, l'unique archevêque du Cameroun de cette époque. Même le peuple de Dieu était divisé. Et Mgr Gallina, le Prononce apostolique de cette période historique au Cameroun, en était d'ailleurs sidéré.
Ceux qui maîtrisent l'histoire de l'Eglise catholique au Cameroun depuis cette époque, affirment, à tort ou à raison que Mgr Albert Ndongmo semblait susciter une jalousie redoutable au sein de ses confères de l'épiscopat camerounais. Ceci par sa façon d'être. Notamment à travers sa volonté de lutter pour la libération morale et intellectuelle des Camerounais en général et les chrétiens de son diocèse en particulier.
La dignité par le travail
Au moment où, on parle aujourd'hui (enfin) de l'autofinancement des Eglises locales (confère la dernière Assemblée générale des évêques du Cameroun), Mgr Albert Ndongmo lui, était très en avance sur son temps. Avant les années 70, il avait déjà doté son Eglise des usines et autres structures industrielles de gestion et de création de richesse, pour non seulement donner des emplois aux Camerounais, mais surtout pour éviter la constante et honteuse attitude de mendicité des prélats des Eglises africaines vers les Eglises du Nord. Il appelait cela, «gagner sa dignité par le travail». Ne disait il pas encore que l'on ne peut pas conduire l'homme au ciel en ignorant qu'il vit sur terre? Plus encore, au sortir du Concile Vatican II (dont il a d'ailleurs été l'un des pères conciliaires) au début des années soixante, avec toutes les réformes engagées au sein de l'Eglise catholique, le débat sur l'inculturation du message évangélique et sur l'africanisation de l'Eglise qui a pris de l'ampleur à la fin des années 60, était même déjà désuet pour Mgr Ndongmo. Il avait déjà engagé ce processus dans son diocèse, à travers un système d'évangélisation qui amène le christianisme à pénétrer la culture africaine, à travers un dialogue de culture dynamique, à l'issue duquel seule la victoire reviendrait à Jésus-Christ, Fils du Dieu vivant, et Sauveur des hommes et du monde. Il savait aussi, en homme de Dieu au service de Dieu et des hommes, prendre position pour les pauvres et les groupes sociaux marginalisés, comme l'exige la doctrine sociale de l'Eglise. Même s'il lui arrivait d'avoir nécessairement à fréquenter les riches et les puissants de ce monde, tous ceux qui ont connu Mgr Albert Ndongmo que ce soit ceux qui l'admiraient ou ceux qui l'aimaient moins, sont unanimes: il savait adopter l'attitude prophétique nécessaire face aux puissants de ce monde. Comme le prophète Nathan qui a su rappeler à David sa faute, Mgr Albert Ndongmo prêchait à temps et à contre temps. Et c'est certainement pour cela qu'Ahmadou Ahidjo ne l’a pas apprécié au point de le faire embastiller. D'où son surnom de «L'évêque du tonnerre».
Au final, lorsqu'on observe aujourd'hui que certains prélats les plus en vue de l'Eglise catholique au Cameroun, multiplient les complicités avec les puissants de ce pays, et refusent de jeter le moindre regard aux pauvres qui sont quotidiennement écrasés par ces puissants, lorsque de manière ostentatoire, des évêques s'affichent dans la rue comme dans des cercles restreints avec les puissants et se retrouvent à dire des messes exclusives dans des domiciles privés de certains membres du sérail à la moralité douteuse, beaucoup de petits chrétiens en sont définitivement à croire que l'Eglise, hélas, est l'Eglise des riches et des puissants. Le petit peuple de simples chrétiens n'a que le rôle traditionnel d'assistance à la messe, de contributeur financier du dimanche et d'animateur du folklore ecclésial.
Une chose est certaine. 20 ans après sa disparition, un pasteur aussi prophétique que Mgr Albert Ndongmo continue de manquer le Cameroun.
© Jean François CHANNON | Le Messager
Hier mardi 29 mai 2012, a été commémoré le 20è anniversaire du décès de celui qui avait été surnommé à cause de son engagement social aux côtés des plus faibles, «l'évêque du tonnerre». Aujourd'hui encore, son itinéraire continue d'inspirer foi et respect.
Le 26 mai dernier, le Saint Père a nommé deux nouveaux évêques au Cameroun. Il s'agit des Seigneurs Abraham Kome pour le tout nouveau diocèse de Bafang, et Dieudonné Espoir Atangana, qui va succéder à Mgr Dieudonné Watio à la tête du diocèse de Nkongsamba. Les deux hommes d'Eglise ont ceci de particulier qu'ils auront à jamais un lien fort avec le diocèse de Nkongsamba. Mgr Abraham Kome qui devient le tout premier évêque de Bafang, est l'ancien administrateur diocésain de Nkongsamba, qui est ailleurs son diocèse d'origine. Alors que Mgr Dieudonné Espoir Atangana, qui vient du diocèse d'Obala, sera le quatrième évêque de Nkongsamba, après leurs Seigneurs Bouque, Ndongmo et Kuissi, tous aujourd'hui, de regrettées mémoires.
Il y a en tout cas, une coïncidence de taille avec la nomination en ce mois de mai, de Mgr Dieudonné Espoir Atangana comme nouvel évêque de Nkongsamba. Car le mois de mai marque la commémoration de la mort de Mgr Albert Ndongmo. C'est en effet le 29 mai 1992, que l'un des plus charismatiques prélats que l'Eglise catholique ait connu au Cameroun, est décédé au Canada. Celui qui restera le deuxième évêque de Nkongsamba y vivait en exil depuis sa sortie de prison en 1975. Pour ceux qui ne le savent peut-être pas, ou à ceux à qui l'histoire contemporaine du Cameroun, grossièrement tronquée, refuse de le faire savoir, Mgr Ndongmo a été condamné à mort par le régime de Ahmadou Ahidjo, suite à ce qui a été appelé le procès de la Sainte de la Croix. Le régime suffisamment rude et barbare du président Ahidjo, dont l'actuel président du Cameroun était le fidèle collaborateur, reprochait alors à l'évêque de Nkongsamba des connivences réelles ou supposées avec les nationalistes camerounais qui luttaient pour une véritable indépendance du Cameroun, et l’émancipation dynamique du peuple camerounais. Condamné à mort en 1970, à l'issue d'un procès resté historique, Mgr Ndongmo a été incarcéré dans la très difficile prison politique de Tcholliré, dans le septentrion du pays, après un séjour dans la très tristement célèbre prison de la Brigade mixte mobile (Bmm) de Kondengui à Yaoundé, alors piloté par un certain Fochivé. Libéré sous la pression du Saint siège, Mgr Ndongmo a été contraint à l'exil, dans le froid canadien où il mourra en 1992.
Prélat Prophète
Entre temps, son premier retour en terre camerounaise s'est fait en août 1985, à l'occasion de la première visite au Cameroun du Bienheureux Pape Jean-Paul II. Mgr Albert Ndongmo avait précédé de quelques jours au Cameroun le Saint Père qui, dès sa descente d'avion à Yaoundé avait déclaré qu'il était venu au Cameroun entre autres pour réconcilier ses frères dans l'épiscopat. Il faut dire que l'arrestation, puis la condamnation suivie de l'emprisonnement et le départ forcé en exil de celui que l'on avait surnommé «L'évêque de tonnerre» avait profondément divisé l'épiscopat camerounais dont la figure de proue à l'époque était Mgr Jean Zoa, l'unique archevêque du Cameroun de cette époque. Même le peuple de Dieu était divisé. Et Mgr Gallina, le Prononce apostolique de cette période historique au Cameroun, en était d'ailleurs sidéré.
Ceux qui maîtrisent l'histoire de l'Eglise catholique au Cameroun depuis cette époque, affirment, à tort ou à raison que Mgr Albert Ndongmo semblait susciter une jalousie redoutable au sein de ses confères de l'épiscopat camerounais. Ceci par sa façon d'être. Notamment à travers sa volonté de lutter pour la libération morale et intellectuelle des Camerounais en général et les chrétiens de son diocèse en particulier.
La dignité par le travail
Au moment où, on parle aujourd'hui (enfin) de l'autofinancement des Eglises locales (confère la dernière Assemblée générale des évêques du Cameroun), Mgr Albert Ndongmo lui, était très en avance sur son temps. Avant les années 70, il avait déjà doté son Eglise des usines et autres structures industrielles de gestion et de création de richesse, pour non seulement donner des emplois aux Camerounais, mais surtout pour éviter la constante et honteuse attitude de mendicité des prélats des Eglises africaines vers les Eglises du Nord. Il appelait cela, «gagner sa dignité par le travail». Ne disait il pas encore que l'on ne peut pas conduire l'homme au ciel en ignorant qu'il vit sur terre? Plus encore, au sortir du Concile Vatican II (dont il a d'ailleurs été l'un des pères conciliaires) au début des années soixante, avec toutes les réformes engagées au sein de l'Eglise catholique, le débat sur l'inculturation du message évangélique et sur l'africanisation de l'Eglise qui a pris de l'ampleur à la fin des années 60, était même déjà désuet pour Mgr Ndongmo. Il avait déjà engagé ce processus dans son diocèse, à travers un système d'évangélisation qui amène le christianisme à pénétrer la culture africaine, à travers un dialogue de culture dynamique, à l'issue duquel seule la victoire reviendrait à Jésus-Christ, Fils du Dieu vivant, et Sauveur des hommes et du monde. Il savait aussi, en homme de Dieu au service de Dieu et des hommes, prendre position pour les pauvres et les groupes sociaux marginalisés, comme l'exige la doctrine sociale de l'Eglise. Même s'il lui arrivait d'avoir nécessairement à fréquenter les riches et les puissants de ce monde, tous ceux qui ont connu Mgr Albert Ndongmo que ce soit ceux qui l'admiraient ou ceux qui l'aimaient moins, sont unanimes: il savait adopter l'attitude prophétique nécessaire face aux puissants de ce monde. Comme le prophète Nathan qui a su rappeler à David sa faute, Mgr Albert Ndongmo prêchait à temps et à contre temps. Et c'est certainement pour cela qu'Ahmadou Ahidjo ne l’a pas apprécié au point de le faire embastiller. D'où son surnom de «L'évêque du tonnerre».
Au final, lorsqu'on observe aujourd'hui que certains prélats les plus en vue de l'Eglise catholique au Cameroun, multiplient les complicités avec les puissants de ce pays, et refusent de jeter le moindre regard aux pauvres qui sont quotidiennement écrasés par ces puissants, lorsque de manière ostentatoire, des évêques s'affichent dans la rue comme dans des cercles restreints avec les puissants et se retrouvent à dire des messes exclusives dans des domiciles privés de certains membres du sérail à la moralité douteuse, beaucoup de petits chrétiens en sont définitivement à croire que l'Eglise, hélas, est l'Eglise des riches et des puissants. Le petit peuple de simples chrétiens n'a que le rôle traditionnel d'assistance à la messe, de contributeur financier du dimanche et d'animateur du folklore ecclésial.
Une chose est certaine. 20 ans après sa disparition, un pasteur aussi prophétique que Mgr Albert Ndongmo continue de manquer le Cameroun.