Il ya 40 ans: Remember Ouandié
Avec l'assassinat d'Ernest Ouandié, président du Comité révolutionnaire de l'Upc, Ahidjo termine le travail de liquidation physique des dirigeants du nationalisme kamerunais, commencé en 1955 par les colonialistes français.
C'est en effet en 1955 que la France coloniale, dirigée par le Parti socialiste, décide d'en finir avec l'Upc, parti qui prône l'indépendance immédiate et la réunification du Kamerun. Comme le démontrent deux excellents ouvrages : "Le Mouvement Nationaliste Kamerunais" de Richard Joseph et "Kamerun, 1948 – 1971, la guerre cachée aux origines de la Françafrique " de Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa, l'Administration coloniale française organisa une vaste provocation aux quartiers Congo et New-Bell à Douala où l'Upc avait son siège et de solides implantations militantes ; à la suite de quoi, l'armée coloniale fit des centaines de morts dans ce qu'il convient de qualifier de massacre. Le 13 juillet, l'Upc était déclarée interdite sur toute l'étendue du territoire kamerunais, sous administration coloniale française. Acculée, l'Upc n'avait d'autre choix que la clandestinité et la résistance armée. La France mit donc en œuvre son plan de massacres et de liquidation physique des dirigeants de l'Upc. Les pays bassa et bamiléké furent bombardés, parfois au napalm, de nombreuses populations civiles y furent tuées au prétexte qu'elles étaient complices des résistants que la propagande française qualifiait de « maquisards ». Pendant que les troupes coloniales françaises et plus tard franco-ahidjoiennes massacraient les populations en pays bassa et bamiléké et à Djoum, les dirigeants historiques de l'Upc étaient systématiquement assassinés.
Ce fut d'abord Ruben Um Nyobé en septembre 1958, ensuite Félix-Roland
Moumié en novembre 1960, après Osendé Afana en mars 1966 et enfin
Ernest Ouandié le 15 janvier 1971. Telle est la vérité historique, celle
que les livres d'histoire officielle enseignée à notre jeunesse,
refusent de révéler. La France coloniale et leur pion Ahmadou Ahidjo ont
mis en œuvre un plan minutieusement préparé de massacre de populations
kamerunaises et de liquidation physique des dirigeants historiques de la
lutte pour l'Indépendance et la Réunification du Kamerun.
Il
convient de signaler à ce niveau que malgré l'indépendance proclamée en
1960, la France a continué d'entretenir une forte présence armée au
Kamerun et a ainsi encadré l'armée néo-coloniale d'Ahidjo dans ses
expéditions sanglantes contre les populations.
L'arrestation, le procès et l'assassinat du président Ouandié
Au
mois d'août 1970, Radio-Cameroun annonce l'arrestation d'Ernest Ouandie
et de ses compagnons Njassep, Takala, Nganya etc., mais plus
curieusement de Monseigneur Albert Ndongmo. La propagande d'Ahidjo est
en marche. Ouandie et ses compagnons sont présentés comme des rebelles
qui ont fomenté, avec la complicité de Mgr Ndongmo, un coup d'Etat ! Ils
seront donc jugés pour atteinte à la sécurité de l'Etat. Mais avant
cela, la police politique d'Ahidjo dirigée par le sinistre Fochivé a
fait placer des affiches sur tous les bâtiments publics où il est
annoncé qu'Ernest Ouandié, chef rebelle, appelle ses partisans à déposer
les armes et à se rallier au gouvernement Unc. Il s'agit bien
évidemment d'une grossière manipulation qui avorta d'ailleurs. Ouandié,
pendant ce temps, est sauvagement torturé au Sedoc (police politique de
M. ahidjo) par Fochivé. Ce dernier tente d'obtenir la reddition du chef
historique de l'Upc. En vain. Ahidjo décide alors d'organiser le procès
contre Ouandié et Ndongmo. Le procès sera baptisé « Procès de la Rébellion ».
Quatre personnages vont être désignés par Ahidjo pour animer une
campagne mensongère et haineuse contre les Bamilékés, dans les
établissements d'enseignement supérieur où l'Upc et le Manidem ont de
très nombreux sympathisants et dans l'Eglise Catholique où l'influence
de Mgr Ndongmo est grande. Les quatre personnages sont : Gibering Bol
Alma, directeur de l'Ecole Nationale d'Agriculture, Ebénézer NJoh
Mouellè et Martin Eno Beunga respectivement professeurs de philosophie
et de géologie à l'université de Yaoundé et Mgr Jean Zoa, archevêque de
Yaoundé. Une observation s'impose à ce niveau. Jusqu'à son départ de la
présidence de la République , Ahidjo a justifié les massacres des
populations en pays bassa et bamiléké et son refus de la démocratie et
du multipartisme, par sa détermination à bâtir un pays uni, les
nationalistes révolutionnaires étant présentés comme des assoiffés de
pouvoir, prêts à mettre le pays en lambeaux. La mystique de l'unité
nationale a nourri la propagande du régime sanguinaire de M. Ahidjo.
Malgré donc cet acharnement pour l'unité du pays, Ahidjo n'a pas hésité à
lancer une campagne tribaliste haineuse contre une frange importante de
la population, nos frères Bamiléké, lorsqu'il s'est agit de condamner
deux éminents fils de ce peuple.
Bien qu'ayant fait prisonnier le
chef révolutionnaire, Ahidjo continue d'avoir peur. Il va donc envoyer à
Paris des émissaires s'enquérir de la position de Georges Pompidou,
président de France, par rapport aux peines qu'il entend infliger à
Ouandié et à l'évêque Ndongmo. Pompidou fait savoir que l'exécution de
Mgr Ndongmo serait très mal perçue par le Vatican ; il recommande la « prudence »,
d'autant plus que Ndongmo n'est considéré que comme complice, au départ
animé de bonnes intentions puisque chargé par Ahidjo d'amener Ouandié à
abandonner la lutte armée, mais ayant par la suite succombé au charisme
du révolutionnaire qu'il se mit à protéger et à aider. Le procès a donc
lieu au tribunal militaire de Yaoundé. C'est un simulacre de procès où
les accusés découvrent, à la barre, qu'ils préparaient un coup d'Etat.
Ouandié déclare qu'il ne sait pas de quoi on parle ; le dossier
d'accusation est vide ; Ouandié malmène le commissaire du gouvernement. A
la fin du procès, les peines sont prononcées : Ouandié est condamné à
mort, Ndongmo à perpétuité. La peine de Ndongmo va être renégociée par
le Vatican et il sera exilé au Canada. Ouandié, lui, sera assassiné sur
la place publique à Bafoussam le 15 janvier 1971. Il refusera de se
faire bander les yeux au moment où le peleton d'exécution délivre la
salve de balles sur lui. Cette image marquera à jamais ceux qui ont eu
le courage d'assister à l'assassinat du président Ouandié.
Ouandié,
c'était le courage et la détermination. Lorsque Moumié est assassiné en
1960, Ouandié prend la décision de rentrer au pays poursuivre la lutte
armée contre le régime fantoche d'Ahidjo. Il est prévenu des difficultés
d'implanter un mouvement armé à l'Ouest du Kamerun vu les énormes
moyens militaires et logistiques que la France offre à Ahidjo pour
écraser le mouvement nationaliste kamerunais. En septembre 1962, Ouandié
a tant et si bien travaillé qu'il peut réunir une assemblée sous
maquis. Le Comité Révolutionnaire naît. Ouandié en est élu président et
la lutte peut repartir sur de nouvelles bases. Malgré le changement de
contexte géopolitique, le renforcement de la dictature militaire du
régime de M. Ahidjo appuyé par la France gaulliste, Ouandié et le Comité
Révolutionnaire mèneront une guerre acharnée contre l'armée
néocoloniale. La ténacité de son combat, Ouandié la devait à des
qualités exceptionnelles de chef courageux, déterminé et profondément
révolutionnaire. Lorsque Ouandié tombe en 1971, Ahidjo et Pompidou
crient à la victoire. Pompidou rend d'ailleurs une visite officielle à
Ahidjo et en profite pour le féliciter. Ahidjo ne vient-il pas de
vaincre la « rébellion » ?
Quelle ne sera pas la
surprise des néo-colons lorsque dès 1973, les étudiants de l'université
de Yaoundé, les dockers du port de Douala entament des grèves et font
circuler des tracts appelant à la fin de la dictature et au retour de
l'Upc !
En 1974, le Comité Révolutionnaire de l'Upc dirigé par
Woungly Massaga et Ndoh Michel, survivants de l'époque héroïque de la
guerre de libération, lancent l'initiative baptisée Manidem, front de
lutte qui regroupera autour de l'Upc tous ceux qui veulent en finir avec
la dictature ahidjoiste. Comme on peut le constater, durant cette
période où la lutte pour la libération du Kamerun du joug néo-colonial
fait rage, on n'entend pas parler de Kodock Bayiha, ni de Hogbé Nlend,
ni de Dicka Akwa, les trois imposteurs qui apparaîtront comme par
enchantement en 1990 et en 1991 pour occuper les rangs de dirigeants de
l'Upc regalisée ! Imposture, imposture, imposture !
Le Manidem
conduit donc la lutte de libération, dans sa nouvelle phase. En 1976,
Douala et Yaoundé sont secouées par les grèves dans les établissements
d'enseignement secondaire, à L'Université et au Port de Douala. Les
tracts qui circulent portent la signature du Manidem. Ahidjo enrage et
perd le sommeil ; il pensait en avoir fini avec le mouvement
nationaliste et l'Upc, mais c'était sans compter avec la prédiction de
Ouandié : « le sang des martyrs est une semence qui nourrit la révolution ». Il conclura par cette phrase devenue célèbre : « l'Upc est comme un roseau, elle plie mais ne rompt point ».
Le président Ouandié avait raison : la lutte du Peuple Kamerunais ne
s'est jamais interrompue, elle se poursuit et se poursuivra jusqu'à la
libération totale du Kamerun et de l'Afrique du néo-colonialisme.