Il y a 49 ans, Ahmadou Ahidjo se dotait des pleins pouvoirs grâce auxquels il a instauré la dictature au Cameroun (suite)
M. le Premier ministre : Il me suffit de dépasser Mbida.
M. Tsalla Mekongo Germain : Vous ne vallez même pas Mbida.
Vous ne pouvez encore moins le dépasser !
Akono Claude : Vous êtes impopulaire, M. le Premier
ministre…
M. Tsalla Mekongo Germain : Dans le domaine politique, j’ai signalé déjà que les circonstances qui ont porté
le général de Gaulle au pouvoir ne sont pas les mêmes que celles qui
sont actuellement connues au Cameroun.
En effet, la France était
menacée d’une guerre civile du fait du mauvais fonctionnement
de ses institutions, du mauvais système que vous connaissez. (…) Il fallait donc sauver la situation et personne,
jusque-là, n’y était arrivé. C’est alors que le peuple français
fit appel à son ancien libérateur … je dis bien « le peuple français »
- pour le sauver du danger d’anarchie dont il était menacé. Et
cependant, bien que sollicité par le peuple lui-même, De Gaulle n’a pas abusé de sa position pour demander les pleins
pouvoirs, il n’a demandé que des pouvoirs spéciaux pour mener à
bien la tâche pour laquelle il avait été appelé.
Au Cameroun, la
situation actuelle s’est aggravée par l’action du gouvernement qui fait
la sourde oreille à toutes les suggestions qui lui sont faites en vue de
dénouer la crise. Le peuple demande l’amnistie totale et
inconditionnelle, de nouvelles élections avant le 1er janvier 1960 sous
le contrôle de l’ONU, et le rétablissement des ligues dissoutes et
toutes les libertés démocratiques.
Ce qui est le plus absurde, c’est qu’au moment même où le peuple
camerounais ne veut plus sentir le gouvernement Ahidjo, c’est à ce moment précis que celui-ci sollicite les
pleins pouvoirs…
Dans la salle : Pauvre peuple !
M. Tsalla Mekongo Germain : Avec cela, il veut se comparer à
De Gaulle, à la France. Il faut être aveugle pour ne pas voir que ces
mesures sont dictées à M. Ahidjo par la France, directement ou
indirectement.
M Akassou : Ce n’est pas vrai !
M. Tsalla Mekongo Germain : Ainsi notre Premier ministre
accepte de jouer le rôle d’un instrument entre les mains de
la France pour la destruction et le malheur de son propre pays.( …) Parlant d’argent, la France, pour réaliser
ses desseins, emploie à prix d’argent nos propres compatriotes
qui acceptent ainsi de vendre le pays, de vendre leurs semblables, se
faisant des Judas. L’écriture sainte pose cette question aux fidèles : «
que sert à l’homme de gagner l’univers s’il vient à perdre son âme ? » Je poserai moi aussi
cette question : « que sert à un député, à un ministre, de gagner des
millions de francs pour prix de son pays si, en fin de compte, il perd
son âme ? »(…) Les conséquences résultant des pleins pouvoirs
sollicités par M. le Premier ministre Ahidjo … mesures dictées … ont principalement pour but de
lui permettre d’abord d’être en place le 1er janvier 1960
afin de signer avec la France toutes les conventions et tous les traités
réalisant l’intégration du Cameroun dans la Communauté, sans
que ces conventions et ces traités subissent la sanction de l’Assemblée législative ou nationale…
M. Soppo Priso : Très bien !
M. Tsalla Mekongo Germain : …de lui permettre ensuite de préparer une loi
électorale … si elle est préparée … en son unique faveur, lui assurant toujours une
majorité à l’Assemblée, de préparer une constitution qui lui
assure toutes les garanties d’être président de la République,
si nous en avons une, enfin d’exercer librement un pouvoir
personnel, une dictature qui ne souffre d’aucun contrôle, puisque les deux pouvoirs, le
législatif et l’exécutif, lui reviennent ; de procéder à l’extermination des populations des départements du
Centre, du Sud et de l’Ouest du pays en même temps qu’il procèdera à l’élimination de toutes les valeurs
de ces localités qui refuseraient de l’applaudir, de peur de souffrir
une concurrence.
Voilà, chers
compatriotes, le sort qui sera bientôt le vôtre, si vous en êtes avisés,
nous en vivons déjà beaucoup d
Quant au peuple camerounais, il n’a jamais réclamé l’intervention de M. le Premier
ministre Ahidjo par un mouvement spontané, comme le peuple français l’a fait le 13 mai 1958 en faveur du général de
Gaulle. C’est donc la majorité que M. le Premier ministre
veut exploiter pour asseoir ses desseins d’hégémonie sur tout le Cameroun. Désormais, il
entend régler tout à sa guise, la loi électorale sera élaborée à son
avantage, à son avantage également sera rédigé la constitution. Pour des
motifs obscurs, il précipitera et noiera dans la Communauté française l’indépendance naissante du Cameroun. C’est une forme voilée mais réelle de dictature.(…) Quant à nous, nous nous refusons à vendre à un
seul homme les pouvoirs que nous avons reçus de la tutelle et du
peuple.(…) Le peuple veille, il saura briser ce moule et
réformer à fond tout ce qui est issu d’une dictature extorquée.
M.
Akono : M. le président, messieurs les députés, à l’occasion de la discussion de ce projet de loi
déposé par le gouvernement Ahidjo, tendant à obtenir le transfert en ses
mains des pouvoirs législatifs que nos populations nous ont confiés, il
ne serait pas superflu de répéter ici ce que je vous ai déjà dit, le 16
mai dernier, lors des débats en cette enceinte des projets sur le
maintien de l’ordre public. Je m’exprimai notamment ainsi : «
lorsque le chef de l’Etat aura compris que le pouvoir n’est pas l’extension d’une influence personnelle …. qui dit pouvoir dit servir … et dans la démocratie, le pouvoir appartient au
peuple qui le délègue à des représentants ». Or, nous constatons que le
gouvernement actuel ne voudrait pas être contrôlé ni par les députés,
qui ont investi son Premier ministre, ni par le peuple camerounais à qui
appartient la souveraineté. Il s’agit donc d’éviter l’instauration d’un régime totalitaire et fasciste dans notre pays en ne concentrant pas entre les mains d’une seule personne, tous les pouvoirs exécutifs et
législatifs, que d’ailleurs a bien séparé nettement la loi organique
du 18 février 1959. On pourrait peut-être le faire sans inconvénient si
le chef du gouvernement camerounais actuel jouissait de l’estime de ce peuple souverain. Or, ce dernier ne
veut plus de cette équipe à la tête de l’exécutif.
M. Amougou
Nguelé Paul : M. le Premier ministre est le chef du gouvernement
camerounais, il est le premier citoyen de notre Etat, tout est entre ses
mains, que cherche-t-il encore ? (Rires).
M. le Premier ministre Ahmadou Ahidjo : M. le président,
messieurs les députés, dans l’exposé des motifs qui accompagne
le projet de loi sur les pleins pouvoirs, le gouvernement a indiqué d’une façon claire les raisons qui l’ont poussé à solliciter de votre assemblée ces
pleins pouvoirs. Aussi, je ne m’étendrai pas pour répondre aux
orateurs qui ont pris la parole avant moi.
Plusieurs d’ntre eux ont prêté au gouvernement, et à moi
spécialement, de noirs desseins. Je ne voudrais pas répondre
individuellement à ces orateurs qui m’ont qualifié de dictateur ou de
candidat dictateur. Mais, je retiens qu’un de ces orateurs a décrit cette
dictature avec une éloquence à laquelle je me plais à rendre hommage :
je vais citer M. Kemajou qui l’a dépeinte avec brio et fougue.
Mais si cette éloquence confirme ce que nous savons déjà quant à sa
culture et à sa vigueur, elle prouve aussi que M. Kemajou a traité d’un problème qu’il connaît très bien, car j’avais l’impression, tout à l’heure, que M. Kemajou voulait décrire à l’assemblée de l’empire Bazou, à la tête duquel il
se trouve ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union Camerounaise, d’Action Nationale, de l’intergroupe des non-inscrits et de M. Djoumessi).
En tout cas, M. le président, messieurs, encore une fois le gouvernement
n’a aucun noir dessein. C’est pour continuer à oeuvrer, dans la mesure de nos compétences et de nos
moyens, dans l’intérêt du pays, c’est pour cela uniquement que nous
avons demandé ces pleins pouvoirs, en tenant compte de la situation
exceptionnelle que traverse notre pays.
On a dit et répété que
tout le peuple camerounais n’était pas pour l’octroi de ces pleins pouvoirs, on a parlé de
télégrammes… J’ai reçu aussi des télégrammes et
des lettres de Camerounais qui sont contre ces pleins pouvoirs. J’ai reçu, comme tous les députés et les ministres,
des lettres de menaces, bien sûr. Mais, je crois qu’il n’est pas bon qu’un orateur, quelle que soit sa popularité, vienne
déclarer ici sans aucune preuve que toutes les populations du Cameroun
sont contre ces pleins pouvoirs. Qu’il y ait des Camerounais contre
ces pleins pouvoirs, c’est certain et c’est normal.
Ce que nous souhaitons, ce que le gouvernement souhaite, c’est que, le jour où nous qui sommes au pouvoir,
avec nos défauts et nos qualités, ne serons plus là, il y ait un
gouvernement qui ne soit pas officiellement approuvé par tout le peuple
sans exception, car les gouvernements apparemment approuvés par tout le
peuple, l’histoire est là pour le démontrer, sont des
gouvernements de dictature dont on parlait tout à l’heure.
Ont voté pour les pleins pouvoirs :
MM. Aboubakary,
Ahanda, Ahidjo, Akassou, Amaoua, Assale, Babalé, Behlé, Bétoté Akwa,
Biyo’o bi Olinga, Bouba, Bouhari, Champeau, Daicréo,
Dja-farou, Djoumessi, Ekwabi Ewané, Gueimé, Guyard, Iyawa, Kakiang,
Kamga, Lagarde, Lamine, Mabaya, Maigari, Malam Yéro, Marigoh, Marouf,
Medou, Minjos, Mohamadou, Moussa, Ndibo, Nembot, Ngaba, Ngayewang ,
Ninekan, Njiné, Njoya, Ntonga, Obam, Okala, Sanda, Seidou, Sissoko,
Souaibou, Talba, Taousset, Yadji.
Ont voté contre :
MM.
Akono, Amougou, Inack, Kémajou, Lontsi, Mballa, Mbong, Ndoudoumou, Soppo
Priso, Tsalla Mekongo, Yakana.
Se sont abstenus :
MM.
Dissaké, Python.
Ndlr: Le titre initial est bel et bien; 29/10/1959 29/10/2008 : Il y a 49 ans, Ahmadou Ahidjo se
dotait des pleins pouvoirs grâce auxquels il a instauré la dictature au
Cameroun
© Correspondance de : Enoh Meyomesse, Candidat à l’élection présidentielle de 2011
Paru le
29-10-2008 12:47:58
camer.be
’exemples depuis quelque temps. Mais, qui d’entre vous ignore le sort qui a toujours été celui des dictateurs et de leurs apprentis?
Chers collègues, sachez dire non à la tyrannie, au pouvoir personnel, et ne pas vous amuser à voter ce projet de loi diabolique.
M. Yakana : Je vous répéterai ce que l’on dit aux sourds, que fait-on avec les sourds? C’est qu’à chaque fois et plusieurs fois, il faut leur répéter la même chose (Applaudissements des Démocrates camerounais). La nécessité de l’octroi des pleins pouvoirs n’est démontrée ni par les événements, ni par la volonté du peuple. Le Premier ministre, dans son discours du 20 octobre, a affirmé que le gouvernement camerounais disposait de moyens efficaces pour juguler la rébellion et vaincre le terrorisme.
’en abuser. (Rires des Démocrates camerounais). C’est une pente inéluctable, ils sont obligés de « jouer au dur », pour prouver à eux-mêmes et aux autres une supériorité qu’ils ne possèdent pas (Applauidissements des Démocrates camerounais et des députés du Nyong et Kelle).
Le pouvoir qui n’est pas sûr de lui est forcément tyrannique (…)
M. Lamine : Evidemment, rien n’est bon parce que ce n’est pas M. Kemajou qui décide.
M. Kemajou : (…) Le 1er janvier 1960, le gouvernement Franco-Ahidjo nous promet une situation politique des plus troubles, une économie savamment désorganisée, une situation sociale dramatique, des dettes partout. On peut d’ores et déjà juger de ce que sera la reddition des comptes entre le tuteur et le Cameroun devenu majeur.
’octroi des pleins pouvoirs. M. le Premier ministre Ahidjo veut ressembler au général de Gaulle, mais, je pense, quant à moi, que M. Ahidjo ressemble davantage au maréchal Pétain. En effet, pendant la dernière guerre mondiale, le maréchal Pétain n’avait obtenu les pleins pouvoirs que pour livrer la France à l’occupation allemande, donc à l’ennemi. M. Ahidjo veut, lui, nous livrer aux horreurs du colonialisme. Et quand le général de Gaulle demandait les pleins pouvoirs, il était, lui, soutenu dans son action par 80% des Français, par l’enthousiasme populaire.
’un marasme durable sans critique possible des élus du peuple écartés pour six mois, multiplication des faillites de nombreuses entreprises et commerçants : mauvais départ, n’est-ce pas ? Célébration des fêtes de l’indépendance, le 1er janvier 1960, sous une dictature sans dynamisme et dans le trouble des esprits. Le peuple perdra ses illusions et son enthousiasme, l’inquiétude sera confirmée, risque de préparation d’un 18 Brumaire par l’abandon du régime démocratique, qui sera suivi d’un césarisme pure et simple.
…ou des gendarmes (Applaudissements des Démocrates camerounais).
’être purement et simplement répudiés. En effet, le bilan de la situation actuelle montre que le gouvernement Ahidjo a eu les moyens de rétablir le calme dans le pays, de résoudre le problème du terrorisme, et ne l’a pas résolu, n’en ayant pas étudié les causes d’une façon suffisamment intéressée, approfondie et objective.