Il y a 25 ans Jean Baptiste Sipa conseillait au président Biya de sanctionner sévèrement les fonctionnaires indélicats

Publié le 9-07-2013  |  (Yaoundé - Cameroun). Auteur : Jean Baptiste Sipa

C’est en regardant le président Paul Biya déclarer à la télévision qu'« aucun Camerounais n'a plus à prendre le maquis pour exprimer ses opinions » que m'est venue l'idée de ce dossier. Créditant le chef de l'Etat camerounais d'une bonne foi que l'on peut difficilement mettre en doute, il m'a paru amusant de susciter un dialogue informel avec des intellectuels, de manière à lui by Savings Wave">offrir, sinon des sujets de réflexion, du moins des pistes de recherche. Idée farfelue, reconnaissons-le, que de poser la question suivante à des gens dont on connaît le détachement par rapport à la politique (détachement qui confine parfois au mépris) : « Si le président Biya vous téléphonait, un soir, pour vous demander conseil, quelles suggestions lui feriez-vous pour sortir le Cameroun de la crise économique ?

 

Comme un jeu, l'idée a séduit la plupart des personnalités sollicitées ;
une seule d'entre elles s'est refusée à se prêter à cette petite fiction. Précision de taille : aucun critère scientifique n'a été retenu dans l'élaboration de l'échantillon. J'ai parcouru mon carnet d'adresses au hasard de mes amitiés et de la disponibilité des uns et des autres, me refusant à équilibrer les divers points de vue, mettant seulement un point d'honneur à écarter ceux qui me paraissaient politiquement trop typés, pour que cette fiction reste crédible. Avantage de ce choix : il apporte des contributions variées et originales d'horizons intellectuels très différents. Inconvénient majeur : une profonde inégalité dans les niveaux de traitement du sujet, qui peut donner une impression de disparité, voire de désordre.


Évidemment, pour des raisons de place et de temps, nous n'avons pu publier toutes les réponses reçues. Mais ce dossier n'est ni exclusif, ni définitif. Toutes les réactions sont les bienvenues.


Voici donc un florilège des propositions originales. N'ayons pas peur des mots - représentant un large éventail de sensibilités. Il y a peu de chance que le chef de l'État camerounais me téléphone pour me demander conseil. Si, un jour, il le fai¬sait, je lui recommanderais deux choses : d'abord, qu'il lise attentivement et exploite les contributions rassemblées dans ce dossier ; et en¬suite qu'il consacre l'enveloppe budgétaire réservée à la Défense... à l'éducation des femmes ! Ving cinq ans après peut-on dire que le président a écouté. Écrivez-nous. ICICEMAC.COM ouvre le débat. Nous vous livrons ce jour les conseils du journaliste vedette du Messager, Jean Baptiste Sipa.


JEAN-BAPTISTE SIPA, journaliste vedette du Messager.

Je crois fondamentalement que les idées que le président a résumées dans son projet de société, intitulé le « Libéralisme communau¬taire », sont très bonnes. Ma première suggestion serait donc de sauve ces idées, de les protéger contre les Camerounais et contre lui-même... Il faut savoir qu'il existe deux Cameroun : l'un, constitué par la masse, la nation profonde, la société civile ; l'autre regroupant la minori¬té des nantis, des officiels et des personnalités, bref le sérail politico-administratif. Paradoxalement, la société civile adhère aux idées dé¬fendues par Paul Biya, alors que la majorité des membres du sérail s’y sont opposée. Et comme le pouvoir est actuellement détenu par cette deuxième catégorie, il me paraît urgent de préserver l'ambition du pro¬jet de société du Renouveau.


Pour cela, le président de la Répu¬blique doit nécessairement mener deux actions : d'abord, libéraliser vraiment, procéder à une réforme politique touchant les comportements, le système électoral et per¬mettant à la société civile d'accéder réellement à la parole. Ensuite, in¬troduire dans la gestion quotidienne de la nation la pédagogie de la sanc¬tion. L'objectif étant de faire en sorte que tous ceux qui commettent des fautes vis-à-vis de la nation les paient.


Tant qu'on ne sanctionne pas systématiquement les fautifs, personne ne se sent astreint à la discipline;. Prenez, par exemple, le statut de la fonction publique, qui garantit, la stabilité de l'emploi. Comment vou¬lez-vous que les gens soient à l'heure au travail si leur absence n'est pas sanctionnée ? L'impunité est la loi qui régit le comportement des fonc-tionnaires camerounais, ce qui est incompatible avec les notions de ri¬gueur et de moralisation.

Sur le plan économique, je lui donnerais trois conseils. Avant tout autre chose, je lui demanderais de se réconcilier avec la société des affaires. Contrairement aux recomman¬dations du discours politique de Biya, l'entrepreneur au Cameroun est une espèce de gibier traqué par l'administration. Soupçonné, sanc¬tionné, persécuté, l'opérateur écono¬mique est contrôlé avant même de démarrer son affaire.

Qu'un créateur d'entreprise, soumis à un agré¬ment préalable, ne l'obtienne jamais avant un ou deux ans de déprécia¬tion du capital de lancement, ce n'est pas normal. Il n'y a pas de jus¬tification philosophique à cette bar¬rière initiale. Tout agent économi¬que, même le plus petit bayam-sellam [vendeur à la sauvette], fait vivre au minimum une dizaine de personnes par son activité. Pourquoi le pénaliser en permanence, le sou¬mettre à des autorisations de toutes sortes, alors que tout le monde y gagne ?

Je proposerais également la dérégle¬mentation, la libération de notre économie, qui est actuellement sous l'emprise de l'administration. Les fonctionnaires, qui ne vivent pas en-core la crise, se construisent des théories imaginaires à partir de leurs lectures ou de leurs fantasmes et pondent des textes pour régle¬menter une activité économique dont ils ne connaissent pas les contraintes.

Enfin, il faut instaurer un grand débat national réunissant les intellectuels, les hommes d'affaires, les hauts fonctionnaires, les syndicats, etc. Les discussions déboucheraient sur un rapport de synthèse et l'adop¬tion de nouvelles lois réformant l'en¬vironnement politique et économi¬que.

 Copyright © Jean Baptiste Sipa, Yaoundé - Cameroun  |  9-07-2013

Source : JEUNE AFRIQUE ÉCONOMIE 126 – DEC 1990




14/07/2013
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