Né
le 30 juin 1932, décédé le 7 octobre 2001, Mongo Beti a vécu 69 ans
d’une vie intense et à plus d’un point de vue exemplaire. Pourfendeur du
colonialisme et du néocolonialisme à travers une écriture multiforme,
il s’est particulièrement illustré dans sa critique sans concession de
la « françafrique », et dans ce sens, son ouvrage La France contre
l’Afrique (1993) apparaît de par son simple titre comme tout un
programme. Lorsque l’on scrute l’œuvre gigantesque de Mongo Beti de son
vrai nom Alexandre Biyidi Awala, l’on ne peut ne pas être surpris par
la diversité des formes d’écriture et d’engagement, la constance des
prises de position sur une durée remarquable, la fidélité à des
thématiques qui n’ouvrent que très rarement les portes capitonnées de la
gloire et de la richesse dans un monde dominé par l’ordre marchand.
Avec le talent qu’il avait et la colère qui l’habitait en moins, Mongo
Beti eût pu se mettre au service de l’ordre mondial établi ou de sa
succursale locale et, nul doute, les trompettes de la renommée et de la
richesse eussent longuement retenti pour lui. Heureusement, il avait
trop de génie pour copiner avec l’ignorance et la bêtise, et ne pouvait
ignorer la fragilité des splendeurs qui passent. Il n’avait cependant
pas construit son œuvre dans une hantise de la postérité : ce qui semble
avoir importé le plus pour lui tout au long de sa vie, et dont il
parlait avec une insistance obsessionnelle, c’est la misère de ses
contemporains. Viscéralement, Mongo Beti aura été un écrivain de son
temps, dans le sens que Jean-Marie Gustave Le Clézio donnait à ce mot
lorsqu’il disait de Sartre qu’il était contemporain parce que : « Il a
incarné ce siècle, souffert ce siècle, agi ce siècle ; et aussi parce
qu’il l’a exprimé ». He bien, Mongo Béti ne s’était pas épargné les
misères et les frustrations de son époque et avait bu la coupe jusqu’à
la lie.
Ecrivain non bourgeois par excellence, il comprit très vite que derrière l’agitation politique des impérialismes du XIXè siècle et du début XXè siècle, le véritable monstre à l’œuvre, c’est le capital et ses alliés. La peinture qu’il en fit dans ses premières œuvres – Ville cruelle (1954), paru sous le pseudonyme d’Eza Boto, le Pauvre Christ de Bomba (1956), Mission terminée (1957), ou le Roi miraculé (1958) – lui assura son élection à l’Académie des écrivains maudits de la francophonie en particulier et du monde capitaliste en général. Malgré une plume exceptionnelle et une production prolifique (l’on compte difficilement ses articles), il n’obtiendra pas le moindre prix. Désabusé, il dira quelque part [1] que « Le Nègre ne passionne pas le snob », le Nègre authentique et non son image diluée qu’affectionnent les salons métropolitains et leurs médias, pensait-il sûrement, le Nègre fondamental. De lui, comme l’a très bien démontré le professeur Robert Fotsing dans une conférence donnée à l’occasion du souvenir, l’on a surtout montré le militant inflexible, impénitent, aux prises de parole incendiaires comme un feu de brousse tropical. Il avait milité aux premiers rangs de toutes les causes nobles, et même dans le Social Democratic Front. Et puis quoi ? Sartre n’était-il pas membre du Parti Communiste français ?
Mongo Beti était tout d’une pièce et c’est cela qui en fait un repère pour la jeunesse africaine d’aujourd’hui et de demain. En feuilletant l’Encyclopédie en ligne Encarta, j’ai eu la surprise de constater qu’on y avait ouvert une page pour lui. Comme quoi même la malédiction arrive à s’épuiser. Cela m’a fait penser à un autre grand africaniste, Cheikh Anta Diop qui, lui, n’a pas toujours mérité d’y entrer autrement que par deux lignes négligemment insérées dans la biographie de Djibril Tamsir Niane : « Chercheur rigoureux aventuré dans les méandres de la mémoire collective, il se situe à mi-chemin des historiens classiques s’appuyant sur les textes et les vestiges matériels, et les thèses du chercheur sénégalais Cheikh Anta Diop, pour qui la réhabilitation de l’Afrique passe par la mise en évidence de l’origine noire de l’Égypte ancienne ». Ne dit-on pas que l’on reconnaît les grands hommes à la qualité de leurs adversaires ?