Deux études menées chez le macaque semblent montrer l’efficacité du cabotégravir, ou GSK744, pour bloquer le développement du virus. Les chercheurs espèrent atteindre, chez l’homme, une protection suffisante avec une injection tous les trois mois.
Une seule injection pour éviter toute contamination par le VIH pendant des mois ? Deux équipes américaines de l’université Rockefeller, à New York, et des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) d’Atlanta, viennent d’en confirmer la possibilité chez le singe et présentent leurs travaux dans la revue Science Translational Medicine.
Les deux études ont utilisé un nouveau médicament du laboratoire pharmaceutique GlaxoSmithKline (qui a participé aux deux études), le cabotégravir ou GSK744, proche parent du dolutégravir. Il s’agit de médicaments très puissants bloquant l’intégration, dans l’ADN de la cellule, du génome du virus ; une étape indispensable à son développement.
« Très bien toléré »
Commercialisé sous forme de comprimé en France depuis l’an passé pour traiter l’infection par le VIH, le dolutégravir « est très bien toléré par l’organisme et il est très difficile à contourner pour le virus », explique le Pr Jean-Michel Molina, de l’hôpital Saint-Louis à Paris. Les chercheurs américains ont choisi le cabotégravir car il se dissout très lentement dans le sang et les tissus lorsqu’il est injecté sous forme de nanoparticules. Une seule injection a protégé pendant un mois des femelles macaques exposées par voie vaginale deux fois par semaine au SHIV (un virus qui reproduit l’infection par le VIH chez ces animaux). Un tel effet avait déjà été obtenu l’an passé chez des macaques exposés au SHIV par voie rectale ou vaginale.
Trois mois de protection espéréeLa concentration du produit dans les muqueuses reste assez élevée chez l’animal pour bloquer le virus jusqu’à deux mois après son injection. Pour vérifier ce point chez l’homme, ainsi que l’innocuité des fortes doses injectées, deux études cliniques sont déjà en cours. « Nous devrions avoir les premiers résultats cette année, précise Martin Markowitz, du Centre de recherche sur le sida Aaron Diamond, à l’université Rockefeller. Et nous lancerons probablement les premiers essais de prévention chez les personnes exposées au virus l’année prochaine. »
Le laboratoire Janssen développe aussi une formule injectable de la rilpivirine, un inhibiteur de la transcriptase inverse du VIH, qui pourrait bloquer toute infection sur plus d’un mois. Des essais cliniques de tolérance et de persistance à long terme pour de fortes doses ont également débuté chez l’homme.
Si les résultats obtenus chez le singe se confirment chez l’homme, une prophylaxie préexposition (PrEP) par injection tous les trois mois est déjà envisagée par les chercheurs. Elle offrirait une possibilité entièrement nouvelle de réduire les contaminations par le VIH dans le monde.
SIDA : La contamination par le VIH évitée grâce à un médicament
La prise de Truvada avant et après un rapport sexuel réduit de 86 % le risque de contamination, selon l’essai Ipergay. L’ANSM prévoit d’accorder une autorisation en accéléré.
La présentation, ce mardi, des résultats de l’essai français Ipergay restera l’un des temps forts du congrès annuel sur les rétrovirus et les infections opportunistes qui se tient en ce moment à Seattle (États-Unis). Car cette étude, pilotée par l’Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS) avec l’association Aides, pourrait bien changer le visage de l’épidémie en France. En particulier dans la population homosexuelle, concernée par quatre nouvelles contaminations sur dix.
Ipergay montre en effet qu’il est possible de réduire de 86 % le risque de contamination (entre 40 et 99 % sur le plan statistique) d’une population d’homosexuels à haut risque, grâce à la prise d’un médicament constitué de deux antirétroviraux, le Truvada, avant et après un rapport sexuel potentiellement contaminant. « Nous avons suivi 400 personnes sur une durée moyenne de 13 mois, et 88 % des participants sont allés jusqu’au bout de l’étude », a expliqué le Pr Jean-Michel Molina (Groupe hospitalier Saint-Joseph, Paris), coordinateur de l’étude, lors d’une conférence téléphonique mardi.
Accompagnement renforcéMieux encore, les deux seuls patients contaminés alors qu’ils étaient dans le groupe sous Truvada « l’ont été après 16 mois et après 20 mois, alors qu’ils ne prenaient plus le traitement », explique le Pr Molina. Quatorze personnes ont été contaminées dans le groupe placebo. Soit une très forte incidence, de 6,6 %.
« Il y avait déjà des données sur le Truvada en continu, commente le Pr Jean-François Delfraissy, directeur de l’ANRS, mais là, dans Ipergay, c’est une prise intermittente, ce qui semble favoriser l’adhésion. » Un point crucial, car, dans de précédents essais, l’efficacité du Truvada était bien corrélée à la prise effective du médicament, vérifiée par une prise de sang. « Cet essai va renouveler l’intérêt pour les stratégies pré-exposition (PrEP) », se félicite le Pr Molina. D’autant que la tolérance s’est révélée excellente, sans relâchement des comportements ni apparition de résistance au traitement.
Tous les participants bénéficiaient d’un accompagnement renforcé avec, détaille le Pr Molina, « distributions de préservatifs, dépistage et traitement systématiques des infections sexuellement transmissibles, explications du traitement post-exposition ». Des précautions indispensables, mais parfois difficiles à suivre par des homosexuels à haut risque. « Dans Ipergay, il s’agissait de gays plutôt consommateurs de produits psychoactifs, ayant une forte consommation de sexe (en moyenne 8 partenaires différents sur deux mois, NDLR) et en difficulté avec le préservatif », explique Vincent Pelletier, directeur général d’Aides.
Une population « dans laquelle 70 % des personnes n’utilisaient pas de préservatifs pour les rapports anaux », note le Pr Molina. Reste à rendre ce médicament accessible aux populations vulnérables. Pour le moment, il ne peut pas, en France, être prescrit en prévention. « Cela fait plus de deux ans que nous demandons que le Truvada soit autorisé en France pour les personnes les plus à risque, souligne le président d’Aides, Bruno Spire, nous espérons que cet essai va convaincre les autorités de santé. »
A quand la RTU ?
À vrai dire, l’Agence du médicament (ANSM) en est encore à se réunir. Un comité scientifique a décidé le 26 janvier… d’organiser une seconde réunion sur les modalités pratiques que pourrait prendre une telle autorisation (RTU, recommandation temporaire d’utilisation). Contacté par Le Figaro, l’ANSM évoque la mi-mars. L’agence française précise aussi qu’ « aucune des deux équipes de recherche auditionnées (celles de l’essai anglais PROUD et de l’essai franco-canadien Ipergay) n’a pu nous présenter ses résultats lors de la réunion du 26 janvier ». Difficile dans de telles conditions de préciser qui, au-delà des homosexuels à haut risque de contamination ayant des difficultés avec le préservatif, pourrait bénéficier du Truvada en prévention à travers la RTU.
Pour Vincent Pelletier, la RTU devrait s’ouvrir « à toutes les populations pour lesquelles le Truvada pourrait être efficace. Les gays plutôt consommateurs de produits psychoactifs, les migrants hétérosexuels et les couples où l’un des deux est séronégatif ». Le Pr Patrick Yeni, président du Conseil national du sida, ne méconnaît pas la difficulté : « On ne sait pas encore quelles sont les meilleures conditions d’utilisation de la PrEP à la demande, ni pour qui », explique-t-il au Figaro. Il est toutefois optimiste sur la délivrance prochaine d’une RTU par l’ANSM. « La PREP est efficace : les résultats de l’essai PROUD, également présentés ce matin, vont dans le même sens et des médicaments ont eu l’AMM avec moins de données qu’on en a aujourd’hui sur la PREP ».
L’ANSM confirme que « les choses ne devraient pas traîner ». De fait, avec les États-Unis, la France est très avance sur la PrEP grâce à la procédure des RTU dans laquelle une autorisation n’est pas conditionnée à la volonté des laboratoires de commercialiser leur médicament dans une nouvelle indication.
Le problème de l’observance
Menée chez des femmes africaines pour évaluer l’efficacité du Truvada en prévention, la vaste étude américaine VOICE a échoué : ses auteurs indiquent dans le New England Journal of Medicine queles participantes ne prenaient pas régulièrement le traitement, dans l’incertitude de ses effets et par peur d’être considérées comme infectées par leurs proches. Contrairement à l’essai Ipergay mené en France, les participantes devaient prendre le médicament en continu (un comprimé tous les jours, pas uniquement en cas de rapport sexuel à risque). Ce type d’études se heurte plus que d’autres à des difficultés de suivi. Comme le raconte le New York Times, les patientes de l’étude VOICE avaient fait semblant de suivre l’essai, car il était rémunéré et leur permettait de bénéficier de soins médicaux gratuits.
Source : Le Figaro Santé