A trente années bien sonnées, le « Renouveau » ne marche pas encore. Pire, il ne laisse même pas le Cameroun qu’il a trouvé, et annonce qu’il émergera plutôt dans 23 ans, à l’horizon 2035. C’est-à-dire à 53 ans. Qui sont-ils, ces noceurs inconscients qui s’autorisent à célébrer une telle médiocrité ?
Hypothèse d’école : si le jugement dernier avait
lieu ce 6 novembre 2012, et le Bon Dieu demandait au Cameroun «
qu’est-ce qui t’a manqué pour que tu sois rétrogradé dans la dernière
classe avec tout ce que je t’ai donné dans la planète Terre que j’ai
créée », que répondrait-il ? Il bégaierait certainement; mais les
observateurs feront comprendre au Très-Haut que ce pays qu’Il a béni
est victime de nanisme créé par les effets pervers d’une politique de
désespoir, entretenue par des hommes accrochés à un pouvoir qui
s’appelle désormais « mangeoire ». Au-delà de ce défaut chronique de
croissance, le Cameroun souffre de beaucoup d’autres pandémies avec en
bonne place, la navigation à vue, la malgouvernance, les détournements
de deniers publics, le pillage systématique depuis le sommet de l’Etat,
qui ont fait de ce pays d’Afrique centrale le seul pays au monde où les
plus riches sont les fonctionnaires et non les hommes d’affaires comme
partout ailleurs. L’histoire retient tout simplement que c’est
curieusement quand l’argent est devenu rare dans ce pays que le terme
milliard est devenu très courant.
Comme pour bien le démontrer, ces privilégiés accrédités à la mangeoire
nationale ne cessent d’étaler leurs richesses insolentes de manière
ostentatoire, en fêtant leurs milliards, pour narguer les pauvres mais
honnêtes concitoyens. Et comment s’étonner dès lors que depuis
l’avènement du renouveau, le nombre de Camerounais candidats à l’exil
s’accroît au fil des jours, au point où ce pays est devenu une nation où
tout le monde veut partir y compris le Président de la république,
lui-même, que certains traitent de vacancier.
En réalité, au lieu de travailler, nos dirigeants ont transformé l’inertie et l’immobilisme en forme de gouvernement, fortement soutenu par leur parti, le Rassemblement du peuple camerounais(Rdpc), où « on danse plus qu’on ne pense ». Rien d’étonnant que tous les secteurs d’activités se soient retrouvés brusquement déficitaires, à cause des détenteurs d’un projet politique qui se résume à l’art de se maintenir au pouvoir, malheureusement en détruisant les acquis. Conséquence grave: ce pouvoir n’est même pas en mesure de restituer ce qu’il a trouvé. Le Renouveau a aboli la politique du libéralisme planifié, du développement autocentré, des plans quinquennaux qui constituaient la feuille de route de l’époque de Ahidjo, pour proposer au peuple un Etat-fainéant qui a bradé toutes les entreprises afin de rester paresseux, sans objectifs, sans repères, et piller le Cameroun sans inquiétude.
C’est pourquoi en 30 ans, ce régime n’a réalisé
aucun miracle aussi bien sur le plan économique, social, que culturel.
Pour masquer la réalité d’un bilan inexistant, les adeptes de l’homme du
6 novembre lui accordent volontiers le crédit d’un pays en paix. Mais
comment interpréter cette insécurité galopante, ces recrutements à la
pelle dans l’armée comme si on préparait une guerre ? Surtout comment
expliquer qu’un président « tant aimé, élue chaque fois par une majorité
écrasante » soit aussi gardé, même lors des événements de son propre
parti ? A titre de rappel, en 30 ans de gouvernement, Paul Biya a
réalisé 34 remaniements, avec 7 Premiers ministres différents et 15
Secrétaires-généraux.
30 ans d’hémorragie de milliards
A son arrivée au pouvoir, Paul Biya était présenté comme
l’exemple de l’homme intègre, avec en image, la vieille maison de sa
propre mère construite en terre battue. Ajouté à son statut de fils de
catéchiste, tout laissait croire que les termes «Rigueur et
Moralisation» qu’ils avaient annoncés, avaient tout leur sens. D’autres
rumeurs le présentaient comme étant le seul ministre de l’époque dont le
compte bancaire n’était crédité que de 600 000 petits Fcfa. Mais à la
grande surprise générale, c’est-à-dire juste quelques cinq mois après sa
prestation de serment, un journal français, Le Canard enchaîné, faisait
état de l’acquisition de deux immeuble en France dont l'un dans
l'avenue Foch à Paris et l’autre à Cagnes-sur-Mer sur la Côte d'Azur.
C’était le 16 Mars 1983. Au Cameroun, la nouvelle a été accueillie
diversement, sans qu’il en ressorte un démenti officiel. Loin d’avoir
peur du ridicule, la presse gouvernementale avait parlé d’un certain
Biya Paul, homme d’affaires vivant en France. Surtout qu’à l’époque cela
paraissait un peu trop gros pour être vrai ; mais certaines couches qui
semblaient déjà être au parfum des choses, avaient compris que la valse
des milliards venait de prendre corps.
C’est ainsi qu’en 1984, les putschistes du 6 avril dans leur message ont déclaré que tout se passait « comme s’il fallait se remplir les poches avant qu’il ne soit trop tard(…) Le gouvernement et ses agents propulsés à la tête des rouages de l’Etat, agissaient avec pour seule devise non de servir la nation, mais de se servir ». Selon certains recoupements effectués par des confrères, ces visionnaires faisaient ainsi allusion à un montant de 400 milliards de Fcfa qui, en l’espace de 16 mois seulement, avait disparu de la caisse noire qu’Ahmadou Ahidjo avait laissée. De ces mêmes confrères, on apprendra aussi que « de 1983 à 1993, 546 milliards de Fcfa d’argent liquide avaient emprunté des sentiers non conformes aux circuits comptables normaux », à destination des pays occidentaux, sans oublier certains montants restés indéterminés. Au cours de la même période, 115 milliards de Fcfa se seraient également évaporés des rentrées de la Snh (Société Nationale des Hydrocarbures) qui est le monopole absolu de Paul Biya, et que vient aujourd’hui confirmer les différentes révélations faites autour l’affaire albatros.
Dans la même lancée, en 1985, les Camerounais avaient entendu parler d’une certaine clinique à Baden-Baden appartenant à Paul Biya. A ceci s’ajoute la fameuse interview de Robert Messi Messi accordée depuis son exil du Canada à Célestin Monga pour le compte de Jeune Afrique, dans laquelle cet ancien Directeur de la Scb(Société camerounaise de banque) avouait même qu’il allait souvent personnellement déposer des cantines bourrées de milliards au palais de Paul Biya à Mvomeka’a à la demande de ce dernier. Ce qui plus tard a d’ailleurs valu la fermeture pure et simple de ladite banque.
En mai 1997, l'Événement du jeudi, un journal français, estimait la fortune du président camerounais et sa famille à près de 70 millions d'euros, dont des châteaux en France et à Baden-Baden, en Allemagne. « De 1993 à 1994, 60 milliards de Fcfa de recettes pétrolières avaient habilement disparu pour approvisionner des comptes bancaires sous d’autres cieux. » Par la suite, « la lettre du continent du 25 avril 1996, faisait état de la dissipation de plus de 15 milliards de Fcfa du budget de l’Etat au début du mois d’avril de la même année. Le constat avait alors été fait par les experts du fonds monétaire international (Fmi) à Washington ».
En 1997, on se souvient aussi que Titus Edzoa, lors de la conférence de presse qui a suivi sa démission du gouvernement, avait dit que Paul Biya est « l’homme le plus riche du Cameroun », et qu’il était d’ailleurs plus riche qu’on ne le croyait.
Plus tard, d’autres révélations du côté du journal français Le Monde du 17 août 2000 reportaient en effet que, « de 1992 à 1998, Raymond Bernard et son Comité d' initiatives et de réalisations caritatives et sociales (Circes), une organisation rosicrucienne, reçurent du président du Cameroun et de la Snh les sommes suivantes : 60 millions de Fcfa en règlement des « conseils » prodigués au locataire du palais d’Etoudi, 500 millions de Fcfa pour l’achat d’un tableau pour le compte du même président, 560 millions de Fcfa sous forme de don au Circes de la part du disciple président de la République, 200 millions de fcfa versés au Circes par la Snh, et 4 milliards de Fcfa offerts à la même secte par Paul Biya lui-même sans autre forme de justificatif ».
Pour qui serait ébloui par ses chiffres, l'Evénement du jeudi, dans sa livraison du 22 mai 1997 et dans un dossier intitulé « Afrique, hit-parade des fortunes cachées », révélait que Paul Biya avait eu à surfer sur la loi des finances qui, jusqu’en 1994, stipulait que « Le président est habilité à prélever et à affecter par décret à un compte spécial hors budget tout ou partie des résultats bénéficiaires des entreprises d’Etat».
Aujourd’hui, même si on peut décrier le fait que tout ait commencé par là où on s’attendait le moins, force est de constater que les hommes du Renouveau ont bien assimilé la leçon et ont multiplié des techniques dignes de kleptomanes. Sinon comment peut-on admettre qu’un homme, en bonne santé, s’approprie des milliards qu’il sera incapable de consommer ainsi que toute sa progéniture ?
Récemment encore, le Contrôle supérieur de l’Etat, a rendu publique un rapport sur les détournements de fonds effectués entre 1998 et 2004 qui étaient évalués à près de 2000 milliards Fcfa. Voilà comment le Cameroun, de pays à revenu intermédiaire qu’il était au 6 novembre 1982, fait partie aujourd’hui des derniers de la planète, aux côtés des pays sinistrés, des pays désertiques, des pays enclavés, des pays en guerre… Qu’a-t-il donc fait pour mériter cette humiliation ?
Et dire que le Rdpc, au lieu de se cacher pour ne pas attirer l’attention de l’opinion sur le fait que le Renouveau existe depuis 30 ans, ce parti a encore eu le courage de danser pour célébrer ce crime.