Hissène Habre, Goukouni Oueddeï, Ange-Félix Patassé, François Bozize… Cameroun, couloirs de transit pour dictateurs déchus
DOUALA - 28 MARS 2013
© Edouard Kingue | Le Messager
© Edouard Kingue | Le Messager
1982, Goukouni Oueddei du Tchad alors
en fuite passe par le Cameroun pour l’Algérie. 1990, son successeur à
Ndjamena emprunte le même circuit de fuite, pour chuter au Sénégal.
2003, Ange-Félix Patassé fait route vers l’exil togolais via…le
Cameroun. 2013, son compatriote et tombeur décolle en catastrophe de
Bangui pour la ville camerounaise de Batouri. Le Cameroun est-il devenu
un hub de transit pour dictateurs déchus ?
N’Djamena, Yaoundé, Dakar. La longue marche de Hissene Habre risque de finir devant un peloton d’exécution ou dans les geôles de l’opprobre selon qu’il sera jugé à Ndjamena ou à Dakar. En attendant, sa énième traversée du désert commencé en 1990 lors de son départ précipité de Ndjamena pour Kousseri, Maroua, N’Gaoundéré et Yaoundé. Avec sur son sillage, un cortège de jeeps, des kalachnikovs et des valises de billets de banque. Bref, le parfait attirail d’un dictateur en fuite. Hissène Habré, poursuivi pour «crimes de guerre» et «crimes contre l’humanité», entre autres, s’en est allé vers son destin avec un bon butin de guerre qui fait de lui aujourd’hui un prospère promoteur immobilier au Sénégal. Nous sommes le 30 décembre 1990. Les citoyens tchadiens se réveillent sous le crépitement des armes de toutes sortes. Un groupe de rebelles conduit par Idriss Deby, ancien chef de la sécurité du président Hissène Habré est passé à l’offensive contre son patron. Habré se retranche dans son Palais et suit le déroulement des événements à la radio. Sentant sa chute venir à grands pas, Habré ne compte pas pour autant quitter le pouvoir «malheureux» ou «pauvre». Il convoque dare-dare sa garde rapprochée et lui donne l’ordre «d’aller chercher de l’argent» à la banque centrale du Tchad, au Trésor public... Le montant est évalué à plusieurs milliards F Cfa dont une partie en devises, Francs français et en dollars, dit-on.
Un témoin raconte : « Le «butin» est ensuite chargé dans un cargo C130, en plus des voitures de luxe de la présidence de la République. Un autre cargo du même type est aussi réquisitionné pour transporter le président en instance de partir, qui vit ses dernières heures de pouvoir, sa famille, son directeur de cabinet, son chef de cabinet, quelques ministres et 47 de ses gardes du corps. » Habré prospecte l’ex-Zaïre pour bénéficier d’un asile politique, le président Mobutu Sese Seko refuse «poliment» : il ne veut pas s'attirer les foudres du président François Mitterrand. Le futur exilé fait cap sur le Cameroun avec un peu plus d’espoir. Mais realpolitik oblige, les autorités de Yaoundé jugent que sa présence serait une source d'insécurité pour le Cameroun, les deux pays partageant une longue frontière. Il lui est donc accordé un transit temporaire en attendant de se chercher un pays d’accueil.
C’est par la porte de Kousseri, anciennement Fort-Fourreau, ville frontalière avec le Tchad que le président déchu entre au Cameroun, en provenance de la capitale voisine. Chémi Kogremi, ex-trésorier général au trésor de Ndjamena revient sur cette époque : « le samedi 1er décembre 1990 à 5 heures du matin, quand la ville se vidait de sa population, je m’étais également enfui pour me réfugier à Kousseri. Le même jour, vers 8 heures, le président Habré qui se trouvait aussi à Kousseri m’avait fait appeler pour me remettre les clés des coffres du Trésor. Accompagné d’Abdoul Galmaye et six combattants, j’étais revenu à Ndjamena pour récupérer la somme de 3 milliards de Fcfa. Les 500 millions de FCFA rangés dans un autre coffre n’avaient pas été touchés. Quand nous avions rattrapé l’ex-président Habré à Maltam, celui-ci avait désigné son frère Abdelkerim Habré pour me surveiller, et la voiture dans laquelle je me trouvais était entre deux véhicules bondés de combattants. Arrivés à Maroua vers 18 heures, l’ex-président m’avait demandé de faire descendre les sacs d’argent. Après cela, je ne l’ai plus revu.»
Goukouni avant Hissene, Patasse avant Bozize…
Avant Hissene Habré, son prédécesseur et adversaire avait emprunté le même couloir camerounais de l’exil. C’était le 7 juin 82, au moment de l’entrée des FAN d’Hissène Habré dans la capitale. Chassées de Ndjamena dix-huit mois plus tôt par une coalition des Forces armées populaires (Fap) de Goukouni Oueddeï, président du gouvernement d'union nationale de transition (Gunt) et des Forces armées du Tchad (FAT) d’Abdelkader Kamougue, les Forces armées du Nord (FAN) reviennent en conquérantes. Par un de ces classiques et ironiques retournements dont l'histoire est riche, c'est le président du GUNT qui, cette fois, un an et demi avant son principal adversaire, a été contraint de franchir clandestinement le fleuve Chari, pour trouver refuge en territoire camerounais, où il a obtenu provisoirement l'asile politique, grâce à l'intervention discrète de la France auprès du président Ahidjo. Goukouni Oueddeï gagnera ensuite Alger sans faire des vagues…Des vagues ? Des points d’interrogation pour le putschiste de Bangui devenu fugitif.
Mais surtout un embarras pour la diplomatie camerounaise : que faire de François Bozize ? Le président déchu a été chassé du pouvoir et son pays dimanche 24 mars 2013 à la suite d’un coup d’Etat dirigé par Michel Djotodia. Ce dernier, chef des rebelles centrafricains de la coalition Séléka s’est d’ailleurs autoproclamé président de la République. Bozize a ‘choisi’ comme point de chute le Cameroun. Un hélicoptère centrafricain l’a déposé sur la ville camerounaise de Batouri accompagné de ses deux fils et de son aide de camp. De Batouri à Bertoua et enfin Yaoundé, Bozize a entamé son chemin de croix vers l’exil, en attendant que la communauté africaine lui trouve un refuge sûr, loin des frontières camerounaises, car les autorités locales semblent peu disposées à lui offrir gite et couvert ad vitam aeternam.
En effet sur le chemin de l’exil en 2003, son compatriote et prédécesseur Ange Félix Patassé avait été ‘téléphoné’ vite fait bien fait de Yaoundé à Lomé, ou il prendra racines pour de longues années. Reste à savoir jusque à quand le fugitif de luxe actuel restera sur le territoire national, pour ce que les autorités de Yaoundé appellent vertueusement « transit humanitaire ». Au Cameroun, nous n’aimons pas beaucoup les dictateurs qui viennent d’ailleurs…
N’Djamena, Yaoundé, Dakar. La longue marche de Hissene Habre risque de finir devant un peloton d’exécution ou dans les geôles de l’opprobre selon qu’il sera jugé à Ndjamena ou à Dakar. En attendant, sa énième traversée du désert commencé en 1990 lors de son départ précipité de Ndjamena pour Kousseri, Maroua, N’Gaoundéré et Yaoundé. Avec sur son sillage, un cortège de jeeps, des kalachnikovs et des valises de billets de banque. Bref, le parfait attirail d’un dictateur en fuite. Hissène Habré, poursuivi pour «crimes de guerre» et «crimes contre l’humanité», entre autres, s’en est allé vers son destin avec un bon butin de guerre qui fait de lui aujourd’hui un prospère promoteur immobilier au Sénégal. Nous sommes le 30 décembre 1990. Les citoyens tchadiens se réveillent sous le crépitement des armes de toutes sortes. Un groupe de rebelles conduit par Idriss Deby, ancien chef de la sécurité du président Hissène Habré est passé à l’offensive contre son patron. Habré se retranche dans son Palais et suit le déroulement des événements à la radio. Sentant sa chute venir à grands pas, Habré ne compte pas pour autant quitter le pouvoir «malheureux» ou «pauvre». Il convoque dare-dare sa garde rapprochée et lui donne l’ordre «d’aller chercher de l’argent» à la banque centrale du Tchad, au Trésor public... Le montant est évalué à plusieurs milliards F Cfa dont une partie en devises, Francs français et en dollars, dit-on.
Un témoin raconte : « Le «butin» est ensuite chargé dans un cargo C130, en plus des voitures de luxe de la présidence de la République. Un autre cargo du même type est aussi réquisitionné pour transporter le président en instance de partir, qui vit ses dernières heures de pouvoir, sa famille, son directeur de cabinet, son chef de cabinet, quelques ministres et 47 de ses gardes du corps. » Habré prospecte l’ex-Zaïre pour bénéficier d’un asile politique, le président Mobutu Sese Seko refuse «poliment» : il ne veut pas s'attirer les foudres du président François Mitterrand. Le futur exilé fait cap sur le Cameroun avec un peu plus d’espoir. Mais realpolitik oblige, les autorités de Yaoundé jugent que sa présence serait une source d'insécurité pour le Cameroun, les deux pays partageant une longue frontière. Il lui est donc accordé un transit temporaire en attendant de se chercher un pays d’accueil.
C’est par la porte de Kousseri, anciennement Fort-Fourreau, ville frontalière avec le Tchad que le président déchu entre au Cameroun, en provenance de la capitale voisine. Chémi Kogremi, ex-trésorier général au trésor de Ndjamena revient sur cette époque : « le samedi 1er décembre 1990 à 5 heures du matin, quand la ville se vidait de sa population, je m’étais également enfui pour me réfugier à Kousseri. Le même jour, vers 8 heures, le président Habré qui se trouvait aussi à Kousseri m’avait fait appeler pour me remettre les clés des coffres du Trésor. Accompagné d’Abdoul Galmaye et six combattants, j’étais revenu à Ndjamena pour récupérer la somme de 3 milliards de Fcfa. Les 500 millions de FCFA rangés dans un autre coffre n’avaient pas été touchés. Quand nous avions rattrapé l’ex-président Habré à Maltam, celui-ci avait désigné son frère Abdelkerim Habré pour me surveiller, et la voiture dans laquelle je me trouvais était entre deux véhicules bondés de combattants. Arrivés à Maroua vers 18 heures, l’ex-président m’avait demandé de faire descendre les sacs d’argent. Après cela, je ne l’ai plus revu.»
Goukouni avant Hissene, Patasse avant Bozize…
Avant Hissene Habré, son prédécesseur et adversaire avait emprunté le même couloir camerounais de l’exil. C’était le 7 juin 82, au moment de l’entrée des FAN d’Hissène Habré dans la capitale. Chassées de Ndjamena dix-huit mois plus tôt par une coalition des Forces armées populaires (Fap) de Goukouni Oueddeï, président du gouvernement d'union nationale de transition (Gunt) et des Forces armées du Tchad (FAT) d’Abdelkader Kamougue, les Forces armées du Nord (FAN) reviennent en conquérantes. Par un de ces classiques et ironiques retournements dont l'histoire est riche, c'est le président du GUNT qui, cette fois, un an et demi avant son principal adversaire, a été contraint de franchir clandestinement le fleuve Chari, pour trouver refuge en territoire camerounais, où il a obtenu provisoirement l'asile politique, grâce à l'intervention discrète de la France auprès du président Ahidjo. Goukouni Oueddeï gagnera ensuite Alger sans faire des vagues…Des vagues ? Des points d’interrogation pour le putschiste de Bangui devenu fugitif.
Mais surtout un embarras pour la diplomatie camerounaise : que faire de François Bozize ? Le président déchu a été chassé du pouvoir et son pays dimanche 24 mars 2013 à la suite d’un coup d’Etat dirigé par Michel Djotodia. Ce dernier, chef des rebelles centrafricains de la coalition Séléka s’est d’ailleurs autoproclamé président de la République. Bozize a ‘choisi’ comme point de chute le Cameroun. Un hélicoptère centrafricain l’a déposé sur la ville camerounaise de Batouri accompagné de ses deux fils et de son aide de camp. De Batouri à Bertoua et enfin Yaoundé, Bozize a entamé son chemin de croix vers l’exil, en attendant que la communauté africaine lui trouve un refuge sûr, loin des frontières camerounaises, car les autorités locales semblent peu disposées à lui offrir gite et couvert ad vitam aeternam.
En effet sur le chemin de l’exil en 2003, son compatriote et prédécesseur Ange Félix Patassé avait été ‘téléphoné’ vite fait bien fait de Yaoundé à Lomé, ou il prendra racines pour de longues années. Reste à savoir jusque à quand le fugitif de luxe actuel restera sur le territoire national, pour ce que les autorités de Yaoundé appellent vertueusement « transit humanitaire ». Au Cameroun, nous n’aimons pas beaucoup les dictateurs qui viennent d’ailleurs…