Hilaire Kamga: «Elecam est incapable d’étudier tous les dossiers en 15 jours…»

Douala, 03 juillet 2013
© Joseph Flavien KANKEU | Le Messager

A l’annonce de la convocation du corps électoral, Le Messager est allé à la rencontre d’Hilaire Kamga, le secrétaire exécutif du Réseau des observateurs nationaux d’Afrique centrale et occidentale (Ronaco). Ce membre élu du comité directeur des Nouveaux droits de l’Homme-France (Ndh-France) est également secrétaire permanent de la plate-forme de la société civile pour la démocratie au Cameroun, et secrétaire général du Réseau francophone des droits de l’Homme (Rfdh). Il décrypte la décision du chef de l’Etat et interroge la capacité d’Elecam, dans sa configuration actuelle, à mener à bien le processus.

Le corps électoral a été convoqué 2 juillet 2013 par le président de la République. Quelle analyse faites-vous de cette décision du chef de l’Etat qui intervient quelques jours seulement après la prorogation du mandat des conseillers municipaux pour une durée de trois mois?

Le président de la République vient d’exercer une de ses prérogatives constitutionnelles en convoquant le corps électoral pour les élections couplées municipales et législatives pour le 30 septembre 2013. Ce décret intervient seulement quelques jours après un nième décret portant prorogation du mandant des conseillers municipaux pour une durée de trois mois. Il est clair que, bien que traduisant la réalité de l’incapacité programmatique du régime Rdpc au pouvoir à Yaoundé, ce décret met une fois de plus à nue l’embrouillamini qui caractérise l’ordre gouvernant en place à Yaoundé. En effet, toutes ces multiples prorogations de mandats, qu’il s’agisse de celui des députés ou de celui des conseillers municipaux, sont le fait de l’imprévision et de l’absence de planification stratégique de la part du pouvoir Rdpc dès lors qu’il n’y a pas eu entre temps un fait nouveau qui n’aurait pu être prévu lors des deux premières prorogations de ces mandats.


Le 30 septembre est un lundi, jour ouvrable au Cameroun. Paul Biya a choisi cette date pour la tenue des élections. Quelle réflexion vous inspire cette option du chef de l’Etat?

Ceci rompt avec la coutume devenue naturellement loi, qui voudrait qu’au Cameroun les élections se tiennent toujours un dimanche [exception de l’élection présidentielle du 11 octobre 2004, un lundi, Ndlr]. Il semble évident que M. Biya ait voulu déjouer tous les pronostics, notamment nos by Savings Wave">prévisions techniques qui envisageaient la convocation du corps électoral pour le dimanche 6 octobre 2013; en convoquant le corps électoral pour un jour ouvrable qu’il va être obligatoirement appelé à convertir en jour férié conformément à la loi. Mais là n’est pas le problème dès lors que le régime de M. Biya Paul ne se préoccupe pas des incidences financières… Tant pis pour les pauvres Camerounais de Garoua-Boulaï, de Batoufam, de Tignère et autres qui auraient pu espérer que l’on épargna cet argent pour leur garantir un approvisionnement constant en eau potable: Bref ces milliards que l’on aurait pu épargner ne préoccupe pas M. Biya qui semble là confirmer son insouciance quant à la prévarication.


Au regard du nombre de communes existant au Cameroun (360), pensez-vous que 15 jours suffisent pour constituer et déposer les candidatures à Elecam par les conseillers municipaux?

Après avoir rappelé qu’il n’y a aucune illégalité dans ce décret du point de vue du droit électoral, il se pose encore avec acuité le sempiternel problème de la fiabilité de ce code électoral aujourd’hui: J’y avais, au moment de son introduction en 2012, décelé 100 problèmes d’ailleurs consignés dans un livre. Parmi ces problèmes, il y a celui du délai induit par la convocation du corps électoral en ce qui concerne le dépôt des candidatures qui est de 15 jours. Ce délai pose un réel problème matériel. Cela entraine forcément un doute sur la capacité du Conseil électoral d’Elecam à pouvoir produire un travail sérieux dans cet intervalle de temps qui lui est donné, soit 15 jours après la clôture de l’enregistrement des candidatures. Pour rappel, les élections municipales c’est 360 communes pour environ 10632 conseillers.

Le Cameroun comptant plus de 250 partis politiques et en supposant que seulement 10 de ces partis politiques constitueront des listes, l’on pourrait estimer à environ 106 320 dossiers de candidatures pour les conseillers municipaux. Or, un dossier est constitué d’environ 10 pièces, ce qui fera un total d’environ 1 063 200 pièces à examiner par environ 51 personnes (18 (-1) membres du Conseil électoral plus trois cadres d’appui chacun): En fait, il n’y a plus à ce jour que 17 membres du Conseil électoral, et avec deux cadres d’appui chacun, nous avons un total de 51 personnes au Conseil électoral pour ce travail. En considérant que les premiers dossiers n’arriveront à Elecam que dans au moins cinq jours, il reste 25 jours maximum de travail pour statuer sur 1063200 pièces. En considérant huit heures de travail par jours pour les 51 personnes, cela fait 20 847 dossiers pièces à analyser pour chacun en 50 heures maximum (en prenant en compte le temps éventuel de débats). Cela suppose que chacun devrait analyser environ 417 pièces par heure. Il convient de préciser que tout ceci ne prend pas en compte les dossiers des candidats aux législatives qui seront aussi étudiées par la même équipe et dans le même intervalle de temps.

Tout le monde peut donc s’accorder qu’il est matériellement impossible pour le Conseil électoral dans sa configuration actuelle d’étudier les 20 847 éventuels dossiers dans l’espace de temps prévus par la loi, sauf à faire un exercice bâclé. Cette analyse prend en compte le fait que la loi réserve exclusivement au seul Conseil électoral cette prérogative d’étudier les dossiers de candidatures, et donc les démembrements de la direction générale ne sont pas concernés.

Une dernière observation concerne le découpage électoral. Il me semble important d’indiquer que le décret de mardi rend impossible et même inacceptable du point de vue de la science électorale politique tout autre texte du président de la République portant sur le découpage électoral, car cela renforcerait l’argument de l’absence de fair-play politique. Pourtant les chiffres actuels de la population auraient présupposé un nouveau découpage qui prenne en compte les chiffres actuels, même contestés, du recensement général de la population.


Il faut donc modifier la loi…

Je reste convaincu qu’on ne pourra vraiment parler d’élections libres, justes et transparentes que si la loi électorale actuelle est modifiée en profondeur.

Entretien avec Joseph Flavien KANKEU



04/07/2013
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