Henri Bandolo : Un maître du verbe et de la plume

Mercredi, 17 Février 2010 15:20 Écrit par Assongmo Necdem

Il fait partie de la première génération des journalistes d’après indépendance. Son talent, son ardeur au travail, mais aussi son engagement politique lui ont permis d’être le premier professionnel à occuper le fauteuil de ministre de l’Information et de la Culture.

Au lendemain de la mort de Henri Bandolo le 16 juillet 1997,les témoignages ont unanimement déploré la disparition d’un maître du journalisme. De son fauteuil de président de l’Union de la presse francophone, Hervé Bourges parlait du «meilleur professionnel d’Afrique». Charles Ndongo, l’actuel directeur de l’information à la Cameroon radio television (Crtv), confessa que Henri Bandolo était le journaliste à qui il voulait ressembler. Jean Pierre Biyiti bi Essam, devenu plus tard ministre de la Communication, écrivait : «Notre métier est un métier de gens civilisés. Tu nous l'a si bien appris, Henri, que dans ce métier, non seulement l'injure est inefficace, mais qu'un journaliste, un vrai, peut tout dire, et le rester sans humilier personne (…) Je persiste à penser que si tu as été ce diseur de vérités tant redouté, ce pédagogue émérite dans une salle de classe aux dimensions d'un pays qui a le nom Cameroun, c'est parce que tu as su très tôt que l'essence même de notre vocation, c'est d'être un peu sorcier, c'est-à-dire éveilleur de consciences». Ces propos font allusion au contexte bien difficile dans lequel a exercé la première génération des journalistes camerounais d’après indépendance, à laquelle appartient Henri Bandolo.

En cette année 1964, celui qui deviendra l’enfant prodige du journalisme débute comme animateur à radio Cameroun. Il s’est jeté à l’eau malgré les avertissements de son journaliste de père, André Ngangué, sur les risques du métier. Au Cameroun, en effet, l’opinion est divisée, la presse aussi. Il y a, d’un côté, la presse nationaliste, considérée comme subversive, car elle qualifie de mascarade l’indépendance obtenue quatre ans plus tôt. De l’autre côté, la presse progouvernementale a pour mission de rallier les Camerounais de tous bords au régime en place. C’est dans celle-ci que Henri Bandolo s’est engagé. «J’aimerais que l’on entende ma voix dans tous les foyers comme j’entends la tienne partout où je passe» : ainsi parle le fils à son père.

En 1966, avec l’instauration du parti unique, le régime du président Ahmadou Ahidjo se durcit. Non seulement la presse nationaliste est de plus en plus réprimée, mais également, tout écart de la part d’un journaliste est sanctionné. Néanmoins, Henri Bandolo que beaucoup appellent affectueusement H.B., anime chaque dimanche une émission satirique baptisée «Dominique», dans laquelle, comme l’affirme Hervé Bourges, «il parlait sans ambages de la société camerounaise, de ses travers, de ses responsables politiques ou administratifs, de leurs incompétences, le cas échéant». Le journaliste et son émission se font autant d’admirateurs que de détracteurs, voire des ennemis. «Bandolo fut parfois l'objet de tentatives d'intimidation. Mais comment capturer l'intelligence, quand elle captive elle-même un auditoire très large, dans son pays et au-delà de ses frontières ?», s’interroge Hervé Bourges. En effet, au cours de la décennie 1970, les passages de H.B. à la radio ont marqué les esprits, surtout lors de la présentation du journal. Il parlait bien et savait donner solennité et familiarité à sa voix. Avec Bandolo, l’excellence est possible, même dans le contexte le plus difficile, le tout, c’est d’y mettre la volonté, le courage, le talent, et surtout, le travail acharné.

Voilà qu’il a gagné la sympathie puis l’estime du président Ahmadou Ahidjo. En 1978, il est nommé chef service des programmes en langue française à Radio Cameroun. Un an plus tard, Henri Bandolo devient délégué provincial de l’Information et de Culture à l’Est, puis au Sud-Ouest. Mais selon Jean Vincent Tchienehom, qui a cheminé avec Bandolo à la radio, celui-ci considérait ces affectations comme une manière de «l’exiler». «Il en avait probablement parlé au président Ahidjo, qui prendra un décret pour modifier l’organigramme de la Sopecam (Société de presse et d’édition du Cameroun) en créant notamment un poste de directeur adjoint, où il nomme Henri», rappelle-t-il. Henri Bandolo excelle aussi dans la presse écrite, en tant qu’éditorialiste à Cameroon Tribune. Il est par ailleurs conseiller à la rédaction du magazine Africa International. Mais, dans le contexte de l’époque, seuls, le talent et le travail acharné n’auraient pas suffi pour atteindre les cimes.

Journaliste des présidents
Henri Bandolo n’a pas manqué de prendre sa carte du parti unique : l’Union nationale camerounaise. Il y jouait pratiquement le rôle de conseiller à la communication. Après sa démission en 1982, Ahmadou Ahidjo lui accorde des interviews exclusives. Bandolo avait d’ailleurs été surnommé «journaliste du président». Un statut qu’il ne perd pas avec l’arrivée de Paul Biya. Il conforte même sa position dans le sérail, devient un témoin privilégié et surtout le confident de plusieurs pontes du pouvoir. «La flamme et le fumée», son livre paru en novembre 1986, retrace les péripéties de la transition au Cameroun, avec pour point d’ancrage le coup d’état manqué du 6 avril 1984.

Henri Bandolo accède au comité central du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) qui remplace l’Unc en 1985. C’est tout naturellement qu’il est taxé de «retourneur de veste»; surtout que dans son livre, Bandolo prend faits et cause pour le nouveau régime de Paul Biya, en pourfendant son prédécesseur Ahmadou Ahidjo. Au cours d’une conférence à l’amphi 700 de l’Université de Yaoundé, Henri Bandolo répond ainsi : «Si j’ai servi un régime hier, qui n’existe plus, et que je serve aujourd’hui celui qui est en place, où voyez-vous le retournement de veste ? Vous avez travaillé hier sous le régime Ahidjo, ne continuez-vous pas à travailler sous le régime Biya? Est-ce que vous avez retourné vos vestes ?» J.V. Tchienehom s’interroge plutôt sur la sortie de ce livre alors que les acteurs sont encore vivants. «Les personnes qui se sont confiées à Bandolo auraient pu se sentir trahies, notamment le président Ahidjo», conclut-il. Retournement de veste, trahison? Henri Bandolo devient ministre de l’Information et de la Culture le 18 mai 1988.

Le premier journaliste à parvenir à de telles fonctions. C’était l’apogée d’une carrière.
Son engagement politique et son passage au gouvernement sont critiqués à plusieurs titres. On se souvient encore du douloureux retour du multipartisme au Cameroun, avec notamment les personnes tombées sous les balles à Bamenda lors de la création du Sdf en 1990. Le ministre  Bandolo avait signé un communiqué faisant état de ce que les victimes avaient été piétinées. Le texte avait été lu par Zacharie Ngniman et Antoine Marie Ngono sur les antennes de la Crtv. Melchior Nganguè, le demi-frère de Bandolo, se souvient aussi  que  son ministre de frère qui ne voulait pas des antennes paraboliques au Cameroun.

Carole Sauvale, née Bandolo, architecte décoratrice à la Crtv, soutient néanmoins que son père rêvait de libéraliser la communication au Cameroun. Tout comme il avait l’ambition de créer une chaîne de télévision privée. Toujours est-il que deux mois après son départ du ministère de l’Information et de la Culture, est promulguée la 19 décembre 1990 portant sur la communication sociale au Cameroun, texte fondateur des libertés individuelles et de la liberté de la presse.

Journaliste, fils de journaliste
Henri Ondoua Bandolo est né à l’hôpital Laquintinie de Douala le 15 septembre 1943. Son père, André Ngangue, journaliste de radio, et sa mère, Justine Bandolo, infirmière, n’ont jamais été mariés ; bien qu’ils aient eu deux enfants. C’est pourquoi le petit Henri prend les noms Ondoua, de son oncle maternel, et Bandolo de son grand-père maternel. L’enfant vit d’abord avec sa maman et son frère aîné, Dieudonné Guy Onana, qui deviendra un footballeur. Dès l’âge de quatre ans, Henri Bandolo rejoint son oncle médecin qui sera tour à tour affecté à Ngaoundéré,  à Banyo, à Messamena ,  puis à Mbalmayo .

A 14 ans, Henri Bandolo réussit au Cepe et au concours d’entrée au collège Vogt à Yaoundé. Il embrasse le métier de journaliste après l’obtention de son Bepc. « Par hasard », confie sa fille Carole. Il entre à radio Cameroun en 1963, suite à un concours de recrutement des speakers. Les portes du journalisme s’ouvrent à lui lorsque trois ans plus tard, il est admis à l’Office de coopération radiodiffusion de Paris (Ocora). Bandolo en sort major deux ans plus tard. En 1975, il retourne en France à l’Institut français de presse et des sciences de l’information à l’université de Paris. Revenu au pays en 1978, il gravit en 10 ans les échelons jusqu’à devenir ministre de l’Information et de Culture. Il quitte le gouvernement deux ans plus tard. Il demeure président du conseil d’administration de la Crtv jusqu’à sa mort à l’hôpital de la Cnps le 16 juillet 1997, des suites d’un cancer du foie et des poumons. Quelque temps auparavant, le défunt était revenu de France où les médecins avaient déjà prédit sa mort.

« Je paye 20 ans de tabagisme et de champagne », avait-il confié à son ancien collègue Eugène Letenou, peu avant de rendre l’âme. Henri Bandolo était connu comme un bon vivant. Une fois débarqué du gouvernement, il a passé les sept dernières de sa vie à lutter contre la maladie. Cependant, certaines personnesont estimé que la société camerounaise a laissé « mourir de stress et d'inactivité Henri Bandolo, homme d'imagination et d'ardeur » Il a laissé trois enfants.


 



          


 

 




04/03/2010
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