Haute administration: les dessous du remplacement de Dipanda Mouelle
YAOUNDE - 05 JAN. 2015
© Yves Marc Kamdoum | La Météo
Le départ de l’octogénaire, après 28 années sans discontinuité à la tête de la Cour suprême, présage la fin des inamovibles.
La nomination de Daniel Mekobe Sone au poste de premier président de la Cour suprême (Cs) ne cesse d’alimenter les commentaires les plus osés dans les salons huppés et chaumières de la République. Non pas à cause du profil du promu, mais beaucoup plus sur les raisons de la mise (finalement) à la touche de son prédécesseur. En effet, depuis plusieurs années, Alexis Dipanda Mouelle se confondait déjà à la Cour suprême. Âgé officiellement de 79 ans, son timbre vocal hésitant et trainant était devenu familier aux Camerounais. C’est l’homme qui avait eu la lourde responsabilité de rendre publics les résultats polémiques de la présidentielle d’octobre 1992. Une certaine opinion l’avait alors classé parmi les personnes qui avaient réussi la maestria d’imposer Paul Biya à la magistrature suprême. De ce fait, affirmait-on au sein de l’opinion, le président de la République lui était redevable. D’où son maintien au poste, même après avoir dépassé l’âge de départ à la retraite des magistrats, fixé à 65 ans. Dipanda Mouelle était donc devenu pour certains, un inamovible du sérail. A fortiori, son départ est diversement interprété.
Retraite.
Plusieurs indiscrétions laissent croire que le départ d’Alexis Dipanda Mouelle de la Cs ne serait en réalité qu’un positionnement. Il se murmure avec instance que son nom aurait été proposé au chef de l’État pour prendre les rênes de la Cour constitutionnelle que Paul Biya se prépare à mettre en place. Par contre, dans d’autres cercles, l’on soutient mordicus que cette décision du président de la République est un désaveu. Pour ces laudateurs de la jacquerie, l’ex-premier président de la Cour suprême s’apprêtait à libérer certains détenus de l’opération épervier parmi lesquels Jean Marie Atangana Mebara. Une initiative qui aurait eu pour conséquence de discréditer le programme d’assainissement des mœurs dans la gestion de la fortune de l’État. Et pour parer à cette éventualité, le chef de l’exécutif aurait anticipé en mettant à la touche ce magistrat hors hiérarchie de classe exceptionnelle.
Pour un observateur averti de la scène politique nationale, le digne fils Sawa a tout simplement été prié de faire valoir ses droits à la retraite. Une retraite dont il aurait pu bénéficier depuis 14 ans. De même pour Daniel Mekobe Sone, aujourd’hui âgé de 68 ans, et bien d’autres magistrats hors hiérarchie à l’instar de Rissouck à Moulong, atteints par la limite d’âge. Notre source explique : «Paul Biya est le maître du jeu politique. Il est le seul vrai élu de la nation et de ce fait, ne doit rien à personne, sinon au peuple. Il ne peut donc pas s’encombrer de certaines personnes sous le fallacieux prétexte que c’est grâce à elles qu’il s’est maintenu au pouvoir. En remplaçant M. Dipanda, le président de la République a tout simplement usé de son pouvoir discrétionnaire. Un pouvoir qu’il use au gré de ses aspirations.» Et de conclure : «Il est également farfelu de penser que Alexis Dipanda Mouelle va rebondir au Conseil constitutionnel. Son successeur à la Cour suprême étant, comme lui, du Mungo, dans le Littoral».
Le grand ménage.
En sus de tout cela, il se rapporte dans les couloirs du palais de l’Unité que le départ de l’ancien premier président de la Cour suprême est un signe fort du renouvellement de la classe dirigeante que le chef de l’État s’apprête à opérer. L’on soutient à cet effet que, dans ses dernières adresses à la nation, Paul Biya n’a cessé de décrier la léthargie qui gagne les différentes administrations camerounaises. Cela n’était plus un secret, indique-t-on, la Cs était devenue le cimetière des dossiers. Plusieurs affaires parvenues à cette haute juridiction, attendent depuis des lustres d’être vidées. L’on prend en exemple, le cas Paulin Abono Moapamb, ancien secrétaire d’État aux Travaux publics en détention à la prison de Bertoua, dont le pourvoi en cassation est en souffrance depuis trois ans environ au centre administratif de Yaoundé. Les magistrats de cette institution hautement stratégique, parce que visiblement saturés et fatigués, n’avaient plus le cœur à l’ouvrage. Conséquence, la putréfaction des dossiers et l’inertie y sont devenues le mets le plus partagé. Il fallait donc y injecter un nouveau souffle pour rendre cette institution dynamique.
Dans le viseur.
La même inertie s’observe également dans d’autres administrations tenues par les «anciens». L’on cite à cet effet Cavaye Yeguié Djibril, l’intouchable président de l’Assemblée nationale qui, au fil des ans, a transformé l’auguste Chambre en affaire de famille. Le lamido de Mada, ces dernières années, se serait beaucoup fait remarquer, non pas par la pertinence de ses arguments pendant les débats à la Chambre basse, mais par des sorties médiatiques dangereuses. Dans ce convoi de débarquement des inamovibles, Amadou Ali aurait une place de choix. Le longiligne de Kolofata, qui par le passé, était reconnu pour sa sobriété et son ardeur à la tâche, fait désormais partie du star-système, préférant le crépitement et flash des appareils photos au lieu de servir la nation. Dans cette liste des éventuels départs, figurent également en bonne place, Marcel Niat Njifendji, Ayang Luc…
De l’ordre dans les rangs.
L’armée ne serait pas épargnée par ce tsunami. Avec la lutte contre l’insécurité rampante et la guerre contre Boko Haram, défis majeurs du président de la République, il serait devenu plus qu’urgent pour le chef de l’État, de donner un coup de neuf aux forces de défense nationale. En cinquante ans d’Indépendance, aucun général n’a jamais véritablement fait valoir ses droits à la retraite. Ceux qui manquent à l’appel, comme Blaise Benae Mpecke, Abdoulaye Oumarou Garoua ou Paul Yakana Guebama ont cassé leur baïonnette. Une vingtaine d’autres généraux, en majorité des septuagénaires, sont, curieusement, toujours en «activité» alors qu’ils devraient longtemps avoir pris leur retraite. Une gérontocratie de la soldatesque qui se traduit par un certain laxisme et affairisme dans les rangs de l’armée. Face à cette décrépitude, apprend-on, le chef des armées pourrait renvoyer au «village» ces vieux officiers supérieurs qui passent le temps à somnoler au lieu dit «Pentagone», à Yaoundé. À l’ordre du jour, la promotion de colonels, capables d’apporter plus d’énergie et de dynamisme dans les forces de défense camerounaises qui font preuve en ce moment de courage, de patriotisme, de bravoure et d’ efficacité, actuellement, au front contre les forces du mal agressant le pays de Paul Biya au quotidien.
C’est donc dire qu’en ce moment, aux yeux du président, et pour l’intérêt général, personne n’est à l’abri du renouvellement. Chaud devant !
Yves Marc Kamdoum