Hausse des prix des carburants: Paul Biya réussira-t-il à éviter un autre février 2008?

DOUALA - 19 JUILLET 2012
© Le Messager

Carburant et gaz domestique: L'Etat prépare l'opinion à la hausse imminente des prix

Les médias d'Etat et ceux proches du pouvoir multiplient des sorties pour que les consommateurs se préparent à une suppression, ou tout du moins à une baisse des subventions du carburant à la pompe et du gaz domestique. Ce qui entrainera forcément une hausse des prix, qui devrait en principe survenir en août prochain.

Cela-faisait longtemps que l'on n'avait plus vu Charles Ndongo conduire l'émission télévisée «Par ici le débat» sur les antennes de la Cameroon Radio and Télévision (CRTV). Cette icône de la télévision camerounaise a pourtant refait surface cette semaine, pour certainement rendre un de ses derniers services au régime en place. Autour de la table, un directeur technique de la Caisse de stabilisation des prix des hydrocarbures (Csph), un des directeurs de la Société de dépôts pétroliers (Scdp), un syndicaliste du secteur des transports, le représentant d'une association des consommateurs...

Un casting bien fait pour atteindre l'objectif de ce débat: préparer l'opinion nationale, notamment les consommateurs de carburant et de gaz domestique, à une imminente hausse des prix à la pompe. Il ne faut en effet pas être un érudit pour comprendre que la plupart des panélistes, aidés en cela par un modérateur qui leur accordait la part belle dans le temps de parole, ont tous tenté de démontrer, avec des tableaux et des chiffres à l'appui, que l'Etat ne peut plus continuer à subventionner les prix des carburants à la pompe. Ou du moins que le gouvernement devrait penser à réduire cette subvention.


La presse à capitaux publics en branle

Dans son édition du mercredi 18 juillet 2012, Cameroon Tribune, fait lui aussi une sortie sur les prix des carburants à la pompe. Son principal titre revient en effet sur «ce que coûtent les subventions» entreprises par l'Etat depuis cinq ans sur certains produits de consommation, notamment le carburant et le gaz domestique. Le quotidien à capitaux publics estime que c'est une question de «solidarité nationale». En tout cas, pour ce confrère qui ouvrait ainsi une série d'articles au sujet des subventions, le débat s'anime au sujet du maintien ou non de certains de ces postes de dépense.

Le troisième larron de cette sortie organisée n'est autre que l'hebdomadaire du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), le parti au pouvoir. L'Action revient sur le fait qu'en plus de 5 ans, l'Etat a dépensé plus de 1 000 milliards FCFA pour bloquer les prix des carburants à la pompe et du gaz domestique. Et selon L'Action, ce sont des mesures qui profitent plus aux riches qu'aux pauvres. Même chose au poste national de la Crtv-radio, lorsqu'au «13 heures», un dossier a été servi aux auditeurs, sur la nécessité de reconsidérer la question des subventions, notamment celles des carburants.


Incursion dans les esprits

Ainsi donc, le gouvernement du septennat des «grandes réalisations» entend prendre des mesures qui devraient profiter aux pauvres, qui ne représentent pas moins de 10% de la population camerounaise. Mais, ces sorties médiatiques font ressortir un principal fait: Paul Biya souhaite procéder à la suppression (ou du moins à la réduction) des subventions des prix des carburants et du gaz domestique. D'où cette incursion dans les esprits des Camerounais. Mais, cette décision découle d'une principale pression. Celle des consommateurs, notamment les automobilistes, et plus particulièrement les transporteurs.

Une hausse des prix du carburant pourrait de nouveau conduire à un appel à une grève générale. Et il n'y a qu'à faire le rapprochement avec les émeutes dites «de la faim» en février 2008, en grande partie déclenchée par un autre appel à la grève des transporteurs. Et quand on se rappelle le soulèvement populaire en décembre dernier au Nigeria, lorsque le gouvernement fédéral avait décidé de supprimer ses subventions, on voit que les dirigeants camerounais ont véritablement peur d'annoncer cette subvention d'une manière brusque. La tactique est donc de préparer l'opinion, ceci dans le but d'éviter une explosion.


On passe à la vitesse supérieure!

Le martelage médiatique engagé par le gouvernement en ce début de semaine n'est pas très surprenant pour ceux qui suivent cette actualité depuis de longs mois. Il reflète tout simplement le fait que l'Etat a décidé de passer à la vitesse supérieure dans la préparation de l'opinion à la hausse des prix des carburants et du gaz domestique. Depuis le début de cette année, le sérail distille avec finesse des informations à la presse sur une éventuelle hausse des prix, pour tester l'opinion. On se souvient également que lors du Salon de l'entreprise, de la Pme et du partenariat de Yaoundé (Promote) en décembre 2011, Boniface Ze, directeur technique de la Csph, annonçait une augmentation imminente, avant de se rebiffer au regard de ce que sa déclaration avait déclenché comme réactions. Et c'est le même Boniface Ze qui était un des invités de Charles Ndongo mardi soir.

Entre temps, le Fmi et la Banque mondiale contribuaient également à préparer cette opinion. Même si elles semblaient s'appuyer sur des données objectives, les deux institutions ont à maintes reprises rappelé à Paul Biya et à son gouvernement que les subventions des prix des carburants ne sont pas appropriées. Le 28 mai dernier, une enquête conjointe de la Banque mondiale et du Comité technique de suivi des programmes économiques du ministère de l'Economie, de la planification et de l'aménagement du territoire (Minepat) faisait ressortir en grandes pompes que les subventions devenaient un fardeau chaque jour plus grand et difficilement soutenable par le budget de l'Etat. En plus de cela, il faut considérer que ce sont ces bailleurs de fonds qui ont réussi à donner au gouvernement le meilleur argument pour amadouer les Camerounais en cas de hausse des prix.

Ils expliquent en effet que les ressources mobilisées pour bloquer les prix à la pompe sont énormes et devraient plutôt servir au développement durable et équitable. Cet argent, selon eux, aurait dû être utilisé pour relever le niveau de vie des populations. Autrement dit, et c'est une phrase reprise par L'Action et Cameroon Tribune : «ces subventions profitent plus aux riches qu'aux pauvres». Le pouvoir Biya a désormais une bonne base pour appuyer son lavage de cerveaux. Surtout que l'échéance approche. On est donc passé à la vitesse supérieure!

Alain NOAH AWANA



Hausse des prix des carburants: Paul Biya réussira-t-il à éviter un autre février 2008?

Le contexte politique lié à cette période au projet de la modification de la constitution, l'augmentation des prix des produits pétroliers et des denrées de première nécessité, ont largement contribué au soulèvement de la population. Un remake en 2012?


7 février 2008. En direct de Ohene Djan Stadium à Accra au Ghana se joue la première demi finale de la 26e Coupe d'Afrique des nations (Can). Le Cameroun est l'un des protagonistes. Les Lions Indomptables, à la grande joie de nombreux camerounais, s'en sortent en battant le Black Star du Ghana sur le score de 1 but à 0. Sur le sol camerounais, cet heureux jeudi, les populations férues de football sont dans l'euphorie. Le gouvernement en profite pour augmenter en catimini les prix des carburants à la pompe. À ce moment, la hausse qui est de 15 FCFA, passe relativement inaperçue. Quelques jours plus tard, toutefois, le mécontentement de la population grandit dans un contexte où les prix de la plupart des produits de première nécessité sont en hausse. Egalement, des rumeurs courent, faisant état d'une prochaine hausse du prix du pain.

Le 23 février 2008, le Social Démocratique Front (Sdf) organise malgré l'interdiction du gouverneur une manifestation contre la modification de la constitution. La police disperse la manifestation et aurait utilisé des balles réelles. Il y aurait eu des morts. Une station service est mise à sac. Et un bus de la Socatur incendié. Le 25 février 2008, des Syndicats du secteur des transports urbains mettent à exécution leur mot d'ordre de grève. Ils contestent la hausse des prix des carburants. C'est le début de la grève des taxis. Des affrontements sont enregistrés ici et là dans la ville de Douala. Des personnes tuées. Les magasins sont pillés. Après Limbe, Bamenda, Buéa et Bafoussam, les émeutes se propagent à Yaoundé, la capitale du Cameroun. La grève est quasi générale. Le pays tout entier semble en flammes. Le bilan officiel, annoncé le 5 mars 2008 par le ministre de la Communication, fait état de 24 morts dont un policier; plus de 1 500 interpellations. Des chiffres contestés par l'Ong camerounaise «La maison des droits de l'homme», qui évoque, quant à elle, plus de cent morts. Dans la nuit du 26 au 27 février, les syndicats de taxi obtiennent une baisse du prix de vente de l'essence de 6 FCFA (5 FCFA pour le gazole et le pétrole).

Fin 2011. Des «indiscrétions» laissent penser que l'on s'achemine de nouveau vers une hausse des prix des carburants en 2012. Des syndicalistes montent au créneau pour dénoncer. Et annoncent comme ultime recours: la grève. Voire, un soulèvement. Les dirigeants qui n'ont probablement pas encore oublié les dommages d'une telle situation en 2008, tentent de rassurer l'opinion. Dans un communiqué rendu public le 15 décembre 2011, Ibrahim Talba Malla directeur général de la Caisse de stabilisation des prix des hydrocarbures (Csph), indique alors que «l'augmentation des prix du carburant n'est pas encore à l'ordre du jour». Même si au cours d'une réunion à Yaoundé, Essimi Menye, ancien ministre des Finances, déclarait: «il faudra bien choisir un jour entre construire des routes ou subventionner le carburant». L'heure 'H' est-elle arrivée? N'y a-t-il plus moyen de jouer à la politique de l'autruche? Contrairement à 2008 le gouvernement Philémon Yang a opté de préparer le public à l'acceptation de cette augmentation. Réussira-t-il sans heurts? Dans la mesure où les syndicats des transports routiers menacent.

Nadège Christelle BOWA



19/07/2012
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