Gouvernance : Paul Biya ou la tradition de l’opacité

Cameroun - Gouvernance : Paul Biya ou la tradition de l’opacitéCoupe du Cameroun, mise en place des institutions, calendrier électoral, etc., le chef de l’Etat a l’art de maintenir un flou permanent sur ces enjeux qui engagent pourtant la République.
Le 20 mai 2010, le Cameroun a célébré, dans un faste mémorable, le Cinquantenaire de son indépendance. Un moment républicain dont le Président de la République s’est fait échos dans son traditionnel message de vœux à la Nation prononcé le 31 décembre 2009 en ces termes : « le cinquantenaire de l’indépendance en 2010 vient comme en prélude au cinquantenaire de la Réunification que nous célèbrerons en 2011 ». Annoncé donc, ce dernier événement n’a pu se tenir dans les délais. Le 31 décembre 2011, Paul Biya a une fois encore annoncé que l’événement se célébrerait « avec toute la solennité nécessaire », à Buea, « dès que possible ».

Un échéancier flou et peu précis qui alimente nombre de commentaires alors qu’est déjà amorcé le dernier mois de l’année 2012. Le fait pourtant ne surprend guère. Il est même récurrent, tant les pirouettes du calendrier présidentiel sont régulières. Pour justifier la non tenue du cinquantenaire de la Réunification, le Chef de l’Etat a argué de la concomitance de la date de l’anniversaire de cet événement historique avec celle de l’élection présidentielle de 2011. Autant dire un événement connu d’avance. Ou qui devrait. Le calendrier électoral est en effet l’un de ces secteurs où la précision de la date est peu à l’ordre du jour. En octobre 2011, celle-ci n’a été rendue officielle que quelques semaines à l’avance. De même, alors que toutes les énergies républicaines semblent converger vers l’organisation des scrutins municipaux et législatifs de 2013, leur date n’est pas connue. Même s’il faut dire que les prorogations des mandats des députés et des conseillers municipaux rendent cette échéance difficile à prévoir. Mais Paul Biya n’a-t-il pas surpris tout le monde en décidant, comme cela n’est jamais arrivé par le passé, de la tenue des élections couplées municipales et législatives en 2002?

Flou permanent

Au cours de la session parlementaire de novembre 2012, les députés ont adopté une modification du code électoral portant particulièrement sur les élections au Sénat. Créée par la Constitution du 18 janvier 1996, la chambre haute du Parlement n’a pourtant jamais vu le jour. Les textes s’y rapportant ont déjà été modifiés par trois fois. Si dans ses discours, le Président de la République a plusieurs fois promis la mise en place de cette institution, en prévoir le moment précis pourrait relever de la divination. Il s’agit pourtant d’une institution centrale, issue d’un dialogue national et souvent revendiquée par l’opposition. Tout comme le Conseil Constitutionnel qui attend d’être mis en service. Pour tout calendrier, le Chef de l’Etat semble se résoudre à des expressions laconiques telles « bientôt », « progressivement », « dans les meilleurs délais », etc. Marque de fabrique ou héritage d’un système politique centralisé autour du chef ? D’après un analyste, les deux explications valent. D’autant que l’opinion semble s’y être accommodée. Deux semaines avant la fin de l’année, la date de la finale de la Coupe du Cameroun 2012 n’est toujours pas connue. Elle relève pourtant, d’après la pratique, du Cabinet civil de la Présidence de la République. L ’événement est censé clore la saison sportive. Un enjeu de portée nationale donc qui, comme à l’accoutumée, devrait être annoncé deux ou trois jours à l’avance. Mystères.
 
Réunification : Le serpent de mer du Cinquantenaire

Plusieurs fois annoncé et plusieurs fois repoussé, l’événement est géré dans le plus grand secret par la Présidence de la République.

A la fin de l’année 2011, La Nouvelle Expression a annoncé que le cinquantenaire de la Réunification se déroulerait à Buéa. Dans son adresse à la Nation quelques jours plus tard, le Chef de l’Etat est venu confirmer l’information qui circulait déjà. « Je voudrais dire que le Cinquantenaire de notre Réunification, intervenue, comme vous le savez, le 1er octobre 1961, sera célébré avec toute la solennité nécessaire. […] . Il le sera dès que possible, à Buéa, avec toute la dignité et la ferveur voulues, car nous ne devons jamais oublier que la Réunification fut le premier pas de notre Nation vers son unité », a déclaré Paul Biya le 31 décembre 2011. Un enjeu important donc, qui semble justifier les … imprécisions présidentielles. Ce renvoi, que Paul Biya justifie par « la concomitance de la date de l’anniversaire de cet événement historique avec celle de l’élection présidentielle», est en effet le second. Le 31 décembre 2009, le Chef de l’Etat avait en effet assuré que « le cinquantenaire de l’indépendance en 2010 vient comme en prélude au cinquantenaire de la Réunification que nous célèbrerons en 2011 ». Rendus à la fin de l’année 2012, la promesse présidentielle pourrait donc ne pas être respectée … ou pas. Dans le grand secret, Paul Biya entretient seul le mystère.

Des indices ont pourtant été lâchés çà et là. La promesse présidentielle d’abord, qui sonne comme une onction officielle de « la bouche la plus autorisée ». Un certain déploiement sur le terrain aussi. Plusieurs missions mandatées par le Cabinet civil de la Présidence de la République se sont en effet rendues sur le lieu de l’événement pour superviser les travaux d’embellissement et d’aménagement en cours dans la ville. L’accélération desdits travaux a même laissé croire que le jour-j était imminent. Tout pourtant reste suspendu à la décision du Chef de l’Etat. Ce fut également le cas à l’occasion de la célébration du cinquantenaire de l’armée camerounaise. Si la ville de Bamenda qui a abrité les festivités était déjà depuis longtemps l’objet d’une cure d’embellissement, la date de l’événement ne fut rendue publique que quelques jours avant. Une soudaineté qui ne manqua pas de provoquer des désagréments. Dans certaines villes du pays, le monument dédié aux héros tombés sur le champ d’honneur n’était pas achevé. Et a été inauguré avant l’achèvement des travaux.

Elections : L’éternel suspense

C’est toujours in extrémis que le président de la république convoque le corps électoral. En dépit des dispositions constitutionnelles qui encadrent ces échéances.

En 2013 doivent se tenir des élections législatives et municipales. Le rendez-vous est généralement cadré par le code électoral, mais suscite depuis plusieurs semaines bien des pronostics. Dans une parution récente, le quotidien privé Mutations situait la tenue de ces élections entre le 30 juin et le 18 septembre 2013. Un flou électoral qui rappelle d’autres. Déjà aux législatives de 1992, alors que les camerounais s’attendaient à remplir leur devoir civique en fin d’année 1991, les élections seront reportées au 16 février 1992, et ne se tiendront finalement qu’au 1er mars de la même année. A la manœuvre, Paul Biya qui, pense t-on, veut surprendre ses adversaires et ne pas leur donner le temps de se préparer. La surprise de cette décision a fini par braquer le Sdf qui choisit alors, en signe de protestation, de boycotter lesdites élections.

Bis repetita quelques mois plus tard. Alors que les quatre millions d’électeurs vivent encore l’ambiance des législatives et municipales, Paul Biya, le 25 mars 1992 convoque le corps électoral pour le 11 octobre de la même année. Même scenario observé aux législatives de 1997. Prévues se tenir en début du mois de mars, elles ne se tiendront pourtant que deux mois plus tard. Stratégie de la diversion ? Le Président de la république prendra encore ses adversaires politiques au contre pied en convoquant pour la première fois des élections couplées législatives-municipales en 2002. En 1997, ce n’est qu’au moment de la convocation du corps électoral que l’opinion fut informée de la date de l’élection. Pareil pour les élections présidentielles. En 2004, c’est un mois avant les élections soit le 11 septembre que le président de la république avait convoqué le corps électoral étant lui-même à … l’étranger ! Ce qui est pour le moins inhabituel. Alors que dans d’autres pays les dates des élections sont connues au moins cinq mois avant, au Cameroun les choses semblent bien souvent ne se faire qu’à la dernière minute. Une méthode dont Paul Biya détient la marque de fabrique.

Sport : Dame coupe adore se faire désirer

Chaque année, c’est souvent deux ou trois jours avant qu’est annoncée la date de la tenue de cet événement pourtant prévu de longue date.

La finale de l'édition 2012 de la Coupe du Cameroun de football opposera l'Unisport du Haut Nkam à New stars de Douala. Cette année, alors que la date de la reprise du championnat est prévue pour le 5 janvier prochain, les spéculations continuent autour de la date exacte des festivités relatives à cet événement. Deux semaines seulement avant la fin de l’année. D’aucuns parlent du 19 décembre, et d’autres du 22 du même mois. En effet, c’est toujours quelques jours avant ou deux semaines tout au plus, que la date de la finale de la Coupe du Cameroun est souvent rendue publique. Et pour cause : « il faut prendre en compte le programme du chef de l'Etat. Car c’est lui qui préside cet évènement », répond-t-on. Ce qui ne manque pas de susciter une litanie de questions : pourquoi la Présidence de la République n’arrive-t-elle pas à fixer longtemps à l’avance cet évènement ? Pourquoi cela met-il autant de temps ? Est-ce une politique du chef de l’Etat ? Ou une simple fantaisie ?

En 2010 déjà, las d’attendre le quitus présidentiel, le public du stade Ahmadou Ahidjo avait dû se résoudre à vivre une finale présidée, comme cela n’est pas toujours le cas, par le Premier ministre. Quelques années avant, la Fédération camerounaise de football avait même menacé de faire démarrer sa nouvelle saison avant que ne soit jouée la finale de la Coupe du Cameroun. Motif : le repoussement à volonté de la date de cette dernière échéance menaçait d’affecter son calendrier. D’année en année, le problème persiste. Avec des conséquences souvent désastreuses pour les clubs finalistes. A titre d’illustration, la finale de la Coupe du Cameroun intervient pour la plupart du temps à un moment où ceux-ci ont déjà effectué les transferts des joueurs. Par conséquent, ceux qui la jouent ne sont pas toujours ceux qui ont fournis des efforts pour arriver à ce stade de la compétition. Outre ce fait, les finalistes n’ont parfois pas le temps de bien se préparer puisque la date leur est souvent donnée quelques jours avant. Ces dernières années, en plus d’être indécis sur la date officielle de la finale, des incertitudes pèsent également sur la présence même du président de la République à cet évènement. Paul Biya pourrait-il se faire représenter par quelqu’un d’autre ou par le premier ministre, Philémon Yang comme lors de l’édition 2010 entre Fovu de Baham et les Astres de Douala ? Si oui, à quoi aurait servi tout ce temps mis à prendre en compte « le programme du chef de l’Etat » ?

© La Nouvelle Expression : Arthur Wandji, S-L.N & Yannick Mbazoa


17/12/2012
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