Gouvernance: Des responsables du MINAS accusés de détournement de 3 milliards

Yaoundé, 03 avril 2013
© Ferdinand Ngoun | Repères

Cet argent issu des fonds PPTE devait servir à recaser 500 enfants de la rue sur trois ans.

En mars 2008, le Gouvernement décide de recaser 500 enfants de la rue à travers un projet pilote dénommé EDR (Enfants de la Rue) pour la période 2009/2011. Le projet, financé sur fonds PPTE, dans le cadre de l'Initiative de l'Allègement de la Dette Multilatérale du Cameroun (IADM) devait permettre d'identifier, d'encadrer et de réinsérer les enfants de la rue des villes de Douala et Yaoundé dans trois centres. Il s'agit de l'Institut de l'Enfance de Betamba (ICE) à Ntui dans la Région du Centre, du Centre d'Accueil de Douala et du Postal Bursal Institute de Buea. Coût du projet: 3 milliards de FCFA. Dans le même budget, il était également question de réhabiliter les logements, les bureaux, d'équiper les salles de classe et les ateliers et de nourrir, durant les trois ans du projet, les enfants ramassés dans les rues.

C'est seulement en 2010 que l'ICE de Betamba, situé à 155 Km de Yaoundé, reçoit ses premiers pensionnaires. 49 au total sur les 120 annoncés, venus en vague successive. Pour rendre leur séjour agréable, le Ministère des Affaires Sociales avait convoyé 3 postes téléviseurs, une voiture de transport (Hiace), des lits, matelas, draps, matériels pour atelier menuiserie, agropastoral et mécanique. Trois ateliers dont la vannerie, la couture et la maçonnerie initialement prévus ne sont plus réalisés. La situation va tourner au vinaigre.

Avec les conditions de vie très difficiles, le manque de nourriture, de soins de santé et de personnel qualifié pour la formation, les jeunes demandent à repartir dans la rue. «Je ne pouvais plus supporter ce rythme de vie là. On nous donnait des biscuits comme nourriture et quand vous tombiez malade, il fallait se débrouiller. J'ai vu mon camarade de lit mourir comme les blagues», raconte Salomon Kalschibe, le seul jeune de cette cuvée d'enfants de la rue à avoir décroché un Certificat d'Etudes Primaires (CEP). Il nettoie actuellement les poulets au marché du Mfoundi, à Yaoundé.

Amaigris, les jeunes vont se muer en chapardeurs dans les plantations des riverains. Ils vont jusqu'à voler dans le domicile de M. Louis Claude Nyassa, une élite du coin en vidant ses congélateurs. «Mes camarades et moi étions décidés à finir avec le Directeur. Il se fichait de nous et disait qu’on avait qu’à aller voir ailleurs. C’est pourquoi on a fait toutes ces gaffes», poursuit Salomon Kalschibe. Alerté, le Préfet du Mbam et Kim de l'époque, M. Awa Fonka Augustine, est descendu sur les lieux le 16 juin 2010 pour apaiser les esprits. Rien n'y est fait. Les enfants sont déterminés à fuir cet «enfer». «Mieux la rue, mieux la rue, le Gouvernement est venu ici pour nous abandonner. On ne peut plus supporter ça», se souvient Kalschibe des inscriptions faites sur les pancartes.

Sine die, le Préfet Awa Fonka joint Mme le Ministre des Affaires Sociales, Catherine Bakan Mbog, au téléphone pour trouver une sortie de crise. Un appel vain. Il décide donc de renvoyer les enfants dans la rue trois jours plus tard. «On ne pouvait plus les contenir. Non seulement l'infirmerie que je dirigeais n'avait jamais été approvisionné, mais ils ne mangeaient pas. Le Directeur n’avait le temps de personne», se rappelle M. Alain Okalia, infirmier chef. En gros, les enfants ont passé 4 mois seulement à Betamba. «M. le journaliste, c'est une situation que nous avions déplorée ici au Ministère. M. Pierre Bayomog (Coordonnateur du projet: Ndlr), n'en faisait qu'à sa tête, j'ai même l'impression que dans cette gabegie à ciel ouvert, il avait les bénédictions de la Ministre parce qu'on n'a pas compris comment ces enfants venus de Betamba pour faire un sit-in ont plutôt été réprimandés», confie une source qui a ses habitudes au Ministère des Affaires Sociales.


Détournement?

Selon une documentation mise à la disposition de «Repères», une situation comme celle de Betamba n'aurait pas dû arriver. Tout avait été mis en œuvre pour un encadrement efficace des enfants de la rue. «Encore que 3 milliards pour trois ans, c'était assez costaud. Ces enfants devaient même être nourris au poulet tous les jours», poursuit une autre source ayant travaillé dans le projet. Par semestre, il était prévu 675 000 FCFA pour l'achat matériel technique et didactique, 2,7 millions pour l'alimentation, 225 000 pour les lubrifiants et carburant, 1,35 millions pour la fourniture en médicaments, 450 000 pour la fourniture en matériel de bureau, 540 000 pour les indemnités de missions internes, 1,5 millions pour la prise en charge des agents temporaires et 250 000 pour les divers. Ce qui fait en tout 7 690 000 FCFA par semestre. «Mais je vous jure que rien n’a été fait. L’infirmerie n’avait pas de médicaments et n’en avait jamais reçu, les enfants étaient nourris une fois par jour et parfois pas, on n'a jamais connu de missions, les temporaires n'ont jamais été payés et jamais on a eu une dotation en matériel», observe M. Alain Okalia.

«La preuve, M. Dieudonné Ngue, le Directeur du centre et M. Marc Bengono Mbida, l'éducateur en chef, ont été enfermés sur ordre du Préfet à la Compagnie de Ntui. Ils ont été accusés par l'autorité administrative d'avoir scanné sa signature pour continuer à percevoir illégalement les cartons et avec les dénonciations des populations qui voyaient le joyau se vider, les carottes étaient cuites pour eux», nous confie une source proche du dossier qui reconnait que des trois centres choisis, Betamba avait le plus gros budget. Soit 15 millions par an rien que dans le cadre du projet. «Minablement, ça fait 45 millions, rien que pour Betamba en 3 ans, 42 pour Douala, et sensiblement 37 millions pour Buea. Tout calcul fait, on n'a dépensé seulement 124 millions sur les 3 milliards mis à fonds. Une vraie hutte à détournements», se plaint un cadre en service à la Direction de l'Action Sociale au MINAS.

M. Pierre Bayomog, le Coordonnateur du projet est introuvable à son bureau à la porte 212 au MINAS, toutes les tentatives de le joindre par téléphone sont restées infructueuses. «Vraiment mon fils, il faut laisser l'affaire-là. Tu as un père et comment tu veux faire ça à ton père qui prépare sa retraite. C'est déjà passé et le Ministre qui est une grande sœur a déjà oublié», raisonne une Secrétaire du Coordonateur.


03/04/2013
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