Gestion de l’état civil au Cameroun : La charrue avant les bœufs
Le décret présidentiel créant le Bureau National de l’Etat Civil intervient dans un environnement d’autant plus complexe que la question nationale reste toujours posée.
L’état civil vient d’être réorganisé par un décret du Président Paul BIYA qui crée le Bureau National de l’Etat Civil (BUNEC) chargé de » la collecte, de l’archivage et de la centralisation des données et documents relatifs à l’état civil, en vue de la constitution d’un fichier national de l’état civil ».
Cette mesure correspond aux attentes de la plupart des camerounais qui assistent impuissants aux dommages causés par les dysfonctionnements dans l’organisation de l’état civil : documents frauduleux, qualité des documents non validée, nationalité bradée et la liste n’est pas close... L’image même du pays en a pris un sacré coup avec les nombreux cas de faux à l’état civil détectés dans les pays étrangers. Des ambassades de certains pays représentés au Cameroun ont été obligées de recruter du personnel pour authentifier les actes d’état civil camerounais, présentés dans leurs pays. Le décret présidentiel qui a pour ambition de stopper ces dérives a-t-il les moyens ?
D’abord les fonds des documents d’archives de l’état civil ont une structuration complexe : Le fonds germanique traité selon la tradition archivistique prussienne, le fonds français traité selon la tradition française en la matière, le fonds britannique, traité selon la tradition anglo-saxonne et le fonds camerounais des archives de l’état civil, depuis les années 60. En dehors des barrières linguistiques, de l’articulation des techniques de traitement, il faut régler l’épineux problème du rapatriement des fonds : Ces fonds se laisseront-ils rapatrier ? A quel prix ? Par qui ?
Ce décret présidentiel signé en 2013, dans un contexte marqué par La mondialisation et l’invasion des T.I.C., porte la marque de son temps : Le support des documents d’état civil va de plus en plus, voire désormais, être le numérique, le support papier étant appelé à céder la place, du moins, progressivement. L’état civil sur support numérique a-t-il un avenir au Cameroun ? Dans le contexte actuel, les choses ne sont pas aussi évidentes : Le vide juridique qui encadre les activités de numérisation au Cameroun, est un handicap majeur. Le texte sur la cyber-sécurité et la cybercriminalité est une avancée, mais celui sur la certification électronique n’est pas complétée par la panoplie des textes sur la preuve électronique, le tiers archiveur,…etc. La plupart des problèmes majeurs posés par ces textes sont renvoyés à des textes particuliers dont certains sont attendus depuis plus de dix ans. Pourtant des questions fondamentales demeurent : Qui conserve les données de souveraineté ? Quels sont ses devoirs et ses droits ? Le citoyen a quels droits ? Si le fichier des empreintes digitales du Cameroun est par exemple vendu à un pays étranger par un opérateur indélicat, qu’est-ce qui va se passer ? Ce secteur a aussi besoin de transparence, de visibilité, de gouvernance.
Le seul acquis véritable du Cameroun pour la numérisation de l’état civil, c’est la fibre optique qui peut vraiment booster ces opérations. Le complément de l’environnement juridique de cette activité est encore attendu ; Le plus important, c’est que ces activités qui sont nouvelles, ne peuvent être conçues et organisées par le staff de l’administration, elles ne peuvent effectivement être conçues et menées que par des partenaires de l’administration, à l’expertise reconnue. Ce type d’expertise est nécessaire pour tous les projets transversaux où les paradigmes de mondialisation, T.I.C., universalité, normalisation, sont dominants. Le décret créant le Bureau National de l’Etat Civil pêche par ce côté : La gestion de l’état civil y est présentée de la manière la plus traditionnelle alors qu’il s’agit en réalité d’une gestion postmoderne.
Le décret sur le BUNEC pose le problème des documents de souveraineté au Cameroun : les documents numériques de souveraineté sous nos cieux sont progressivement numérisés : les cartes d’identité, les passeports, les cartes électorales, certaines cartes d’étudiants…. Va-t-on créer une structure pour chaque type de document ? Nous avons déjà la SACEL pour les cartes d’identité, le BUNEC pour l’état civil, demain d’autres organismes ?
A notre avis, il semble plus judicieux de créer un organisme chargé de la production et de la gestion de tous les documents de souveraineté. L’approche actuelle, par trop alimentaire, manque d’efficacité et de rigueur.
En dehors de ces quelques remarques non exhaustives par ailleurs, le problème basique reste celui de la question nationale : Etre camerounais c’est quoi ? Allogène c’est quoi ? Autochtone c’est quoi ? La question nationale ne peut trouver de solution que dans un débat national, participatif, au cours duquel les citoyens jettent les bases du vivre ensemble. L’état civil est la formalisation entres autres de ces solutions. Maintes fois éludée dans notre pays, la question nationale est remise sur la table par le BUNEC.