Paul Biya Photo: © Archives Paul Biya parle peu, ne communique pas beaucoup. C'est là un trait de caractère que ne démentiront ni les membres de sa famille, ni ses condisciples, des petits séminaires d'Akono et d'Edéa et encore moins ses proches collaborateurs. Est-ce ce manque d'ouverture sur les autres, cette absence (permanente ?) de communication qui font en sorte que son régime ait mauvaise presse auprès d'une frange très importante à l'intérieur du pays et hors de nos frontières ? Ou alors est-ce la manière dont il dirige le pays avec son entourage de corrompus patentés qui donne de lui et de son régime une image si négative auprès des opinions publique nationale et internationale ? Ce sont les deux choses à la fois.
Echec de Fame Ndongo ?
Jacques Fame Ndongo, journaliste de formation, actuel ministre de l'Enseignement supérieur après l'avoir été à la communication, a dirigé pendant une vingtaine d'années (à partir de 1984) la cellule de communication à la présidence de la République. Le chef de l'Etat a hérité de son passage là-bas cette gestuelle bien particulière d'agiter les deux bras d'une manière synchronisée quand il délivre son discours. En une vingtaine d'années de service auprès du prince, Jacques Fame Ndongo n'a pas réussi à transformer le chef de l'Etat en communicateur pas comme l'était, c'est trop de prétention un Ronald Reagan, le président américain surnommé le «Grand communicateur». Paul Biya est resté dans son cocon, se livrant à de rares occasions à la presse de son pays et étrangère, s'adressant rarement à son peuple en dehors des fêtes officielles (fête de la Jeunesse, discours de fin d'année, et effectuant très peu de tournées dans le Cameroun profond. Mêmes les conseils ministériels, qui sont une institution dans tout pays moderne digne de ce nom, sont une denrée rare comme un bien économique chez le président camerounais. En France, le Conseil ministériel est hebdomadaire, au Cameroun il n'est même pas mensuel, ce qui fait donc que la communication, les contacts entre le chef de l'Etat et les membres de son gouvernement sont rares. On peut donc dire que la mission de Jacques Fame Ndongo est un échec patent, pas de la faute du ministre de l'Enseignement supérieur mais de celle du chef de l'Etat. Il est donc tout à fait normal qu'on puisse avancer que l'un des problèmes de la mauvaise image du chef de l'Etat, auprès de l'opinion publique nationale et internationale est le chef de l'Etat en personne.
Un directeur de la communication présidentielle
Le chef de l'Etat devrait être en contact permanent avec son peuple et avec la presse au moins une fois par mois. Comme dans les autres pays, une salle de presse devrait être aménagée à la présidence de la République pour des points de presse animés pas nécessairement par le chef de l’Etat en personne mais par ses communicateurs. Ce rôle peut être dévolu au directeur du cabinet civil Martin Belinga Eboutou ou à son adjoint Joseph Anderson Lee ou par le porte parole de la Présidence de la République. A notre humble avis il y a nécessité d'instaurer un poste de porte-parole de la présidence de la République dont le rôle et les missions ne doivent pas être confondus avec ceux du porte-parole du gouvernement. Ce que fait actuellement le cabinet civil c'est-à-dire la confection et la diffusion des communiqués de presse annonçant les voyages du chef de l'Etat et de son épouse ne suffit pas. C'est le porte-parole de la présidence qui par des communiqués et des points de presse défend par exemple le chef de l'Etat quand il est attaqué à l'intérieur mais surtout à l'extérieur par les médias ou la diaspora camerounaise. Et comme nous l'avons dit plus haut, la cellule de la communication (nous nous préférons ces termes "direction de la communication présidentielle") doit comporter en son sein, des juristes, des politologues, des économistes des experts en communication pour pouvoir défendre avec des arguments forts le chef de l'Etat chaque fois qu'il est attaqué.
Pour la communication de la présidence, il y a une autre formule employée surtout dans les pays occidentaux qu'on peut introduire chez nous, c'est celle d'une estrade ou d'une tribune installées sur le perron de la présidence de la République où le chef de l'Etat, ses collaborateurs ou un hôte de marque peut s'exprimer après une rencontre. Quelle que soit la formule utilisée (salle de presse, tribune interne ou externe), la direction de la communication présidentielle doit avoir les coordonnées des médias non seulement publics (Crtv, Cameroon Tribune) mais également prives, pour pouvoir les joindre à tout moment quand il y a une déclaration à faire.
Issa Tchiroma Bakary: un cafouilleur ?
Augustin Kontchou Kouomegni est venu et s'est débrouillé, en tant que ministre de la communication et porte-parole du gouvernement, à rehausser cette image dans un contexte difficile de contestation politique et de revendications sociales au début et pendant les années 1990. Il a effectué sa mission, il faut le reconnaître avec un certain succès. Ses successeurs n'ayant pas la même envergure que lui, ce qui a fait que la communication gouvernementale s'est grippée jusqu'au jour où est apparu un homme (providentiel ?) en la personne de l'actuel ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary. Mais à trop vouloir embrasser, à trop vouloir faire, le ministre de la Communication cafouille, dit des bêtises qui mettent parfois le chef de l'Etat et les caciques du Rdpc dans l'embarras. Il sait tout, il s'exprime surtout sans même parfois prendre l'avis de sa hiérarchie. Et depuis qu'il est là rien n'a changé sur l'image de marque du chef de l'Etat et du Cameroun à l'extérieur. Bien au contraire les choses ont empiré. Les déclarations contradictoires qu'il fait sur certains dossiers montrent parfois qu'il ne maîtrise rien, ce qui fait qu'il est depuis quelque temps la risée de ses compatriotes, des médias et de l'opinion publique internationale.
Quand Issa Tchiroma Bakary prend possession du ministère de la communication après le remaniement du 30 juin 2009, il a une mission claire: rehausser l'image de marque du chef de l’Etat auprès de l’opinion publique nationale et celle du Cameroun auprès de cette même opinion internationale. Il croit la tâche aisée, facile. Il croit alors que pour réussir sa mission, il suffit d'amadouer, de corrompre les journalistes nationaux en leur faisant miroiter certains avantages matériels, financiers (aide à la presse privée qui va passer de 150 à 250 millions par an) et à des déclarations tonitruantes et aux démentis en direction ou à l'attention des médias et de l'opinion publique internationale. Six mois après, rien n'a changé, que s'est-il donc passé ?
Sur le plan national, une grande partie de la population n'a plus confiance en Biya et en son régime. Pour ces compatriotes, les trucages opérés par le Rdpc lors de différentes élections organisées dans le pays, la crise économique, la corruption et les détournements de fonds publics, les fausses promesses ont décrédibilisé totalement le chef de l'Etat, l'ensemble de son régime et de son parti. Il est donc difficile de convaincre cette partie de l'opinion nationale que l'actuel chef de l'Etat peut encore faire quelque chose de bon. Il ne s'agit pas seulement de l'affaire de l'opposition comme certains tendent à le faire croire, car il se trouve au sein même du Rdpc des gens qui pensent qu'il n'y a pas de solution miracle pour rehausser l'image de marque du chef de l'Etat. Il y a donc un phénomène de rejet de Paul Biya et de sa politique par une frange importante de la population. Dans ce cas, aucun plan média, aucune campagne médiatique, aucun battage médiatique n'est en mesure de retourner l'opinion en faveur du chef de l'Etat.
Aurore Plus est au courant qu'il faut muscler, renforcer la cellule de communication de la présidence de la République en y intégrant des journalistes et autres communicateurs de tout poil. Quel est le profil de ceux qui seront cooptés ? Nous n'en savons rien, mais nous pensons que cela ne changera pas la donne. La cellule de communication de la présidence de la République qui est chapeautée par Martin Belinga Eboutou, directeur du Cabinet civil ne devrait faire appel à des journalistes. Elle devrait faire appel à des personnes d’horizon divers : Communication politique, relations publiques, sciences politiques, etc. Laisser cette affaire entre les mains des seuls journalistes serait une très mauvaise chose. Nous pensons que des professeurs ou des experts en sciences politiques devraient être intégrés dans cette équipe en constitution actuellement sous la férule du directeur du cabinet civil. De même, devraient faire partie de ce groupe des professeurs, experts ou consultants en communication politique qu'on peut aisément trouver à l'Ecole supérieur des sciences et techniques de information et de la communication (Esstic).
Beaucoup de déclarations ou d'initiatives prises par Issa Tchiroma Bakary ne vont rien changer. Le ministre de la communication ne comprend rien à rien quand il tance vertement les chefs de cellules de communication des ministères qui ne font rien selon lui pour rendre visible auprès de l'opinion publique nationale le travail gouvernemental. Il ne servira également à rien de donner de l'argent en catimini à certains journaux afin qu'ils changent leur ligne éditoriale où à en créer qui soient favorables au régime de Paul Biya. Quand un journal existant est retourné moyennant espèces sonnantes et trébuchantes, l'opinion publique s'en rend très vite compte et s'en détourne aussitôt. Il ne peut alors survivre que grâce à ces subsides qui, lorsqu'ils sont coupés, provoquent la disparition du titre en question. Même lorsque le régime de Biya crée par personnes ou journalistes interposés pour faire sa promotion, sa durée de vie est très limitée comme c'est le cas du Patriote qui était dirigé en sous-marin par Jacques Fame Ndongo et financé par des fonds publics. Généralement ce genre d'opérations est un véritable gouffre financier.
Sur le plan international, la communication du régime Biya est également atone, nulle. Et toutes les mesures que veulent ou sont entrain de vouloir prendre le cabinet civil de la présidence de la République et le ministère de la Communication ne seront qu'un coup d'épée dans l'eau.
Des cabinets conseils aussi
Le chef de l'Etat dépense beaucoup d'argent à travers ses conseillers en communication étrangers comme la Française Patricia Balme, pour un piètre résultat. En effet, il est déplorable de constater que depuis que le chef de l'Etat utilise ces experts étrangers (Séguéla bien avant Balme) sa cote n'a jamais été en hausse ni dans les médias occidentaux ni chez leurs dirigeants politiques. La présidence de la République a souvent acheté des espaces dans divers journaux occidentaux et Jeune Afrique sous forme de publi-tribune, mais rien n'y a fait. Ces derniers jours, le régime de Biya a recruté à tous crins des journalistes en Suisse où le chef de l'Etat séjourne régulièrement en privé. On parle notamment de Dominique Flaux, directeur de publication du Journal Les Afriques et d'un journaliste indépendant. Tout cela est à fonds perdus, car le locataire du palais d'Etoudi et son entourage ne sont pas sans ignorer le lecteur occidental n'est pas dupe, il sait faire la part des choses, séparer le bon grain de l'ivraie, distinguer la réalité d'un pays, ce qui s'y passe effectivement et le publi-tribune ou publi-reportage, des opérations de blanchiment des régimes africains.
De même, les centres de presse crées dans certaines ambassades du Cameroun à l'extérieur en général et en Europe occidentale et en Amérique du Nord en particulier ne sont d'aucune utilité car quand ils voudraient bien faire leur travail qu'ils ne le pourraient pas par manque de moyens. Tout comme ne donnera rien les missions que les membres du gouvernement qui vont sillonner certaines villes occidentales pour convaincre nos compatriotes installés de ne plus ternir l'image de marque du chef de l'Etat et de notre pays. Certains gros malins de cette diaspora vont prendre l'argent de la corruption que leur donneront ces délégations et vont faire semblant de mettre une sourdine à leurs attaques.
Toutes les campagnes pour rehausser l'image de marque du chef de l'Etat à l'étranger ont toujours été parasitées par la diaspora qui est plus écoutée par l'opinion publique occidentale, plus encline à croire à ses arguments qu'a ceux qui sont avancés par le gouvernement camerounais même si elle dit parfois des faussetés. En effet il est bien établi que tout ce que cette diaspora raconte sur Paul Biya n'est pas vrai, mais le régime de Paul Biya peut-il apporter la preuve du contraire ? C'est là le problème. Cette diaspora ne représente en réalité aucun danger pour le régime de Paul Biya mais elle le gêne aux entournures.
Cette mauvaise et méchante campagne à l'extérieur contre le président Biya et notre pays fait en sorte que beaucoup d'investisseurs étrangers ne se précipitent pas, ne se bousculent pour venir chez nous alors que le potentiel économique est énorme. Les investissements directs étrangers (Ide) sont insignifiants au Cameroun alors qu'ils se dirigent parfois vers des pays auxquels le Cameroun n'a rien à envier sur tous les plans. En effet que représente l'Ouganda ou le Rwanda par rapport au Cameroun en tout point de vue ? Rien absolument, peut-être l'Ouganda qui a une superficie de 240.000 Km2 et une vingtaine de millions d'habitants. Avant qu'on n'y découvre récemment du pétrole et du gaz, c'était un pays essentiellement agricole où la paix n'y règne pas totalement comme au Cameroun. On peut en conclure que notre communication pour attirer les investisseurs étrangers chez nous est défaillante. Le séjour actuel du Premier ministre Philemon Yang aux Etats-Unis ne résoudra pas le problème.
Recours ultime de dictateurs ou assimilés comme tels
Au-delà d'un certain nombre de considérations, nous ne comprenons pas pourquoi les régimes dictatoriaux, tortionnaires et antidémocratiques des présidents Yoweri Kaguta Museveni et Paul Kagame du Rwanda sont très cotés en Occident alors qu'au Cameroun on jouit d'une relative liberté d'opinion et politique ? Au Rwanda par exemple, Paul Kagame fait la pluie et le beau temps, contrôle l'opposition ou tous ceux qui veulent lever la tête mais est puissamment soutenu par les Américains et les Britanniques qui sont ses alliés inconditionnels. Yoweri Kaguta Museveni jouit également des faveurs identiques des dirigeants de ces pays en dépit des violations, parfois graves, des droits chez lui. Il a verrouillé le pays en nommant à des postes stratégiques les membres de sa famille.
Il y a donc un problème Biya. Pourquoi n'est-il pas estimé par ses pairs occidentaux ? Est-ce de la malchance ? On est en droit de se poser cette question car certains présidents africains font pire que Biya mais sont rarement indexés par la presse occidentale ou les dirigeants. Pourquoi ne fait-il pas bonne presse dans ces pays ? Le président du Sénégal Abdoulaye Wade fait souvent des déclarations, des sorties tonitruantes, mais on lui pardonne facilement ces incartades à mettre peut être sous le compte de la sénilité alors que Biya qui parle rarement, subit, avale beaucoup de couleuvres. Pourquoi les dirigeants politiques occidentaux et leurs médias ne sont pas indulgents vis-à-vis du président camerounais comme ils le font avec ses homologues africains ? Nous sommes dans l'incapacité de répondre à cette question. Il y a aussi quelque chose qu'on ne comprend pas: Paul Biya n'a jamais eu d'«amis» parmi les dirigeants occidentaux en 28 ans de pouvoir. Quand on prend l'exemple du président sénégalais Abdoulaye Wade, on sait que le courant passait aisément entre le président américain George W. Bush qu'il n'hésitait pas a appeler au téléphone pour échanger. Il le fait également avec le président français Nicolas Sarkozy et avec des monarques des pays arabes et du Golfe persique. Le défunt président gabonais, El Hadj Omar Bongo Ondimba fonctionnait de la même manière. Tout comme le président congolais Denis Sassou Nguesso qui se targue d'être l'ami de l'ancien président français Jacques Chirac. L'ancien président nigérian Olusegun Obasanjo était un ami personnel de George W. Bush. Paul Biya ayant compris cela, avait utilisé la proximité qu'il y avait entre les deux hommes pour régler le problème de la presqu'île de Bakassi qui opposait le Cameroun et le Nigeria.
C'est tout le contraire pour Paul Biya qui n'a jamais trouvé grâce auprès de ses pairs occidentaux. Avec tous les présidents français, de François Mitterrand à Nicolas Sarkozy en passant par Jacques Chirac, les relations n'ont jamais été chaudes. Elles auraient pu être bonnes avec le dernier cité, mais le président camerounais avait misé sur Edouard Balladur à l'élection présidentielle française de 1995, ce qui lui valut une tenace rancune de l'ancien chef de l'Etat français. Il avait fallu des années pour que les relations entre les deux hommes redeviennent normales, mais la blessure était restée ouverte, béante, à tel point que quand Jacques Chirac qualifiait Paul Biya d'ami, ce n'était que des mots pour amuser la galerie. Avec François Mitterrand, les relations étaient passables, ce président français étant un homme très froid, pas du tout chaleureux comme Jacques Chirac. Pour Nicolas Sarkozy, il a fallu l'intervention des communicateurs français de Paul Biya tel Patricia Balme, des milieux d'affaires pour que le chef de l'Etat camerounais soit accepté. La preuve est là que Paul Biya et le Cameroun ne font pas partie des préoccupations du président français est qu'il n'a jamais daigné rendre visite à son pair et son pays alors qu'on l'a vu, même pour quelques minutes, dans certains pays d'Afrique noire qui sont moins importants que le Cameroun.
Sur tout cela, Paul Biya doit réfléchir pour comprendre ce qui ne va pas et y trouver des solutions. Et comme nous l'avons dit plus haut, les campagnes de communication ne vont pas changer grand chose à la situation surtout en ce moment où l'on déplore la mort du journaliste Bibi Ngota la semaine dernière en prison. |