GERMAINE AHIDJO: «Je laisse Biya seul face à sa conscience»
Yaoundé, 03 Décembre 2012
© La Météo
Jeudi 6 mai 1990. Rue des Almadies, quartier chic de Dakar. Une villa attire l'attention. Non pas à cause de son architecture ou de sa splendeur, elle se veut d'ailleurs modeste à côté de celles qui l'entourent, mais davantage à cause des voitures garées hors de la barrière: une Renault 5, une Ssangyong et une Citroën.
Jeudi 6 mai 1990. Rue des Almadies, quartier chic de Dakar. Une villa attire l'attention. Non pas à cause de son architecture ou de sa splendeur, elle se veut d'ailleurs modeste à côté de celles qui l'entourent, mais davantage à cause des voitures garées hors de la barrière: une Renault 5, une Ssangyong et une Citroën. Des voitures qui rappellent une époque révolue. C'est le domicile de Germaine Ahidjo, la toute première First Lady du Cameroun, veuve depuis 23 ans.
C'est avec beaucoup de plaisir qu'elle évoque des faits historiques de la vie politique du Cameroun. A la fois nostalgique, mélancolique et passionnée, elle laisse transparaître quelques signes de lassitude lorsqu'elle évoque certains sujets. Quand il s'agit des frictions entre Biya et Ahidjo, elle devient un tout petit peu amer. Véritable bibliothèque vivante, témoin privilégiée de l'histoire du Cameroun, le temps n'a pas détérioré les multiples souvenirs enfouis dans sa mémoire. Seulement, elle laisse son interlocuteur sur sa faim. Elle donne l'impression de n'avoir pas tout dit.
Quelle image gardez-vous du Cameroun, 27 ans après votre départ?
C'est celle du Cameroun que j'ai laissé. Un pays bien. Un pays où les gens ont la joie de vivre. Le Cameroun était sur les rails du développement; il était économiquement solide. Vous conviendrez avec moi qu'entre temps, beaucoup de choses ont du changer. C’est normal. Ainsi est faite la vie. Un président de la république n’est pas un homme ordinaire. Je laisse Biya seul face à sa conscience. Seulement, je demande qu’on fasse une réhabilitation officielle de mon mari. On lui a mis trop de choses sur le dos…
Mais en même temps, je dirai que le Cameroun me manque énormément. Ma famille et mes amis y vivent. C'est vrai que certains sont morts et d'autres sont devenus invalides. Mais, ils me manquent tous. Le Cameroun est un pays que mon mari et moi aimions beaucoup. C'était un endroit merveilleux, un cadre idéal. Nos enfants allaient au Lycée. Babette, notre fille aînée que vous avez rencontrée tout à l'heure, a fait le Cuss (l'actuelle Faculté de médecine et Sciences biomédicales de Yaoundé, Ndlr). Je garde du Cameroun une bonne image.
Pouvez-vous rappeler aux Camerounais dans quelles conditions vous arrivez au Sénégal?
Nous sommes partis du Cameroun pour des vacances en France, mais aussi pour les soucis de santé de mon mari. Ahidjo était fatigué, surmené et il avait de plus en plus des pertes de mémoire. Il lui fallait du repos. Il a été admis dans une clinique. Quand son état s'est amélioré, il a voulu rentrer au Cameroun. C'est sur mon insistance qu'il n'y est pas retourné. Ensuite, il y a eu cette fameuse histoire de tentative de coup d'Etat en septembre 1983 où il a été-jugé et condamné à la peine capitale par contumace. Là, nous avons compris que nous étions devenus indésirables au Cameroun. On nous a retiré nos passeports. Quand on vous retire vos passeports, c'est qu'on vous retire aussi votre nationalité. Les autorités de Yaoundé avaient décidé que nous n'avions plus rien à voir avec le Cameroun. Nous sommes devenus des sans-papiers. Heureusement que Ahidjo avait gardé de très bonnes relations avec certaines autorités françaises et avec le Sénégal.
Le gouvernement sénégalais nous a offert des passeports. C'est dans ces conditions que nous venons nous installer à Dakar où mon mari avait acheté une modeste villa. Vous voyez bien qu'elle est en contradiction avec l'immense fortune qu'on lui a attribuée.
Comment avez-vous été accueillis par la communauté camerounaise de Dakar?
Il faut reconnaître que nous arrivons au Sénégal dans un climat de suspicion. Au Cameroun, nous étions devenus des parias. Pour ne pas faire du tord à certains de nos compatriotes, on évitait tout contact avec eux. On attribuait trop de choses à mon mari. Beaucoup de rumeurs nous parvenaient. Le Cameroun était devenu le pays des "on dit" (sic). On a par exemple dit qui Ahidjo avait recruté des mercenaires. Mais pour faire quoi ? Détruire tout ce qu'il avait construit ? Ce n'était pas dans son genre. C'était un bâtisseur. Il ne pouvait pas être sapeur pompier et pyromane en même temps.
Des tentatives de coup d'Etat ont été créées de toutes pièces et on lui collait tout cela sur le dos. L'entourage de Biya, mais aussi celui d'Ahidjo ont contribué à envenimer la situation. Leurs proches ont commis un tas de maladresses, les éloignant progressivement. Les deux communiquaient de moins en moins. Il y avait trop de malentendus, trop de fausses histoires.
Après les tristes évènements du 06 avril 1984, quelles étaient vos relations avec les Camerounais que vous croisiez souvent? En parliez-vous?
C'est comme je vous l'ai dit tout à l'heure, on voyait très peu de Camerounais et on évitait de parler politique. Surtout qu’à Yaoundé, on a fait croire au peuple que c'était Ahidjo l'auteur de ce soulèvement militaire devenu coup d'Etat. Et pour l'illustrer, on a choisi une partie de la conversation qu'il a eue ce matin-là au téléphone avec une journaliste de la radio française Rmc. J'étais présente lorsqu'il a reçu lé coup de fil. Lorsque la journaliste lui a annoncé qu'il y avait des combats à Yaoundé qui font penser a un coup d'Etat, Ahidjo a dit: "C'est vous qui me l'apprenez". Et elle a ensuite demandé: "Et si c'était vos partisans?" Sa réponse a été: "Si ce sont les miens, ils auront le dessus".
Curieusement, c'est seulement ce dernier passage que les autorités de Yaoundé ont choisi de faire écouter au peuple. C'était à dessein. Pourtant, nous n'étions même pas au courant de ce qui se passait à Yaoundé. Et même si Ahidjo était au courant de ce qu'il se préparait quelque chose au Cameroun, il n'y était pour rien. On oublie parfois qu'il est parti du pouvoir de lui-même. Personne ne l'a contraint. Pourquoi donc chercher à revenir?
Lorsque vous vous recueillez sur la tombe de votre illustre époux Son Excellence Ahmadou Ahidjo, peut-on avoir une idée de ce que vous vous dites en ce moment-là?
C'est toujours comme si je lui parlais. Je lui dis qu'il me manque beaucoup. Qu'il manque à ses enfants et à toute sa famille. Nous prions pour lui et nous veillerons toujours sur sa tombe.
© La Météo
Jeudi 6 mai 1990. Rue des Almadies, quartier chic de Dakar. Une villa attire l'attention. Non pas à cause de son architecture ou de sa splendeur, elle se veut d'ailleurs modeste à côté de celles qui l'entourent, mais davantage à cause des voitures garées hors de la barrière: une Renault 5, une Ssangyong et une Citroën.
Jeudi 6 mai 1990. Rue des Almadies, quartier chic de Dakar. Une villa attire l'attention. Non pas à cause de son architecture ou de sa splendeur, elle se veut d'ailleurs modeste à côté de celles qui l'entourent, mais davantage à cause des voitures garées hors de la barrière: une Renault 5, une Ssangyong et une Citroën. Des voitures qui rappellent une époque révolue. C'est le domicile de Germaine Ahidjo, la toute première First Lady du Cameroun, veuve depuis 23 ans.
C'est avec beaucoup de plaisir qu'elle évoque des faits historiques de la vie politique du Cameroun. A la fois nostalgique, mélancolique et passionnée, elle laisse transparaître quelques signes de lassitude lorsqu'elle évoque certains sujets. Quand il s'agit des frictions entre Biya et Ahidjo, elle devient un tout petit peu amer. Véritable bibliothèque vivante, témoin privilégiée de l'histoire du Cameroun, le temps n'a pas détérioré les multiples souvenirs enfouis dans sa mémoire. Seulement, elle laisse son interlocuteur sur sa faim. Elle donne l'impression de n'avoir pas tout dit.
Quelle image gardez-vous du Cameroun, 27 ans après votre départ?
C'est celle du Cameroun que j'ai laissé. Un pays bien. Un pays où les gens ont la joie de vivre. Le Cameroun était sur les rails du développement; il était économiquement solide. Vous conviendrez avec moi qu'entre temps, beaucoup de choses ont du changer. C’est normal. Ainsi est faite la vie. Un président de la république n’est pas un homme ordinaire. Je laisse Biya seul face à sa conscience. Seulement, je demande qu’on fasse une réhabilitation officielle de mon mari. On lui a mis trop de choses sur le dos…
Mais en même temps, je dirai que le Cameroun me manque énormément. Ma famille et mes amis y vivent. C'est vrai que certains sont morts et d'autres sont devenus invalides. Mais, ils me manquent tous. Le Cameroun est un pays que mon mari et moi aimions beaucoup. C'était un endroit merveilleux, un cadre idéal. Nos enfants allaient au Lycée. Babette, notre fille aînée que vous avez rencontrée tout à l'heure, a fait le Cuss (l'actuelle Faculté de médecine et Sciences biomédicales de Yaoundé, Ndlr). Je garde du Cameroun une bonne image.
Pouvez-vous rappeler aux Camerounais dans quelles conditions vous arrivez au Sénégal?
Nous sommes partis du Cameroun pour des vacances en France, mais aussi pour les soucis de santé de mon mari. Ahidjo était fatigué, surmené et il avait de plus en plus des pertes de mémoire. Il lui fallait du repos. Il a été admis dans une clinique. Quand son état s'est amélioré, il a voulu rentrer au Cameroun. C'est sur mon insistance qu'il n'y est pas retourné. Ensuite, il y a eu cette fameuse histoire de tentative de coup d'Etat en septembre 1983 où il a été-jugé et condamné à la peine capitale par contumace. Là, nous avons compris que nous étions devenus indésirables au Cameroun. On nous a retiré nos passeports. Quand on vous retire vos passeports, c'est qu'on vous retire aussi votre nationalité. Les autorités de Yaoundé avaient décidé que nous n'avions plus rien à voir avec le Cameroun. Nous sommes devenus des sans-papiers. Heureusement que Ahidjo avait gardé de très bonnes relations avec certaines autorités françaises et avec le Sénégal.
Le gouvernement sénégalais nous a offert des passeports. C'est dans ces conditions que nous venons nous installer à Dakar où mon mari avait acheté une modeste villa. Vous voyez bien qu'elle est en contradiction avec l'immense fortune qu'on lui a attribuée.
Comment avez-vous été accueillis par la communauté camerounaise de Dakar?
Il faut reconnaître que nous arrivons au Sénégal dans un climat de suspicion. Au Cameroun, nous étions devenus des parias. Pour ne pas faire du tord à certains de nos compatriotes, on évitait tout contact avec eux. On attribuait trop de choses à mon mari. Beaucoup de rumeurs nous parvenaient. Le Cameroun était devenu le pays des "on dit" (sic). On a par exemple dit qui Ahidjo avait recruté des mercenaires. Mais pour faire quoi ? Détruire tout ce qu'il avait construit ? Ce n'était pas dans son genre. C'était un bâtisseur. Il ne pouvait pas être sapeur pompier et pyromane en même temps.
Des tentatives de coup d'Etat ont été créées de toutes pièces et on lui collait tout cela sur le dos. L'entourage de Biya, mais aussi celui d'Ahidjo ont contribué à envenimer la situation. Leurs proches ont commis un tas de maladresses, les éloignant progressivement. Les deux communiquaient de moins en moins. Il y avait trop de malentendus, trop de fausses histoires.
Après les tristes évènements du 06 avril 1984, quelles étaient vos relations avec les Camerounais que vous croisiez souvent? En parliez-vous?
C'est comme je vous l'ai dit tout à l'heure, on voyait très peu de Camerounais et on évitait de parler politique. Surtout qu’à Yaoundé, on a fait croire au peuple que c'était Ahidjo l'auteur de ce soulèvement militaire devenu coup d'Etat. Et pour l'illustrer, on a choisi une partie de la conversation qu'il a eue ce matin-là au téléphone avec une journaliste de la radio française Rmc. J'étais présente lorsqu'il a reçu lé coup de fil. Lorsque la journaliste lui a annoncé qu'il y avait des combats à Yaoundé qui font penser a un coup d'Etat, Ahidjo a dit: "C'est vous qui me l'apprenez". Et elle a ensuite demandé: "Et si c'était vos partisans?" Sa réponse a été: "Si ce sont les miens, ils auront le dessus".
Curieusement, c'est seulement ce dernier passage que les autorités de Yaoundé ont choisi de faire écouter au peuple. C'était à dessein. Pourtant, nous n'étions même pas au courant de ce qui se passait à Yaoundé. Et même si Ahidjo était au courant de ce qu'il se préparait quelque chose au Cameroun, il n'y était pour rien. On oublie parfois qu'il est parti du pouvoir de lui-même. Personne ne l'a contraint. Pourquoi donc chercher à revenir?
Lorsque vous vous recueillez sur la tombe de votre illustre époux Son Excellence Ahmadou Ahidjo, peut-on avoir une idée de ce que vous vous dites en ce moment-là?
C'est toujours comme si je lui parlais. Je lui dis qu'il me manque beaucoup. Qu'il manque à ses enfants et à toute sa famille. Nous prions pour lui et nous veillerons toujours sur sa tombe.